L’épidémie ouest-africaine met en lumière la nécessité d’une infrastructure d’eau et d’assainissement
Vers la fin 2013, Ebola a pris racine en Afrique de l’Ouest, se propageant comme un feu de brousse et précipitant la région dans le chaos. Début mars 2015, il avait fait près de 10.000 victimes, pour la plupart en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.
Au moment où sévissait Ebola, un tueur plus discret, moins insidieux, faisait des ravages dans tout le continent : le manque d’eau salubre. L’organisation non gouvernementale londonienne WaterAid estime que l’eau insalubre a fait 73.000 victimes — plus de sept fois plus qu’avec Ebola — rien qu’au Nigeria, en 2014.
Le Nigeria n’est pas un cas unique en Afrique lorsqu’il est question de problèmes d’eau et d’assainissement. Il n’y a qu’à se pencher sur les incidents suivants observés seulement au cours des cinq dernières années :
• Le choléra s’est propagé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale en 2011, infectant au moins 85.000 personnes et faisant près de 2.500 victimes.
• Un an après, la Guinée et la Sierra Leone ont enregistré plus de 14.000 cas de choléra — provoquant jusqu’à 300 décès — au mois d’août 2012.
• La fièvre de Lassa est propagée par des rats et produit des symptômes similaires à ceux d’Ebola. Elle infecte entre 100.000 et 300.000 Ouest-Africains chaque année, faisant environ 5.000 victimes.
Toutes ces menaces peuvent être directement liées à de mauvaises pratiques en matière d’assainissement, à un manque d’eau salubre et à des infrastructures de santé et d’assainissement insuffisamment développées. Et toutes ces menaces affligent le continent depuis plus longtemps et avec une plus grande fréquence que ne l’a fait la crise d’Ebola en Afrique de l’Ouest.
L’épidémie d’Ebola sert de sonnette d’alarme
Le manque d’eau salubre, la pratique de la défécation en plein air et le fait que les centres de santé ont été décimés par des années de guerre civile, se sont ajoutés à Ebola pour attirer l’attention sur les déficiences en matière d’assainissement. En conséquence, les observateurs du continent ou de l’extérieur préconisent un accroissement de l’investissement ainsi que des changements dans le style de vie en vue de la prévention adéquate des maladies et des problèmes liés à la santé.
« Parfois une flambée épidémique est nécessaire pour que se produisent des choses positives. Peut-être a-t-il fallu Ebola pour que l’assainissement et l’eau deviennent une priorité absolue », a déclaré Bai-Mass Taal, secrétaire exécutif du Conseil des ministres africains chargés de l’eau (AMCOW) à la Thomson Reuters Foundation. « C’est comme si c’était paradoxalement une bonne chose : personne ne souhaite que cela se produise, mais vous en tirez parti comme moyen d’obtenir plus d’engagement et d’investissement dans l’eau et l’assainissement ».
Calestous Juma, professeur d’origine kényane enseignant la pratique du développement international à l’Université Harvard, affirme que les solutions durables à la crise d’Ebola devront traiter les questions de l’insuffisance d’infrastructures et d’investissements dans la santé publique. « La flambée épidémique d’Ebola n’est pas un épisode ; c’est une sonnette d’alarme exigeant une action politique stratégique », écrit Calestous Juma pour le site aljazeera.com.
« La disponibilité limitée de commodités de base telles que l’eau salubre et l’assainissement accroît la pression sur des services de santé surchargés. L’infrastructure et la santé publique sont étroitement associées », ajoute Calestous Juma.
L’assainissement est lié à la sécurité publique
Le choléra déferle en Afrique de l’Ouest et ailleurs pendant les saisons des pluies annuelles. Des zones sont inondées — en particulier les bidonvilles surpeuplés — et les eaux de crue se mélangent aux égouts à ciel ouvert et aux déchets humains, ce qui fait que les résidents tombent malades par milliers à cause de l’eau contaminée.
« Si votre zone est inondée par les eaux de pluie, et si les gens défèquent en plein air, les déjections vont pénétrer dans l’approvisionnement d’eau », explique au New York Times Jane Bevan, spécialiste régionale de l’assainissement pour l’UNICEF. « Nous savons que les gouvernements ont de l’argent pour d’autres choses. J’ai bien peur que l’on n’accorde jamais à l’assainissement la priorité qu’il mérite ».
En novembre 2014, les Nations Unies ont saisi l’occasion offerte par la « Journée mondiale des toilettes » pour demander à ce qu’il soit mis fin à la défécation en plein air. Un rapport des Nations Unies, publié pour coïncider avec l’événement, note que de nombreux habitants du Liberia et de la Sierra Leone — des pays durement touchés par Ebola — n’ont pratiquement aucun accès à des toilettes.
