Les professionnels de la sécurité doivent être plus proactifs envers les reporters, surtout quand les nouvelles sont mauvaises
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La relation entre l’armée et les médias n’est pas toujours facile, mais, dans certaines parties de l’Afrique, elle semble particulièrement tendue.
Selon Bizeck Phiri, professeur à l’université de Zambie, le cheminement des pays africains vers l’indépendance, au 20e siècle, et les malheurs qu’ils ont connus après leur indépendance sont en partie responsables des problèmes de communication.
« Dans les années 1960, lorsque la plupart des pays africains ont obtenu leur indépendance de leur colonisateur, le public faisait confiance aux leaders politiques et aux dépositaires de l’autorité », a-t-il déclaré aux chefs militaires, lors de la Conférence africaine des commandants, en Zambie, en 2015.
« Les citoyens acceptaient leur parole – écrite ou non. Toutefois, au début des années 1970, la confiance a commencé à faire place à une méfiance envers les autorités, et l’acceptation sans réserve a été rapidement remplacée par un scepticisme critique ».
Bizeck Phiri estime que les technologies de communication modernes ont joué un rôle dans cette montée de la méfiance.
« Dans le monde aujourd’hui, les nouvelles circulent vite. La radio et la télévision jouent un rôle encore plus important dans la définition de la perception du public. Les nouvelles se propagent très vite et, par conséquent, les gens ne souhaitent pas voir une propagande unilatérale, quelle qu’en soit la source – gouvernement, partis politiques ou les médias eux-mêmes ».
Le général de division nigérian à la retraite, A.C. Olukolade, a affirmé que les armées africaines méritaient une meilleure réputation que celle qu’elles ont eu ces dernières années. Les commandants militaires devraient être impatients de raconter leurs histoires.
« Les opérations militaires en Afrique ont largement été des opérations de sauvetage », a-t-il déclaré. « Cette tendance se situe dans le prolongement du fait que les autorités militaires ont été les premières à maintenir l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale des États-nations en Afrique. Si l’on considère la nature et l’occurrence des coups d’État qui ont jalonné l’histoire de l’Afrique, on peut dire aujourd’hui que l’armée a largement sauvé la situation ».
Bizeck Phiri et d’autres estiment que certaines armées doivent repenser leur responsabilité de tenir le public informé sur ce qu’ils font. Dans une publication sur la nécessité pour les armées de donner des interviews utiles, le général de brigade américain à la retraite, James Schwenk, a regretté que certains responsables des affaires publiques considèrent leur fonction de manière trop étroite. Ils se contentent de ne diffuser que certaines informations sur « les exercices, les achats de matériel, les promotions et d’autres bonnes nouvelles du même genre ».
La véritable obligation des armées, a précisé James Schwenk, « consiste aussi à annoncer les mauvaises nouvelles qui sont aussi inhérentes à l’armée, telles que les accidents d’entraînement, d’autres catastrophes et les comportements criminels ». Selon lui, l’armée est aussi tenue de rectifier les faits lorsque des informations fallacieuses ou erronées sont rapportées par les médias.
Les formateurs et les conseillers des armées reconnaissent volontiers que certaines informations ne doivent pas être divulguées, comme les affaires de renseignement, les informations confidentielles et la position des troupes en temps de conflit. Tout ce qui peut compromettre la sécurité militaire, les sources de renseignement et le pays doit demeurer confidentiel. Mais selon ces conseillers, les armées du monde entier placent beaucoup trop d’informations dans la catégorie « confidentielle ».
Paul Manson, ancien directeur du ministère canadien de la Défense nationale, a résumé le clivage dans une étude sur les relations avec les médias : « Il y a une tradition de méfiance des médias envers les armées qui, selon eux, restreignaient l’information plus pour se protéger elles-mêmes et leur réputation que pour protéger la sécurité nationale. L’obsession historique des armées pour le secret a fortement alimenté la suspicion tenace qui caractérise les relations aujourd’hui ».
Les médias partagent la responsabilité de ces relations tendues, en raison de la manière dont l’information est collectée. Plus que jamais, les journalistes sont confrontés à la pression constante des dates limite et de la concurrence. Dans leur empressement à produire des articles, ils ont tendance à trop schématiser les problèmes complexes. Et comme pratiquement tous les organes de presse sont motivés par le profit, ils vont se précipiter sur tout ce qui se vendra bien, y compris les nouvelles choquantes et salaces. Vus sous cet angle, les médias ne sont pas différents de toute autre entreprise.
