LES LOGISTICIENS DÉPENDENT DE LA FORMATION ET DES PRINCIPES DE BASE POUR ASSURER LE BON FONCTIONNEMENT DES OPÉRATIONS
PERSONNEL D’ADF
La vie des logisticiens n’est pas spectaculaire. Souvent appelés « tringlots », ou encore « riz-pain-sel », ils ont pour mission d’assurer le bon fonctionnement des opérations. En fait, les agents de la logistique affirment que s’ils font bien leur travail, on ne les remarque même pas.
Mais pour un œil entraîné, il est clair que ce qu’ils font demande beaucoup de compétences. Ils sont, de bien des façons, les héros méconnus des opérations militaires réussies. Ils planifient et exécutent le mouvement et la maintenance des unités. Ils acquièrent, stockent, transportent et écoulent le matériel. Ils supervisent la construction et l’entretien d’installations et de beaucoup d’autres choses.
Lorsque les troupes sont nourries, habillées et armées, cela signifie que les logisticiens font leur travail.
Une citation ironique, souvent évoquée, décrit les logisticiens comme suit : « C’est une race d’hommes tristes et amers, très demandés en temps de guerre et qui s’enfoncent, pleins de ressentiment, dans l’obscurité en temps de paix. Ils jouent uniquement avec des faits, mais doivent travailler pour des hommes qui haïssent leurs théories. Ils ont de l’importance pendant la guerre parce que la guerre est principalement un fait. Ils disparaissent en temps de paix, parce que la paix est principalement une théorie ».
Alors comment les logisticiens peuvent-ils vaincre leur obscurité et obtenir la formation nécessaire aux défis qu’ils doivent relever ? Et de quelles compétences dépend leur succès ?
Il existe certains principes directeurs dont un logisticien qualifié doit dépendre. En voici quelques-uns tirés du Manuel de logistique de la Force africaine en attente et du Manuel de logistique de l’Armée américaine.
Anticipation : l’une des principales qualités est la capacité de prévoir. Avant une mission, un bon logisticien rassemblera des informations logistiques qui tiennent compte du flux de personnel, d’équipement et de soutien. Les logisticiens sont entraînés à envisager le pire scénario possible quitte à le revoir à la baisse ensuite.
Le colonel Uduak Udoaka, agent de la logistique dans l’Armée de l’air américaine, qui a passé son enfance au Nigeria, a expliqué que la faculté de prévoir un besoin était aussi appelée la logistique de « perception et réaction ». « Anticiper les besoins et mettre en place les mécanismes pour y répondre permet de gagner les batailles », a-t-il affirmé.
Les choses se compliquent davantage quand la mission implique un déploiement à l’étranger et dans le cadre de laquelle il faut obtenir les autorisations du pays hôte et des pays de transit pour le passage des frontières et des douanes, les travaux du génie et l’approvisionnement.
Bien que l’expérience et l’intuition jouent un rôle, les systèmes informatisés peuvent aider les logisticiens à créer un tableau d’opérations commun qu’ils peuvent modifier en fonction des aspects d’une mission donnée. Par exemple, le concept de soutien de la Force africaine en attente offre des outils de planification d’une mission basés sur une brigade de 5.000 hommes, dont la taille peut être augmentée ou diminuée. « Il ne vous reste plus qu’à le remplir lorsque surgit le besoin de lancer la mission », précise le général de brigade David Baburam, ancien chef de l’Unité de soutien de mission de l’Union africaine. « Mais cela ne se passe pas comme ça. À chaque nouvelle mission, on efface tout et on recommence à zéro ».
Coopération : cet aspect est particulièrement important dans les opérations multinationales de maintien de la paix sur le continent africain impliquant différentes structures de commandement, langues et matériel. Dans un article du magazine Army Sustainment, la capitaine Theresa Christie, formatrice au Centre logistique conjoint multinational en Allemagne, a déclaré que la clé de la coopération est d’intégrer chaque unité avant le début de la mission. « Les unités qui ne coopèrent pas à la planification seront confrontées à des difficultés pendant toute la durée de l’opération », a-t-elle écrit.
Theresa Christie a affirmé que les problèmes d’interopérabilité sont plus faciles à surmonter quand les soldats de divers pays ont appris à se faire confiance. « Il existe de nombreuses différentes façons d’incorporer les unités multinationales dans l’équipe, mais ce doit être une décision volontaire, qui doit être appliquée à tous les niveaux », a-t-elle écrit. « Il y aura une méfiance et une animosité croissantes si les soldats ne coopèrent pas avec leurs collègues d’autres pays, si les soldats étrangers ne reçoivent pas le même soutien ou s’il y a des problèmes de communication aux échelons supérieurs. Si cela continue, le manque de confiance peut détruire le partenariat ».
Un autre moyen de réduire au maximum les problèmes d’interopérabilité des équipements est l’achat en commun d’équipements « essentiels à la mission », tels que des radios et générateurs qui sont alors utilisés par plusieurs pays. Cette possibilité a été examinée par l’UA, mais n’est pas encore faisable. En tant que tels, les exercices multinationaux, où l’interopérabilité des équipements peut être testée, sont essentiels à la préparation.
