Le vice-chef des Forces de défense du Kenya souhaite achever la mission en Somalie et sécuriser le territoire
PERSONNEL D’ADF
PHOTOS DES FORCES DE DÉFENSE DU KENYA
Le lieutenant-général Robert Kibochi a été nommé vice-chef des Forces de défense du Kenya en 2018. Au cours de sa carrière militaire de 39 ans, il avait été précédemment le commandant de l’Armée de terre du Kenya et le chef adjoint des Forces de défense chargé des opérations, de la planification, de la doctrine et de la formation. Entre 2000 et 2001, il a commandé le contingent kényan de la Mission des Nations unies en Sierra Leone. Il détient des diplômes de maîtrise en études internationales et en systèmes informatiques, et il poursuit actuellement des études de doctorat. Il parle à ADF dans son bureau de Nairobi. Cette interview a été modifiée pour l’adapter à ce format.
ADF : Cela fait maintenant près de quatre décennies que vous faites partie des Forces de défense du Kenya (KDF). Qu’est-ce qui vous a poussé à faire carrière dans les forces armées ?
Lieutenant-général Kibochi : Mon intérêt dans une carrière militaire remonte à mes années de lycée. Il se trouvait que j’étudiais dans une école située dans une zone occupée par l’armée, juste à côté de Nakuru. Au début, cela a vraiment suscité mon intérêt pour devenir comme les soldats que je voyais.
L’institution militaire kényane était, et continue à être, très respectée. J’ai eu beaucoup de chance pour être recruté en 1979. Pendant ma formation, lorsque j’ai mieux compris le mandat des forces armées, j’ai commencé à réaliser que l’armée n’était pas seulement une carrière, mais une opportunité de contribuer à la sécurité de mon pays. À mon avis, ce fut une très bonne décision. C’est vraiment la plus grande vocation que l’on puisse avoir dans un pays.
ADF : En juillet 2018, après avoir été nommé vice-chef des Forces de défense, vous avez rendu visite aux soldats kényans participant à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Qu’avez-vous appris de cette visite et comment évaluez-vous la situation sécuritaire en Somalie ?
Lieutenant-général Kibochi : L’objet de cette visite particulière en juillet consistait à assurer un soutien continu alors que j’assumais de nouvelles responsabilités, et de vraiment relever le moral des soldats. Il s’agissait aussi d’informer le haut commandement de la situation sur le terrain. Les soldats sont très soucieux d’engager un dialogue avec le haut commandement sur un certain nombre de questions qui sont très importantes.
En ce qui concerne l’évaluation de la situation sécuritaire en Somalie : nous pensons que le pays est en voie de stabilisation, à la suite d’une série de succès des troupes de l’AMISOM, qui progressent dans la majorité des zones. Nous poursuivons notre mandat pour assurer un retour à la normale dans la région. Nous souhaitons surtout, en tant que gardiens de la sécurité du peuple de la République du Kenya, assurer la protection de la souveraineté de la république.
ADF : Comment définissez-vous le succès de la mission en Somalie ? Selon vous, quand sera-t-il temps pour le Kenya de quitter le pays ?
Lieutenant-général Kibochi : Le succès de la mission en Somalie peut être défini comme le rétablissement de la paix et de la stabilité sous l’égide d’un gouvernement somalien. Je pense que l’un des points clés qui ont été discutés lors de la conférence au sommet stratégique sur le Concept des opérations (CONOPS) organisée par l’Union africaine est l’importance de fournir un soutien au Plan de transition somalien. Ce CONOPS est conçu pour être aligné à ce plan de transition spécifique, qui s’étend jusqu’en 2021, ce qui fournit une échéance pour que l’AMISOM quitte la Somalie. Notre pays a décidé de faire partie de l’initiative multinationale appelée AMISOM, sous la tutelle de l’Union africaine, et nous continuerons à faire partie de cet effort jusqu’à ce que la transition, alignée avec les besoins du gouvernement somalien, soit effectuée. Pour promouvoir la sécurité et la stabilité de la Somalie, les forces de sécurité doivent être organisées, entraînées et équipées pour pouvoir finalement exercer les rôles et les responsabilités que les troupes des KDF et de l’AMISOM assument en Somalie. Nous sommes un pays voisin et souhaitons vivement qu’une solution durable soit trouvée à la question de la stabilité de notre voisin de l’Est.
