PERSONNEL D’ADF
Alors que Boko Haram fait face à des pertes de territoire dues aux opérations militaires, le groupe d’insurgés islamistes commence à adopter des tactiques asymétriques, notamment les attentats suicides. En soi, cela n’est pas particulièrement inhabituel pour des terroristes.
Par contre, l’emploi de femmes et d’enfants l’est.
Jason Warner et Hilary Matfess du Centre de lutte contre le terrorisme à West Point étudient cette tactique dans « Explosion des stéréotypes : caractéristiques opérationnelles et démographiques inattendues des kamikazes de Boko Haram ». Leur étude montre qu’entre le 11 avril 2011 et le 30 juin 2017 Boko Haram a employé 434 kamikazes contre 247 cibles lors de 238 attaques séparées.
Au moins 56 pour cent de ces kamikazes sont des femmes et au moins 81 se sont révélés être des adolescents ou des enfants. « Non seulement Boko Haram déploie plus de femmes kamikazes que tout autre groupe terroriste de l’histoire, mais en outre un pourcentage plus grand de ses cadres kamikazes sont des femmes », écrivent M. Warner et Mme Matfess.
Le rapport filles/garçons est d’environ 4 à 1. L’étude montre que, parmi les 81 enfants ou ados kamikazes, 23 sont des fillettes et 42 sont des adolescentes. En comparaison, cinq petits garçons et 11 adolescents furent utilisés.
Le New York Times a interviewé 18 jeunes filles pour un reportage sur l’emploi des filles comme kamikazes en octobre 2017. Les jeunes filles ont raconté comment les combattants attachaient des bombes à leur corps et les envoyaient vers les foules des marchés, des arrêts de bus, des camps et autres cibles vulnérables. L’intention insidieuse de cette tactique ne peut pas être exagérée. « Explosion des stéréotypes » suggère que, au moment où Boko Haram expérimente avec l’emploi des enfants kamikazes, en particulier les jeunes filles, celles-ci ont été « étonnamment efficaces, en surpassant le nombre de victimes de leurs homologues adultes ».
Boko Haram commença à utiliser des femmes kamikazes en 2014, trois ans après son premier attentat suicide, et jusqu’au milieu de 2017 il avait employé 244 femmes. Son nombre de femmes kamikazes est supérieur à celui de tout autre groupe d’insurgés de l’histoire. M. Warner et Mme Matfess écrivent que la deuxième place est occupée par les 44 femmes employées par les Tigres tamouls du Sri Lanka sur une période de 10 ans.
« Explosion des stéréotypes » indique que le rapt des lycéennes de Chibok et la notoriété mondiale qui l’a accompagné ont pu montrer que les femmes kamikazes présentaient des « avantages certains sur les hommes ».
Avec un pourcentage de 56,2, les femmes kamikazes de Boko Haram sont plus nombreuses, et ce chiffre semble augmenter. Au cours des six premiers mois de 2017, près des deux tiers des kamikazes pour lesquels le sexe est connu sont des femmes, selon l’étude. Il est aussi plus probable que les femmes soient envoyées contre les cibles civiles.
L’emploi d’enfants et d’ados répond à deux objectifs. Premièrement, les jeunes gens sont en général plus difficiles à détecter et ils peuvent pénétrer plus facilement dans les zones sécuritaires. En outre, leur emploi dans les attentats suicides est un signal du sérieux et de la brutalité potentielle de Boko Haram, selon le rapport.
L’étude de M. Warner et Mme Matfess présente trois fillettes kamikazes âgées de 7 ans ou moins. Deux d’entre elles se sont fait exploser dans un marché nigérian de Maiduguri en décembre 2016, en tuant une autre personne et en blessant au moins 17, selon l’Evening Standard. Précédemment, une autre fillette de 7 ans avait tué cinq personnes et blessé 19 dans un marché de Potiskum au Nigeria en février 2015, selon le Daily Mail.
L’étude indique que les jeunes kamikazes sont un peu plus efficaces que la moyenne de Boko Haram, qui est de 9,4 victimes par attaque. « Ils sont le plus efficace lorsqu’ils sont déployés de façon individuelle, avec un taux de 11,3 victimes par kamikaze, précise l’étude. Cependant, leur taux d’échec est aussi élevé. Néanmoins, lorsque de jeunes kamikazes sont envoyés ensemble, ils peuvent être particulièrement meurtriers, sans doute en partie à cause de leur capacité à s’encourager mutuellement à se faire exploser. »
Un reportage de Reuters en décembre 2016 montre la létalité potentielle des jeunes kamikazes. Deux lycéennes ont tué 56 personnes et blessé 57 lors d’une attaque dans un marché de la ville de Madagali au Nord-Est du Nigeria.
Les attaques jumelées commises par des kamikazes qui sont jeunes et du sexe féminin, combinées au ciblage des espaces civils, donnent à Boko Haram l’opportunité d’être encore plus meurtrier. M. Warner et Mme Matfess écrivent que les attentats suicides de Boko Haram ont traversé quatre phases successives, dans une période commençant en janvier 2016 et prenant fin en mai 2017. Pendant cette période, le pourcentage d’attentats suicides commis par des femmes ou des jeunes est passé d’environ 60 à près de 68 pour cent.
Les forces de sécurité doivent s’attendre à ce que Boko Haram continue à adapter ses tactiques d’attentat suicide à l’environnement opérationnel. La diffusion des messages de mise en garde en vue d’éviter les attentats suicides peut aider, y compris pour informer les communautés sur le nombre de victimes civiles – et musulmanes – de ces attentats, selon l’étude. Les responsables de la sécurité et des communautés pourraient aussi offrir une « voie de sortie immédiate » à ceux qui sont enrôlés comme kamikazes, pour leur montrer comment déserter. Cela aiderait les communautés à reconnaître les kamikazes potentiels et à offrir des options à ceux qui auraient pu rejoindre Boko Haram pour des raisons non idéologiques.