Flexibilité : les bons logisticiens savent trouver un équilibre entre les systèmes et structures rigides et la flexibilité aux fins de répondre aux changements de situation sur le terrain.
Un des aspects de la flexibilité est l’improvisation, qui implique que l’on se débrouille avec les outils, biens et personnel dont on dispose contrairement à une situation idéale. Par exemple, en temps de guerre, les fournitures anticipées de ravitaillement peuvent être bloquées en raison d’attaques ennemies ou de routes infranchissables. Le mauvais temps ou des pannes dans le convoi peuvent susciter un besoin urgent et imprévu de pièces détachées ou de réparations.
« Un dénominateur commun est la capacité de faire preuve d’imagination lorsque les choses ne se passent pas comme prévu », a observé Uduak Udoaka. « C’est dans le brouillard de la guerre que brillent les logisticiens ».
Les exercices sont utiles pour apprendre aux logisticiens à perfectionner leur flexibilité. Des exercices bien conçus comprennent des éléments imprévus tels que des flambées d’épidémies ou une panne de système mettant la logistique à rude épreuve. Les exercices peuvent aussi apprendre aux logisticiens à ne pas trop dépendre d’un seul outil pour suivre le mouvement des ravitaillements. Par exemple, si un système de localisation informatisé tombe en panne, les logisticiens doivent être prêts à utiliser des téléphones portables et des tableurs pour effectuer la même tâche.
Ponctualité : une balle qui atteint sa cible trop tard ne sert à rien. Les logisticiens et les commandants doivent pouvoir suivre la progression de leurs efforts logistiques presque en temps réel. L’Armée américaine utilise un certain nombre de paramètres d’évaluation, dont les taux de disponibilité opérationnelle, les temps d’attente, le pourcentage de demandes satisfaites et autres. Les logisticiens rassemblent aussi le plus d’informations possible de subordonnés et d’autres partenaires logistiques sous la forme de rapports et de recommandations.
L’obtention de ces informations implique un changement dans la culture militaire permettant aux subordonnés d’avertir les commandants des problèmes de logistique dès qu’ils apparaissent. Il est aussi nécessaire que les commandants s’intéressent activement à la logistique.
« La plupart des commandants ont peu de visibilité sur la logistique, et cela pose un problème », déplore le général Baburam. « Même lorsque leurs taux de disponibilité logistique chutent à des niveaux risqués, quand leur équipement ne fonctionne qu’à 20 ou 30 pour cent ou quand les niveaux de stocks des biens de première nécessité sont trop bas, ils ne sont pas au courant et ils sont pris par surprise lorsqu’ils planifient leurs opérations et se rendent compte qu’ils ne peuvent pas exécuter leurs plans ».
Simplicité : des mécanismes simples de soumission de rapports garantissent la diffusion efficace et précise de l’information. Le plan logistique doit être facile à comprendre et à mettre en œuvre. La simplicité est renforcée par des processus logistiques communs entre les régions et les pays contributeurs de troupes.
La simplicité va de pair avec la transparence, qui garantit que les ressources nécessaires à la sécurité ne sont pas volées ou détournées. Dans son plan logistique, l’ONU encourage la tenue d’audits réguliers par des méthodes sophistiquées telles que des codes-barre ou un repérage par satellite, ou par des méthodes simples sur papier.
Selon les experts, il est essentiel de contrôler sans créer de paperasserie inutile. « Parfois, vous trouvez qu’il y a trop de réglementations, qui, au lieu de promouvoir la responsabilisation, encombrent le système », dénonce David Baburam. « Lorsque l’on considère les questions de contrôle, le système doit être flexible, pratique et promouvoir l’efficacité au lieu de créer une bureaucratie ».
Économie : les logisticiens s’efforcent de ne fournir que les ressources nécessaires à la mission à un coût le plus bas possible. Ils sont priés de réduire au maximum leur « empreinte » et leurs coûts. Cela signifie se procurer des biens auprès des communautés locales au lieu de les transporter sur des grandes distances. Cela peut aussi signifier donner certains travaux en sous-traitance pour réduire le nombre de personnels en uniforme. Cette interaction avec la communauté locale peut engendrer une relation commerciale et aider l’économie locale, mais il faut agir avec prudence pour prévenir la fraude ou les abus.
Continuité : la fourniture ininterrompue d’un soutien se fait par le biais de réseaux intégrés qui relient la logistique, les services au personnel et le soutien des services sanitaires aux opérations. Le commandement et le contrôle de la logistique sont le centre nerveux qui assure la vitesse et la continuité. Il existe plusieurs modèles pour assurer la continuité, comme le réseau « hub and spoke », ou réseau en étoile, avec une plateforme logistique en son centre d’où le trafic part dans toutes les directions. Il y a aussi un modèle de « ligne de communication » plus linéaire qui implique l’acheminement des approvisionnements sur un itinéraire direct. D’une manière ou d’une autre, il est important que le plan inclue des mesures de redondance et qu’il y ait suffisamment de ressources pour soutenir les troupes pendant une longue période.
