Des vestiges du passé empêchent ce vaste pays de surmonter son instabilité
PERSONNEL D’ADF
La prolifération de groupes armés dans le deuxième plus grand pays d’Afrique le déstabilise depuis des décennies mais un incident qui s’est produit en décembre 2017 a renouvelé l’attention portée aux dangers présents dans la République démocratique du Congo (RDC).
Les Forces démocratiques alliées ont attaqué le personnel des Nations unies dans le Nord-Kivu, province de l’Est de la RDC, en tuant 15 gardiens de la paix et au moins cinq membres des forces armées de la RDC, et en blessant 53 autres gardiens de la paix.
La fusillade de trois heures a détruit au moins un transport de troupe blindé, selon ce qu’ont déclaré les responsables de l’ONU au Washington Post. « C’est la pire attaque contre les gardiens de la paix de l’ONU dans l’histoire récente de l’organisation », a déclaré le secrétaire général António Guterres.
Les Forces démocratiques alliées, estimées à 1.500 combattants armés, sont responsables pour d’autres attaques contre les gardiens de la paix en RDC : une en juillet 2013 et une autre en mars 2014. Le groupe est seulement l’un des 70 groupes de militants et de milices armés qui fomentent la violence sur l’ensemble des 6 millions de kilomètres carrés de la RDC.
La RDC devrait être l’un des pays les plus prospères d’Afrique. Ses réserves minérales diversifiées sont presque inégalées. Mais le pays a souffert d’une histoire politique complexe et a été au centre de deux guerres continentales majeures. Les cicatrices en sont toujours visibles aujourd’hui. Un coup d’œil sur l’histoire du pays et sur quelques-unes de ses régions les plus troublées souligne la complexité des conditions de sécurité qui sont présentes.
LA NAISSANCE DE L’INSTABILITÉ
Les racines coloniales de la RDC remontent à la Belgique des années 1880. En 1908, la Belgique sous le roi Léopold II a pris le contrôle officiel de ce qui était alors appelé le Congo belge. Paul Nantulya, associé de recherche au Centre africain pour les études stratégiques, a déclaré à ADF que les problèmes complexes de la RDC ne pouvaient pas être expliqués sans mentionner son histoire coloniale.
« Le Congo, ou le territoire qui est devenu le Congo, ne fut jamais gouverné en tant que pays, déclare-t-il. Il n’était pas destiné à être un pays. Le Congo était gouverné comme la propriété privée du roi Léopold. » Au cœur de cette « propriété privée » se trouvait l’extraction forcée du caoutchouc, pour laquelle tous les travailleurs valides devaient produire un quota quotidien. L’extraction du caoutchouc se faisait aux dépens d’autres entreprises économiques de longue date, telles que l’agriculture de subsistance.
« Vous produisez maintenant pour l’exportation mais vous n’êtes pas propriétaire de cette production, et cela introduit donc la pauvreté, cela introduit le sous-développement, déclare M. Nantulya. Cela rend le sous-développement essentiellement systémique. Puis la violence est introduite, une violence à une échelle qui n’avait pas été vue auparavant. »
Avec l’exploitation des ressources est venue une architecture de gouvernance faite sur mesure pour les autorités coloniales mais peu adaptée à la gouvernance efficace d’un pays aussi grand que la RDC, avec ses nombreuses régions et divisions sociales. Par exemple, la capitale de Kinshasa se trouve sur le fleuve Congo à l’Ouest, à plus de 1.500 kilomètres par avion de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu à l’Est et point sécuritaire sensible.
LE CENTRE SE DÉSINTÈGRE
Le pouvoir colonial avait installé le centre de son gouvernement puissant dans ce qui est aujourd’hui Kinshasa, qui est très éloignée des 11 régions périphériques organisées pour le travail forcé. La dynamique entre le centre et la périphérie, selon l’expression de M. Nantulya, assura la faiblesse des provinces pour éviter les rébellions. Après l’indépendance en 1960, cette dynamique est restée en place et a été exploitée plus encore par les leaders congolais, tels que le président Mobutu Sese Seko.
Dans ce système, la haine du gouvernement central a dégénéré et a souvent inclus les leaders locaux, ce qui a éveillé les sentiments sécessionnistes. Ces sentiments existent toujours aujourd’hui et leur complexité les rend difficiles à surmonter. Des problèmes similaires entre le centre et la périphérie sont aussi apparus au Soudan avec la crise du Darfour, mais la RDC est un exemple plus extrême. La taille de la RDC contribue au problème mais la gouvernance est le facteur principal, selon M. Nantulya. Dans son article de septembre 2017, « Un pot-pourri de groupes armés profite de la crise du Congo », il examine comment cette dynamique évolue au Kasaï, au Katanga, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.
Le Kasaï est une région du centre Sud de la RDC, d’une taille comparable à celle de l’Allemagne. Un rapport de l’ONU indique que, depuis 2016, plus d’un million de personnes ont été chassées de leur foyer au milieu d’une révolte anti-gouvernementale, ici et dans les régions voisines. Les foyers, les écoles et les centres de soins de santé ont été pillés et détruits, ce qui laisse environ 1 million de personnes sans approvisionnement alimentaire fiable et 400.000 enfants menacés de malnutrition.
