AGENCE FRANCE-PRESSE
« Je n’ai pas une seule fois parlé le lokele, ma langue maternelle, depuis 62 ans que je vis à Kinshasa, déclare Charles Tongohala. Aucun de mes neuf enfants ne la parle. »
La langue maternelle de M. Tongohala est l’une des 450 langues parlées en République démocratique du Congo, pays tentaculaire de 71 millions d’habitants dont les langues, qui sont pour la plupart parlées mais pas écrites, représentent environ 9 % des 5.000 langues du monde.
Il était enfant lorsqu’il est venu dans la capitale, en provenance d’un village du Nord-Est qui est le foyer des Lokele, peuple de pêcheurs parlant le lokele et habitant le long des rives du gigantesque fleuve Congo.
Aujourd’hui à Kinshasa, ville grouillante de 10 millions de personnes, les gens parlent en général le français ou le lingala. Lorsque l’ancienne colonie belge est devenue indépendante en 1960, les autorités ont choisi le français comme langue officielle, bien que, même aujourd’hui, une partie de la population ne le comprenne pas.
Plus tard, lors d’une politique officielle de « retour vers l’authenticité », les autorités encouragèrent l’utilisation de quatre langues « nationales » à l’école primaire : le lingala (langue utilisée par les forces armées, à Kinshasa et dans le Nord-Ouest), le kikongo (dans l’Ouest), le tshiluba (dans le centre) et le swahili (dans l’Est).
Ces langues sont aussi utilisées dans les tribunaux régionaux et, dans certains médias, en même temps que le français.
Mais le lingala et le swahili, qui sont aussi parlés dans les pays voisins, sont beaucoup plus utilisés aujourd’hui que les deux autres langues.
En l’an 2000, le linguiste français Claude Hagège a averti dans un livre que la promotion des langues régionales telles que le swahili de préférence aux langues moins connues pourrait provoquer la disparition des langues indigènes mineures. Souvent, les personnes en pleine ascension sociale enseignent seulement le français à leurs enfants, ou le français et l’anglais.
La disparition d’une langue « est due à l’exode rural et à l’importance démographique, économique et culturelle » de ceux qui la parlent, déclare le linguiste Kadima Nzuji de l’université Marien-Ngouabi de Brazzaville. Donc, bien qu’il existe relativement peu de gens qui parlent le kinande ou le tetela, ces deux langues ont une bonne chance de survivre parce qu’elles sont parlées par une communauté commerciale dynamique, déclare-t-il.
Kambayi Bwatshia, professeur d’histoire à l’université UPN de Kinshasa, déclare que « les personnes âgées parlent la langue de leur village pour survivre » tandis que les jeunes, « surtout dans les grands centres urbains, s’adaptent à leur environnement ».
Ces deux universitaires, saluant les travaux des missionnaires chrétiens qui ont fait la chronique des langues locales à partir du 19ème siècle, déclarent que les documents que ceux-ci avaient écrits seront bientôt le seul vestige des langues minoritaires en voie d’extinction.