Ce problème ne concerne pas seulement l’Afrique. Dans le monde entier, 2,5 milliards d’habitants sont dépourvus de toilettes adéquates. En Afrique, cette situation concerne environ 644 millions d’habitants sur 1 milliard, soit 64 pour cent.
Chris Williams, directeur exécutif du Conseil de concertation pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement (WSSCC) de Genève, a observé que la défécation en plein air propage les maladies, nuit à la productivité économique et se traduit par une mortalité évitable. « Les gens qui n’ont pas accès à des toilettes hygiéniques et à un endroit pour se laver les mains sont exposés à un nombre élevé de maladies transmissibles par les matières fécales et potentiellement mortelles, qui seraient facilement évitables avec un assainissement amélioré », a expliqué Chris Williams à IPS en mai 2014.
Dans les pays affectés par la récente épidémie d’Ebola, de 25 à 40 pour cent de la population manque d’eau salubre, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Parfois, il arrive même que des centres de traitement d’Ebola ne disposent pas d’eau courante. Le Dr David L. Heymann, professeur d’épidémiologie des maladies infectieuses à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, a indiqué à ADF que l’absence de bonnes habitudes en matière d’assainissement et de contrôle infectieux dans les hôpitaux a été problématique lors des épidémies passées et actuelles d’Ebola.
La défécation en plein air et l’absence d’infrastructure d’égout n’ont pas été identifiées comme étant des causes d’Ebola ou liées à sa transmission. Toutefois, le contact direct avec des fluides corporels et des déchets humains sont des modes de transmission bien établis et peuvent amplifier les épidémies. Il ne semble pas qu’Ebola se transmette par le biais de l’eau potable contaminée, a précisé le Dr Heymann. Cependant, il a ajouté que comme c’était la première flambée majeure de la maladie, il y a des questions à son sujet auxquelles on n’a pas encore trouvé de réponses.
Ce qui est clair, pour le Dr Heymann, c’est que la contamination fécale peut propager des maladies telles que la polio et le choléra par le biais de l’eau potable souillée ou par le contact direct avec les eaux d’égout et les déchets humains. La diarrhée est également fréquente en Afrique où elle a fait bien plus de victimes qu’Ebola.
Rien qu’en 2013, un total de 129.064 cas de choléra a été signalé à l’OMS par 47 pays. De ce total, 43 pour cent des cas, soit plus de 55.000, ont été signalés en Afrique. On sait toutefois que le total mondial est bien plus élevé : l’OMS estime que le nombre de cas est 1,4 million à 4,3 millions chaque année, et que la mortalité totale serait de 28.000 cas à 142.000 cas annuellement.
Les solutions peuvent inclure les ONG, les armées et les entreprises
WaterAid s’est efforcée d’améliorer l’accès à l’eau salubre et à un assainissement adéquat dans le monde entier. Pour l’exercice budgétaire 2013-14, l’organisation a fourni un accès à de l’eau salubre à 885.000 Africains, et a amélioré l’assainissement et les toilettes pour près de 1,5 million de personnes sur le continent.
L’agence a collaboré avec des administrations et communautés locales en Sierra Leone afin de reconstruire les services d’eau et d’assainissement dévastés après une décennie de guerre civile. Les combats ont abouti à la destruction d’un grand nombre de puits et de toilettes. Près de la moitié des Sierra-Léonais, soit 5,7 millions d’habitants, ont dû fuir de chez eux à mesure que les combats se poursuivaient, ce qui les a laissés dépourvus d’eau et d’assainissement adéquat. WaterAid raconte l’histoire de Hawa Turay, qui, en revenant à son village de Vaama, a collecté de l’eau d’une rivière contaminée par des déchets provenant d’un hôpital voisin. Trois de ses enfants sont morts du choléra. WaterAid a collaboré avec les partenaires locaux pour réparer les infrastructures détruites. Désormais, à Vaama, un comité de résidents formés entretient l’infrastructure d’eau et d’assainissement.
WaterAid accompagne également ses services d’un volet éducatif. « Lorsque je suis venue pour être formée, j’ai reçu une instruction sur l’assainissement, et lorsque j’ai terminé mon cours, je suis partie dans les villages», explique Francesca Banji, facilitatrice en matière d’hygiène en Zambie. « Je suis allée dans chaque village et je me suis rendue dans les lieux d’habitation et j’ai formé les villageois à former d’autres villageois. »
Au Sénégal, l’armée a joué un rôle primordial dans la fourniture d’infrastructures de toutes sortes, y compris pour les services d’assainissement. Le programme militaire Armée-Nation est un modèle de coopération civilo-militaire depuis des années et a contribué à instaurer la stabilité et une attitude de bonne volonté. Les nombreux projets de travaux publics de l’armée incluent la construction d’installations de traitement des déchets, de puits ainsi que de bassins de rétention des eaux. Les soldats ont également revitalisé et nettoyé les espaces publics.