ADF : Entre l’opération Linda Nchi en 2011 et la mission en cours de l’AMISOM, à quel point les engagements en Somalie ont-ils changé les KDF ? Ce fut l’une des premières missions des KDF hors du pays depuis son indépendance. Quelles sont les leçons importantes qui ont été retenues ?
Lieutenant-général Kibochi : Bien qu’elle ait été le premier engagement à grande échelle pour les KDF, celles-ci avaient toujours été une force de premier plan capable d’exécuter ses missions. L’opération Linda Nchi a renforcé cette capacité. Au cours du temps, nous avons retenu un certain nombre de leçons. Cela fait maintenant près de six ans que nous sommes en Somalie. Cet engagement nous a aidés à identifier des lacunes dans notre doctrine et notre équipement. Ces questions ont été vraiment utiles, au moment où nous continuons à moderniser la force pour répondre aux menaces asymétriques. Les KDF ont aussi mis l’accent sur les questions concernant le bien-être des soldats et de leur famille, et notamment le soutien et les hommages accordés à nos anciens combattants, que nous considérons vraiment comme des héros. Nous avons souligné la bonne prise en charge de ceux qui avaient été laissés en arrière, et cela a conduit tout à fait délibérément à la création de centres d’assistance sociale dans tous nos camps, qui emploient des professionnels chargés de répondre aux préoccupations des soldats et de leur famille. De façon importante, il faut aussi noter que le 14 octobre, date de lancement de l’opération Linda Nchi, est reconnu comme le jour de fête des KDF. Cette fête est célébrée annuellement pour rendre hommage à l’héritage des soldats.
Donc un certain nombre de leçons ont bel et bien été retenues : l’importance accordée à la doctrine, à l’entraînement et, bien entendu, à un matériel de combat approprié à la menace.
ADF : La frontière entre le Kenya et la Somalie est une source d’instabilité. Quelles sont les stratégies utilisées pour sécuriser cette frontière ? Il a été signalé que le Kenya est en train de construire une barrière frontalière.
Lieutenant-général Kibochi : Le problème de la sécurité des frontières nécessite une approche multidimensionnelle. Notre frontière avec la Somalie s’étend sur près de 700 kilomètres du Nord au Sud. Elle traverse tous les types de terrain, et parfois des terrains très hostiles. L’un des objectifs du déploiement des KDF en Somalie est donc d’assurer que les menaces provenant de l’autre côté de la frontière soient réduites. Je suis heureux d’annoncer que cela est bien le cas. Nous avons, certes, encore du travail à faire, mais les choses se passent bien. Nous avons aussi appris la leçon suivante : il faut créer un mécanisme de sécurité frontalière selon une approche multi-institutionnelle, qui examine non seulement la sécurité mais aussi l’établissement de points de passage, afin d’assurer que ceux qui veulent franchir la frontière dans un sens ou dans l’autre le fassent de façon ordonnée. C’est là que la question d’une barrière intervient, pour assurer que les points de passage soient clairement identifiables et aussi pour établir des routes de patrouille pour les troupes et autres agences de sécurité. L’autre question concerne les initiatives visant à soutenir les communautés locales, en offrant des activités socio-économiques qui répondent aux besoins des personnes. En particulier celles qui concernent le développement des ressources d’eau pour les personnes et les animaux, la construction des réseaux routiers et la liberté de mouvement dans ces zones. Il s’agit donc d’une approche multidimensionnelle dans laquelle chaque dimension est engagée dans la sécurité des frontières. Je pense que nous avons fait beaucoup. J’ai visité récemment la région et j’ai été très satisfait de constater que cela avait aidé à améliorer la sécurité des villes frontalières.