Dans les missions multinationales, cela peut poser problème, fait observer Uduak Udoaka, et cela commence avec chaque pays contributeur de troupes qui doit avoir suffisamment de ressources pour soutenir son personnel. « Peuvent-ils se présenter avec suffisamment de ravitaillement pour 30, 40 ou 60 jours ? Les forces sont-elles en mesure de fournir un soutien logistique après 60 jours ou faudra-t-il une autre « requête » de la part de la communauté internationale ? » s’est-il interrogé.
Poursuite de l’excellence : l’ancien philosophe militaire chinois Sun Tzu qualifiait la logistique de « ligne entre l’ordre et le désordre ». Les logisticiens découvriront que leur rôle consiste à maintenir un certain ordre dans un environnement chaotique. Cela ne s’apprend pas dans une salle de classe ni dans un manuel. C’est le résultat d’années d’expérience qui permettent aux logisticiens de développer presque un sixième sens pour prévoir un besoin qui pourrait surgir ou résoudre un problème avant qu’il ne se pose.
Ceux qui recherchent la gloire et la reconnaissance ne les trouveront pas dans la logistique. Mais pour ceux qui espèrent faire une différence et connaître la satisfaction d’un travail bien fait, la logistique est une vocation.
« Les logisticiens militaires sont avant tout des hommes qui exercent le métier des armes et, par définition, les métiers fournissent un travail unique dans un domaine d’expertise », a expliqué Uduak Udoaka. « Alors que les salaires, les promotions et les bonus permettent d’entretenir des familles, les hommes de métier sont le plus souvent motivés par le devoir, l’honneur, la camaraderie et la poursuite de l’excellence ».
UN RÉSEAU de DIRIGEANTS
PERSONNEL D’ADF
La logistique est un métier militaire hautement spécialisé dont les compétences demandent des années de perfectionnement qui peuvent servir plus tard dans le secteur privé. C’est pourquoi les armées commencent à reconnaître l’importance de la formation des logisticiens. De nombreuses initiatives ont été créées pour améliorer cette formation en Afrique et permettre aux logisticiens africains d’étudier à l’étranger.
L’Association africaine des formateurs au soutien de la paix, basée au Kenya, est en train de développer un cursus commun de logistique pour les écoles africaines de maintien de la paix et les centres d’excellence. L’ONU offre un cours de planification pour les officiers d’état-major et l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique offre des formations de logistique tactique et organise chaque année un Forum africain sur la logistique qui réunit des dirigeants de tout le continent pour discuter des besoins et établir des partenariats. Le Programme international d’éducation et d’entraînement militaire, une initiative financée par les États-Unis, invite les agents de la logistique à recevoir une formation spéciale dans les collèges militaires américains.
Un facteur clé de l’amélioration de la formation des logisticiens serait d’en faire une spécialisation. Aux États-Unis, par exemple, il y a des commandements quatre étoiles centrés sur la logistique et le soutien. Cela ne reconnaît pas seulement l’importance de la logistique pour une mission, mais offre aussi aux officiers logisticiens la possibilité de développer leur carrière.
Le général de brigade David Baburam, ancien chef de l’Unité de soutien de mission de l’Union africaine, a souligné que la formation devait aussi s’étendre aux rangs inférieurs. « Je pense qu’il faut reconsidérer tout le programme de formation à la logistique de sorte qu’il s’étende aux tout premiers niveaux, parce que c’est là que se déroulent les activités logistiques les plus importantes », a-t-il observé. « Il faudrait aussi mettre davantage l’accent sur la planification et permettre aux commandants de suivre les mouvements de leur logistique ».
Le colonel Uduak Udoaka, agent de la logistique dans l’Armée de l’air américaine, a déclaré que la formation doit commencer par un bon recrutement. Il s’agit de trouver les bons candidats et d’investir ensuite dans le temps et les ressources nécessaires pour les former. Bien qu’il y ait aussi des possibilités de spécialisation, les meilleurs logisticiens étudient tous les domaines logistiques, à savoir :
Le déploiement et la distribution : cela concerne la manière dont les forces sont transportées vers une zone d’opération et soutenues pendant leur déploiement.
L’approvisionnement : il s’agit de la gestion des biens et équipements, leur stockage et la mise en place des réseaux nécessaires au réapprovisionnement des stocks.
La maintenance : en fonction de la mission, la réparation et la maintenance des équipements et véhicules peuvent être effectuées sur place, sur le terrain, ou dans une installation centrale.
Les services logistiques : parfois appelés « soutien opérationnel des bases », incluent tous les services – tels que la nourriture, l’eau, le logement et les sanitaires – qui sont indispensables au soutien des forces qui vivent et travaillent à un endroit donné.
Le génie : la construction de bâtiments et de routes nécessaires à une mission donnée.
Les services de santé : le traitement médical des soldats relève de la logistique parce que la santé des troupes est vitale pour la disponibilité opérationnelle et le succès de la mission.
Planification, commandement et contrôle : les planificateurs logistiques établissent ce qui est attendu et ce qui est nécessaire au soutien d’une mission. Les éléments de commandement et de contrôle fournissent un encadrement continu pour assurer le bon déroulement des opérations.