Lorsqu’elle était lieutenant-colonel dans les forces armées canadiennes, Josée-Ann Paradis a écrit sur le choc culturel entre l’armée et les médias. Elle a commencé son exposé par une citation tirée d’une étude de 1954, qui constatait qu’ « il y a peu de professions plus portées à une méfiance mutuelle que les journalistes et les soldats ». Selon Josée-Ann Paradis, la tension provenait de « la question difficile de savoir quelle quantité d’informations pouvait et devait être donnée aux journalistes ». Mais elle a aussi observé que les journalistes et les soldats ont plus en commun qu’ils ne le pensent.
« Les deux professions sont hautement structurées et uniques, elles possèdent un code de déontologie distinct et dépendent du travail d’équipe pour fonctionner. Le personnel des salles de presse et des salles d’opération se compose de professionnels dévoués, s’efforçant de prendre des décisions cruciales sur la base d’informations limitées ; ils sont soumis à d’énormes pressions alors qu’ils doivent prendre des décisions en un temps record. Les deux institutions partagent un objectif commun – maintenir une société libre, ouverte et démocratique pour les citoyens du pays qu’ils servent ».
Bizeck Phiri a déclaré à ADF que les médias et l’armée avaient des traits communs. Mais, a-t-il précisé, l’armée ne peut jamais être indépendante du gouvernement, alors que dans un monde parfait, les médias doivent être entièrement libres de toute pression des pouvoirs publics.
ANNONCER LES MAUVAISES NOUVELLES
Un aspect particulier, sur lequel insistent Bizeck Phiri et d’autres, est la nécessité pour les armées, et d’ailleurs pour toutes les organisations, de divulguer immédiatement et entièrement les informations en temps de crise.
« La meilleure attitude à adopter, lorsque des scandales éclatent, c’est de faire face à la situation et de faire rapidement la lumière sur les faits, parce que les titres sont toujours plus gros si la presse pense que l’on a essayé d’étouffer l’affaire », a observé Bizeck Phiri. « Alors que la vitesse des communications modernes permet de transmettre au grand public des images de télévision par satellite d’une zone d’opérations militaires plus vite que sur un réseau de communication militaire, il est important que l’armée elle-même réagisse rapidement. Il est toujours crucial, en situation de crise, de divulguer le maximum d’informations dans un minimum de temps. L’expérience démontre qu’il vaut mieux annoncer les mauvaises nouvelles le plus tôt possible ».
Comme le soulignent les spécialistes, essayer d’étouffer une affaire gênante conduira les médias à spéculer. « Interrompre la transmission d’informations n’empêchera pas les nouvelles de circuler », a déclaré Bizeck Phiri. « Ne rien dire aux médias ne fait que les inciter à deviner et, souvent, ils devineront juste. Toutefois, il ne faut pas que le produit final soit déformé, inexact ou sorti de son contexte ».
Avant d’annoncer de bonnes ou de mauvaises nouvelles, les armées doivent éduquer les médias. Bizeck Phiri a rappelé combien il est important que l’armée aide les médias à « informer le public sur la conduite d’opérations militaires et sur la vie militaire en général ». S’il faut attendre qu’une crise ou une urgence se déclenche pour établir une relation avec les médias, il sera trop tard.
« Je pense à des journées portes ouvertes et à des exercices auxquels les médias sont invités et participent à des visites guidées et des réunions d’information », a précisé Bizeck Phiri.
Dans sa présentation aux commandants, le général Olukolade a averti qu’avec l’avènement des smartphones et des réseaux sociaux, il n’y a jamais eu une époque dans l’histoire humaine où l’information se soit répandue aussi vite. Les armées doivent adopter ces nouvelles technologies et cette culture de transparence accrue, sous peine d’être laissées pour compte.
« Dans un temps assez court, tout type de message – que ce soit un texte, un message vocal, des photographies, des œuvres d’art ou des vidéos – peut-être diffusé à travers tout un pays par des moyens qu’aucune autorité ne peut aujourd’hui réguler ni contrôler. Il revient donc au public, aux gouvernements et à la hiérarchie militaire de composer rapidement avec les avancées rapides dans le domaine de l’information et de la communication ».
CONSEILS D’EXPERTS POUR DONNER DES INTERVIEWS
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Les conseillers en communication s’accordent sur les principes de base à respecter lors d’interviews et de conférences de presse. Ils dévoilent ici certaines de leurs astuces :
Évitez de répondre aux questions par oui ou non : selon les experts en communication de l’armée américaine, si vous donnez une réponse sommaire, vous perdez l’occasion de faire passer un message positif sur votre organisation militaire. Par exemple :
Question : « Est-il vrai que l’un de vos officiers a été réprimandé pour harcèlement sexuel ? »
Réponse : « L’armée applique une politique de tolérance zéro pour ce genre de conduite, alors nous avons effectivement réprimandé un officier qui a fait des commentaires intolérables envers une collègue. Nous faisons tout notre possible pour que notre personnel travaille dans une atmosphère professionnelle et conviviale ».