La violence a commencé en août 2016 après la mort d’un chef traditionnel lors d’un affrontement entre les forces de sécurité de la RDC et sa milice. Depuis lors, elle est en croissance exponentielle selon l’ONU, et affecte cinq provinces régionales : le Kasaï, le Kasaï-Central, le Kasaï-Oriental, le Lomami et le Sankuru, et près de 2,5 millions de personnes.
En novembre 2016, les partisans du chef ont lancé une insurrection. « Ils ont rallié les sympathisants pour éliminer tous les représentants du gouvernement central et toutes ses institutions au Kasaï, ce que leur leader mort avait jadis exigé, écrit M. Nantulya. Ils ont exécuté des attaques individuelles et coordonnées contre les postes de police, les installations militaires et les bureaux locaux de la Commission électorale indépendante. »
En mars 2017, ces rebelles ont piégé un convoi et décapité 42 officiers de police. Le gouvernement de Kinshasa a utilisé la milice ethnique Bana Mura pour renforcer les efforts de lutte contre l’insurrection, écrit M. Nantulya. Les Bana Mura sont accusés d’avoir commis plusieurs atrocités, telles que la destruction des villages et le massacre des civils.
L’utilisation des Bana Mura par le gouvernement fait partie d’une stratégie qui remonte à l’ère coloniale, déclare M. Nantulya à ADF. « Elle exacerbe les problèmes de plusieurs façons, dit-il. Elle affaiblit et sape les institutions officielles. Elle encourage plus ou moins l’impunité, comme nous le voyons dans beaucoup de régions du Congo. Lorsqu’on utilise des milices privées, on s’isole des responsabilités, et cela donne l’opportunité d’un déni plausible. C’est donc très attrayant, et on a intérêt à agir de la sorte. Ce n’est pas seulement le gouvernement central qui le fait ; les élites locales le font elles aussi. »
L’emploi de milices comme agents du gouvernement augmente aussi le risque de catastrophes liées aux droits humains. La plupart des milices armées sont basées sur l’ethnie ou la tribu. Il est donc plus probable qu’elles agiront contre les groupes rivaux considérés comme étant en conflit avec les responsables du gouvernement avec lesquels elles sont alignées.
Le Katanga occupe la majeure partie du Sud du pays et c’est la région la plus riche. Elle a le tiers des réserves mondiales de cobalt et le dixième des réserves mondiales de cuivre, selon l’organisation à but non lucratif Pamoja Tujenge, dont le nom signifie « Construisons ensemble » en swahili. Elle a aussi des quantités importantes de cadmium, chrome, charbon, germanium, or, plomb, manganèse, argent, étain, uranium et zinc. Elle a été appelée « le joyau de la couronne du Congo ». Plus des deux tiers des revenus du pays et presque toutes ses exportations proviennent du Katanga.
Peu après l’indépendance, la région était aussi « le siège d’une campagne sécessionniste vigoureuse mais finalement infructueuse », écrit M. Nantulya. Plus tard, ce fut une région clé dans la révolte qui a renversé l’ancien président Mobutu Sese Seko, par des rebelles conduits par Laurent-Désiré Kabila, père du président actuel. Lorsque Joseph Kabila est devenu président en janvier 2001, la région du Katanga fut un centre de soutien clé pour le gouvernement. C’est la province d’origine des Kabila.
Le Katanga faisait partie d’un système de patronage qui détournait l’argent vers la capitale, pour enrichir le gouvernement, le parti au pouvoir et les forces armées. Le gouvernement comptait toujours sur le Katanga comme un rempart contre l’opposition. Malgré cela, déclare M. Nantulya, un sentiment sécessionniste robuste y a toujours existé, et cela devint un problème en 2015 lorsque Moïse Katumbi, ancien allié du président Joseph Kabila, lui disputa la direction du parti et la présidence, emmenant avec lui des leaders commerciaux, militaires, politiques et des membres du cabinet provincial. Soudain, le gouvernement Kabila n’avait plus de structure du pouvoir dans sa plus riche province.
Joseph Kabila répondit en instituant le « découpage », processus approuvé précédemment en 2006, pour augmenter le nombre de provinces nationales de 11 à 26. Ce processus diviserait le Katanga en quatre provinces plus petites, diluant ainsi l’influence de M. Katumbi avant que des élections ne puissent avoir lieu.
Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, provinces de l’extrême Est, abritent depuis longtemps des groupes armés qui proviennent des pays voisins. Les Forces démocratiques alliées sont originaires de l’Ouganda, où elles ont débuté comme insurrection islamiste. Elles se sont depuis transformées en groupe plus générique, qui fonctionne essentiellement comme un racket criminel participant à l’« architecture de violence » dans la région, déclare M. Nantulya. Ce racket perçoit des impôts, recueille des fonds par la contrebande et offre de se louer pour commettre des actes de violence.
Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe restant des rebelles hutus opposés au régime tutsi du Rwanda voisin, se sont réfugiées dans l’Est de la RDC, où elles ont obtenu un certain niveau de soutien auprès de leaders locaux et nationaux. Les FDLR sont devenues un prétexte pour l’ingérence du Rwanda dans la région, déclare M. Nantulya. Celles-ci et les Forces démocratiques alliées utilisent parfois la RDC comme base pour lancer des raids dans leur pays d’origine, lequel à son tour recrute des milices pour riposter.
Le mouvement rebelle M23 est un autre groupe armé qui a été soutenu par le gouvernement du Rwanda comme intermédiaire dans la région et qui a pris le contrôle de Goma, capitale du Nord-Kivu, en 2012, mais qui a été vaincu l’année suivante.
L’ENJEU DU MAINTIEN DE LA PAIX
La Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) travaille au milieu de cette situation complexe. La gouvernance centre/périphérie de la RDC rend difficile la réalisation de gains de longue durée, mais un certain nombre de succès à court terme ont été enregistrés, déclare Aditi Gorur, directrice du programme Protéger les civils dans les conflits au Centre Stimson.
Elle déclare que la MONUSCO a été innovatrice, surtout pour protéger les civils. Elle a identifié des zones de déploiement de haute priorité pour protéger les civils et elle a combiné des contingents militaires et civils, qui peuvent inclure des experts de la protection des enfants ou des droits humains, selon les besoins.
La mission utilise aussi des assistants de liaison avec la communauté (CLA) qui sont des employés locaux co-implantés avec le personnel militaire. « Le but est de servir de moyen pour améliorer les communications entre les forces de maintien de la paix et les communautés locales, ce qui est particulièrement crucial en RDC, déclare Mme Gorur. C’est une idée que la MONUSCO a développée. Elle avait découvert qu’avec le personnel militaire, il y avait des barrières dues à la langue ou à la culture : ils avaient du mal à communiquer avec la population locale. » Le déploiement des CLA avec de bonnes aptitudes linguistiques aida la MONUSCO à déterminer les besoins locaux de protection.
La mission a aussi catalogué et analysé les menaces contre les droits humains. C’est important, selon Mme Gorur, parce que cela assure que la justice est encouragée et parce que les tendances concernant les droits humains peuvent indiquer l’évolution probable des conflits. « Les enjeux et la voie à suivre pour la MONUSCO », article de Stimson de juin 2016 co-écrit par Mme Gorur, déclare en outre que la mission :
Cible les groupes armés : La composante militaire de la MONUSCO, y compris sa brigade de la force d’intervention, qui est autorisée à agir de manière offensive, coordonne avec les forces armées de la RDC pour dissuader la violence.
Fournit une alerte précoce concernant les menaces : La mission distribue des équipements de communication aux civils congolais pour qu’ils puissent signaler les menaces en vue d’une réponse rapide.
Participe à la prévention des conflits locaux et à la stabilisation : La section des affaires civiles travaille avec les communautés pour résoudre les conflits locaux.
Renforce l’état de droit : La MONUSCO forme le personnel de la police et des prisons et les responsables judiciaires. Elle soutient aussi des tribunaux mobiles pour améliorer l’accès au système de justice dans les zones éloignées.
Malgré ces réussites à court terme, le succès à long terme est incertain. La MONUSCO a été créée en juillet 2010, à partir de l’ancienne Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo, laquelle avait été créée en 1999. Des pressions existent pour mettre fin tôt ou tard à la mission, mais cela sera difficile étant donné la nature problématique de la situation politique nationale sous le président Kabila.
Les élections ont été reportées et, pour le moment, elles sont fixées pour décembre 2018. La MONUSCO a des relations délicates avec le gouvernement tout en satisfaisant aussi à ses obligations de soutien et de protection des civils. Lorsque des élections auront lieu, il sera essentiel qu’une force de maintien de la paix soit présente sur le terrain pour gérer l’instabilité qui suivra probablement, déclare Mme Gorur.
Toutes ces complexités limiteront l’efficacité d’une force de maintien de la paix, quelle qu’elle soit. M. Nantulya déclare : « S’il existait 500.000 soldats au Congo, le problème existerait toujours, en ce sens que c’est la complexité absolue de la crise du Congo qui rend l’opération de la MONUSCO, ou toute autre opération en fait, extrêmement difficile. La réussite d’une mission dans ce genre d’environnement sera toujours incertaine. »
MONUSCO
Le Conseil de sécurité des Nations unies a créé en 2010 la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo pour remplacer une mission précédente qui avait commencé en 1999.
EFFECTIFS en date du 15 septembre 2017
PERSONNEL MILITAIRE
- 16.071 militaires (y compris 595 femmes)
- 425 observateurs militaires (y compris 16 femmes)
- 187 officiers militaires d’état-major (y compris 12 femmes)
EFFECTIFS DE POLICE
- 1.368 policiers
- 320 policiers de l’ONU
- 1.048 policiers des unités de police formées
CIVILS
- 4.145 civils