Selon des estimations de 2012, 67 pour cent de la population urbaine du Sénégal et près de 41 pour cent des ruraux avaient accès à des installations d’assainissement améliorées. Cela représente environ 52 pour cent de la population totale, selon The World Factbook, bien plus que dans les trois pays les plus affectés par Ebola en 2014. Au Ghana, le 48e Régiment du génie des Forces armées réalise aussi des projets de travaux publics.
Habituellement, les armées disposent du personnel, de l’équipement et de l’expertise leur permettant de réaliser un large éventail de projets de construction et de services. Toutefois, les soldats doivent être considérés comme des alliés par les civils ayant besoin de ces services.
Le problème des priorités
Les infrastructures de toutes catégories nécessitent un financement. Pourtant, la volonté politique est aussi importante que l’argent pour faire de la santé et de l’assainissement une priorité nationale. Ceci n’a pas toujours été le cas en Afrique, rappelle le Dr Earl Conteh-Morgan, originaire de la Sierra Leone et professeur d’études internationales à l’Université de Floride du Sud. Souvent, le développement se présente sous la forme d’une « industrialisation manifeste », observe-t-il.
« À mon avis, les gouvernements africains pensent probablement que le développement se traduit uniquement par un grand stade, un beau bâtiment pour le conseil municipal, et peut-être l’affectation de beaucoup d’argent aux universités », explique le Dr Conteh-Morgan. « Et ils oublient, en réalité, qu’un système d’approvisionnement en eau, avec un système d’eau salubre, est vraiment tout à fait nécessaire ».
« Je crois qu’ils ont un problème de priorités », conclut-il. « Ils n’accordent pas la priorité à un élément tel qu’un bon système de santé ».
Le Dr Offei « Bob » Manteaw, directeur de la recherche, de l’innovation et du développement chez Zoomlion Ghana Ltd., acquiesce. L’entreprise se spécialise dans un large éventail de services de traitement des déchets, depuis les travaux d’entretien jusqu’à la gestion des décharges. Pour lui, le défi pour le Ghana et pour de nombreux autres pays africains, en particulier au regard de l’infrastructure d’assainissement, est une absence de planification et de volonté politique.
« S’il y avait un classement par ordre de priorité, si on se rendait compte de l’importance de la santé publique et de tous les autres enjeux liés à la santé concernant le développement national, alors, quels que soient les fonds disponibles, nous en consacrerions une partie à s’occuper de quelques-unes de ces choses élémentaires », fait valoir le Dr Manteaw à ADF.
Zoomlion construit des toilettes mobiles et a travaillé avec les pouvoirs publics pour les installer dans les bidonvilles et les zones densément peuplées. Il estime que son entreprise, comme d’autres, pourrait fournir davantage de services de ce type, mais que l’appui des pouvoirs publics est crucial. L’entreprise exerce également ses activités en Angola, en Guinée équatoriale, au Liberia, au Togo et en Zambie.
Le Dr Manteaw joue également un rôle actif auprès de l’Africa Institute of Sanitation & Waste Management (Institut africain pour l’assainissement et la gestion des déchets), qui a vu le jour à Accra en novembre 2013. L’institut, qui est affilié à l’Université Kwame Nkrumah de Sciences et de Technologie, forme des personnes et des entreprises de l’ensemble du continent à la gestion des déchets grâce à des programmes de deuxième et troisième cycles.
« Nous espérons qu’à travers cet engagement et ces échanges nous développerons et partagerons des connaissances qui pourront être reproduites et adaptées à des cultures et à des contextes spécifiques dans toute l’Afrique, afin de contribuer à relever le défi de l’assainissement auquel la plupart des villes africaines sont confrontées », déclare-t-il.
Le Dr Manteaw a vu des opportunités apparaître depuis que la crise d’Ebola a suscité des appels à améliorer l’assainissement. Premièrement, il a plaidé en faveur d’« opérations de nettoyage post-Ebola » sous-régionales auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Il y a eu quelques échanges de communications à ce propos, et il espère que l’idée suivra son chemin. Deuxièmement, il a indiqué que les pays devraient chercher des manières d’« ajouter de la valeur » aux déchets afin qu’il y ait pour les citoyens une forme d’incitation à maintenir la propreté publique. À titre d’exemple, il a évoqué les bouteilles d’eau en plastique, une vue très répandue au Ghana et ailleurs. Il envisage des parcs d’assainissement où les gens pourraient apporter des bouteilles d’eau et les vendre à des installations de broyage et de recyclage, afin que d’autres produits, tels que des poubelles, puissent être fabriqués à partir de ce matériau. « Si nous pouvons officialiser ceci, y apporter une forme d’organisation, cela résoudra le problème dans les rues. »
« Les opérations de nettoyage post-Ebola ne devraient pas être limitées à enlever les déchets quelque part et aller les jeter ailleurs », fait remarquer le Dr Manteaw. « Changeons la culture de la gestion des déchets dans la sous-région ».