Soyez toujours préparé : la spécialiste en marketing et management Joanna Krotz a rappelé que, même si vous êtes un expert, capable de parler de votre domaine de spécialité avec autorité, vous devrez quand même préparer vos commentaires pour les médias. « Au fond, tout est une question de préparation », a-t-elle précisé. « Comment réagirez-vous à des questions difficiles ou hostiles ? Avez-vous une réponse claire, honnête et adéquate à la pire question que vous puissiez imaginer ? ».
Apprenez à connaître vos contacts au sein des médias : selon les formateurs en communication, vous devez essayer de briser la glace avec les journalistes en les interrogeant sur leurs antécédents, par exemple où ils ont grandi et quels sujets ils ont couverts. L’objectif est de vous rendre plus sympathique. Les experts en communication de l’armée américaine affirment que l’on doit répondre aux questions et transmettre des messages « avec intérêt, passion et conviction ».
Ne faites pas de confidences : il n’y a aucun avantage à donner à un journaliste des informations qu’il n’est pas censé utiliser. Parler à titre confidentiel avec un journaliste n’est pas une option. En d’autres termes, ce que vous dites à titre officieux pourrait bien finir par être publié.
Surveillez votre langage corporel : même lors de conférences de presse et réunions positives, des orateurs expérimentés peuvent parfois avoir l’air tendu, mal à l’aise ou donner l’impression qu’ils ne sont pas crédibles. Un spécialiste en relations publiques conseille de faire quelques pas ou de pratiquer quelques exercices avant de donner des interviews. D’autres suggèrent que les responsables des affaires publiques enregistrent des vidéos de simulations d’interviews et de conférences de presse, en étudient les résultats et sollicitent des commentaires.
Si les choses tournent mal, arrêtez et prenez du recul : si, lors d’une interview ou d’une conférence de presse, les choses dégénèrent ou prennent une tournure inattendue, demandez une pause, allez aux toilettes ou buvez un peu d’eau. Donnez-vous le temps de remettre de l’ordre dans vos idées et de désamorcer la situation.
Apprenez comment revenir à votre sujet : les journalistes posent souvent des questions inattendues ou hors sujet. Si vous connaissez la réponse, soyez simple et rapide et revenez à votre message.
Sachez dire « je ne sais pas » : les conseillers et les formateurs estiment souvent que dire « je ne sais pas » donne l’impression de ne pas être fiable ni professionnel. Mais, dans tous les domaines de la vie, y compris celle d’un porte-parole de l’armée, il vaut mieux faire preuve d’ignorance plutôt que d’improviser quelque chose qui sera peut-être faux ou qui vous ridiculisera. Dites « je ne sais pas », puis ajoutez « mais je vais vérifier et vous donner une réponse appropriée ».
Tirez des enseignements de l’expérience : assurez-vous, à l’issue d’une conférence ou d’une interview, de suivre les résultats. Selon Joanna Krotz, vos collègues devraient pouvoir vous dire honnêtement si vous avez bien fait passer le message.
L’ACCÈS RAPIDE AUX INFORMATIONS EST VITAL
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Le général de division à la retraite A.C. Olukolade a servi comme directeur de l’information de la Défense du Nigeria, de 2013 à 2015. Il a parlé du partage des informations à la Conférence africaine des commandants, en 2015. Il a fait les suggestions suivantes pour améliorer les relations entre l’armée et les médias.
Fournissez l’accès aux informations : donner aux médias le libre accès aux informations pertinentes est la clé du succès de toute stratégie de communication. L’armée ne doit pas tarder à fournir ces informations et doit éliminer toute éventuelle bureaucratie qui y ferait obstacle. Si l’armée ne parvient pas à fournir les informations à temps, la rumeur se répandra.
Formez les gens qui parlent pour vous : former les hommes et les femmes chargés des relations avec les médias, leur permet de faire un travail optimal, en toute confiance et de traiter les professionnels des médias comme des collègues. L’objectif est de créer un climat de confiance mutuelle.
Formez les personnes qui écrivent sur vous : des briefings réguliers avec les médias sont un aspect essentiel de toute opération militaire. Il devrait y avoir une personne ou un groupe, auquel les médias peuvent s’adresser, servant de pôle d’information.
Soyez patient : les personnes qui parlent en votre nom ne doivent jamais perdre patience. Si l’agressivité et l’impatience peuvent être payantes à court terme, elles sont aussi un facteur d’érosion de la confiance et du respect mutuel.