ADF : Depuis l’attaque du centre commercial Westgate jusqu’à celle de l’université de Garissa, peu de pays ont été affectés autant que le Kenya par l’impact du terrorisme sur leur propre sol. Comment ces attaques ont-elles changé la mission des KDF ? Comment la formation militaire a-t-elle changé pour combattre les tactiques asymétriques utilisées par ces attaquants ?
Lieutenant-général Kibochi : Tel que nous le connaissons, le terrorisme s’est révélé être un phénomène qui ne se limite pas à une région géographique donnée. Malheureusement, le Kenya est aussi une cible de ces attaques. Le monde entier fait face à ce type de guerre. Comme toutes les autres forces armées, les KDF se sont adaptées et ont acquis des capacités modernes pour lutter efficacement contre ces menaces. Le Kenya est engagé dans un certain nombre de missions multi-agences visant à déceler, contrer et perturber les buts de ces groupes terroristes. En ce qui concerne notre aptitude à apprendre, nous avons bien appris. La mission des KDF a-t-elle changé ? Non, la mission n’a pas changé. Elle consiste toujours à défendre la république et son intégrité territoriale. Mais les tactiques ont changé. Et cela a aussi conduit à un changement vers un entraînement de combat pour les tactiques asymétriques, nécessitant donc que la force soit structurée de façon à répondre aux changements dans l’environnement de la menace. Beaucoup d’efforts ont été entrepris pour adapter notre force aux nouvelles menaces que nous affrontons.
ADF : Pensez-vous que les KDF ont un rôle à jouer dans la déradicalisation des jeunes et la prévention du recrutement par les terroristes ?
Lieutenant-général Kibochi : Il n’est pas possible de prétendre lutter contre les terroristes sur le terrain sans parler de la radicalisation, qui est la source du terrorisme. Donc, dans le cadre de la stratégie de lutte contre le terrorisme du Kenya, qui est une approche multi-agences, les KDF ont un rôle à jouer. Assumons-nous la direction de cet effort ? Non, car d’autres agences dans cet effort multi-agences vont assumer sa direction. Soutenons-nous ces efforts ? Absolument, soit en recueillant des renseignements, soit en fournissant tout soutien requis au sein de cette configuration multi-agences. Il est important de souligner que cet effort multi-agences a enregistré beaucoup de succès, car nous traitons ces questions collectivement, et non pas séparément comme nous le faisions avant.
ADF : Dans votre nouveau poste de vice-chef des Forces de défense, quels sont vos objectifs principaux ? Comment envisagez-vous de réformer les KDF et de les préparer à affronter les défis de sécurité du 21ème siècle ?
Lieutenant-général Kibochi : Je suis vice-chef ; par conséquent, mon objectif principal consiste à soutenir le chef des Forces de défense pour réaliser la mission des KDF en pratiquant nos valeurs fondamentales. Pour les KDF sur le terrain, du fait de la nature changeante de la menace, nous devons continuer à former efficacement nos troupes. Je travaillerai énergiquement sur ce point. La question se pose aussi d’améliorer nos systèmes de combat pour nous assurer d’être toujours prêts pour les missions de défense du pays. Je pense jouer un rôle tout à fait crucial pour soutenir mon chef afin de continuer à améliorer notre capacité de vaincre la menace, car cela est crucialement important. Nous devons continuer à avoir une formation correcte, intérieurement et avec nos partenaires, comme les forces armées des États-Unis. Nous continuerons à bâtir des partenariats dans les domaines qui sont cruciaux pour affûter notre pointe de flèche. Notre pointe de flèche, c’est les troupes qui se battent en Somalie et au-delà des frontières du Kenya.