UN COLONEL NIGÉRIEN SOULIGNE L’IMPORTANCE DE L’AIDE DES CIVILS DANS LA LUTTE CONTRE L’EXTRÉMISME
PERSONNEL D’ADF
LE COLONEL MAHAMANE LAMINOU SANI est directeur du renseignement militaire des forces armées nigériennes (FAN) à Niamey, au Niger. Il a coordonné les activités militaires et civiles de l’exercice Flintlock 2014, qui s’est tenu à quatre endroits au Niger. Le colonel Sani a accordé un entretien à ADF le 1er mars 2014. L’entretien a été mené en anglais et a été revu et abrégé pour plus de clarté.
ADF : quels ont été les moments forts de l’Exercice Flintlock 2014 ?
Colonel Sani : les relations avec d’autres pays, les interactions et la coordination de la planification de l’opération. La deuxième chose est la participation de l’armée afin d’aider les civils, à la fois sur le plan sanitaire et dans d’autres domaines. Il y a aussi la communication, la manière dont nous communiquons jusqu’à présent, depuis le début jusqu’à aujourd’hui. C’est la chose la plus importante que j’ai vue. Beaucoup de gens disaient que Flintlock était un prétexte pour créer des bases militaires américaines ou européennes. Maintenant, ils ont compris que ce n’était qu’un simple exercice.
ADF : les organisateurs de Flintlock ont constaté qu’il était très important d’atteindre les relais d’influence dans les diverses communautés. Pourquoi cette décision a-t-elle été prise ?
Colonel Sani : vous savez, si vous voulez faire quelque chose dans notre société, vous devez passer par ces relais d’influence (leaders d’opinion, chefs religieux, chefs traditionnels). Si vous voulez relayer l’information, il vaut mieux passer par eux.
ADF : il semble que le Niger ait réussi à engager le dialogue avec ses populations du Nord, qui comprennent aussi une large population touareg. Comment le Niger s’y est-il pris ?
Colonel Sani : nous avons connu une insurrection en 1990, puis une autre en 2007. Lorsque nous avons signé notre accord de paix, ils ont dit : « D’accord, mais nous voulons contrôler notre région. » Nous leur avons précisé que le Nord du Niger faisait partie du Niger. Tous les citoyens doivent pouvoir y aller et y travailler ; de même, vous devez descendre et travailler comme tout autre citoyen. Les principaux dirigeants de la rébellion ont demandé à être officiers supérieurs. Nous leur avons dit que tous nos officiers avaient été à l’école militaire pour parvenir au niveau où ils étaient aujourd’hui. Si vous voulez être officier, vous devez aller à l’école militaire. En 2007, nous avons eu une nouvelle rébellion parce que nous avons été un peu durs. Nous essayions de contrôler le Nord. Quand un convoi de camions essayait de traverser la frontière, nous intervenions. Toutefois, cette rébellion a été vraiment bien contrôlée. Nous connaissions tous les principaux dirigeants. Grâce à nos services de renseignement, nous les avons tous trouvés et vaincus. Il n’y a eu ni négociation, ni accord de paix. Au Niger, nos soldats sont déployés partout dans le Nord. Ce n’est pas parce que vous êtes touareg que vous allez y être affecté. Si vous êtes touareg, vous pouvez être affecté partout au Niger. Tout citoyen qui se trouve dans l’armée, dans la police ou dans toute autre institution peut être affecté partout, même dans le Nord.
ADF : comment votre armée ou toute autre armée collabore-t-elle avec les populations civiles pour lutter contre le terrorisme ?
Colonel Sani : le terrorisme est une menace transnationale. Un pays ne peut pas affronter le terrorisme seul. Vous devez faire intervenir d’autres partenaires. C’est la première chose à faire. Je peux citer un exemple au Niger. Si nous traquons ou poursuivons un groupe de terroristes jusqu’à la frontière avec le Mali, nous devons coordonner nos actions avec l’armée malienne pour les intercepter. Dans la zone civile, entre le Mali et le Niger, il y a la même population. Qui plus est, ces personnes appartiennent aux mêmes familles. Il y a des gens de Tahoua, près de la frontière malienne qui traversent la frontière pour aller voir leur famille au Mali. Si vous voulez atteindre la population, il faut utiliser ses principaux chefs dans la région, car ils peuvent relayer l’information. La plupart des principaux chefs au Niger sont liés aux principaux chefs au Mali. L’armée doit essayer de réduire la vulnérabilité de notre population. Les gens ont besoin de médicaments et de certaines infrastructures, parce que parfois l’argument utilisé par les terroristes est de dire : « Vous voyez, le gouvernement ne fait rien pour vous. Nous sommes ici pour Dieu, et nous pouvons vous aider. Nous sommes tous musulmans. Alors, ne vous occupez pas du gouvernement. Nous allons vous aider. » Donc, si nous résolvons ce genre de situation, les gens seront moins vulnérables et ne seront pas tentés par des activités terroristes.
ADF : comment évaluez-vous l’efficacité du Niger à impliquer sa population dans la lutte contre le terrorisme ? Où en êtes-vous aujourd’hui et quel chemin vous reste-t-il à parcourir pour parvenir à un niveau satisfaisant ?
Colonel Sani : la question du terrorisme est double. D’un côté, vous avez la violence et, de l’autre, la volonté et la croyance. En général, les gens pensent que, si vous réduisez la violence, vous gagnez. Or, le plus important est de réduire cette croyance et cette volonté. Si vous y arrivez, la violence s’éradique facilement. Autrefois, les gens ne savaient pas ce qu’était le terrorisme. Ils en entendaient parler à la télévision. Ça se passait ailleurs.
Ce n’est qu’après les attaques d’Agadez et d’Arlit que la population a réalisé combien le terrorisme est un grave problème. Autrefois, seuls les responsables de la sécurité s’en occupaient. Ils étaient conscients de la réalité du terrorisme. Aujourd’hui, les gens sont vraiment conscients. Ils savent réellement ce que c’est. Avec Flintlock, nous avons réussi à impliquer à la fois les responsables de la sécurité et les civils. En outre, la participation de la population s’est accrue.
[NOTE DU RÉDACTEUR : deux attentats-suicides ont visé la base militaire d’Agadez et une mine d’uranium à Arlit en mai 2013, faisant 21 morts parmi les soldats. Les attentats ont été revendiqués par le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest.]
ADF : il aura fallu les attentats terroristes à Agadez et Arlit pour que les gens se rendent compte du problème ?
Colonel Sani : ils étaient conscients du problème dans le passé, mais à un moindre niveau. Toutefois, depuis les attentats d’Agadez et d’Arlit, ils ont compris que la question était grave.
ADF : et cela les a incités à agir.
Colonel Sani : Oui. Je leur disais auparavant que s’ils entendaient parler d’un attentat à la bombe ailleurs, cela pouvait aussi arriver ici. Ils me traitaient de fou et me demandaient comment cela pourrait arriver ici. Pourtant, c’est bien arrivé.