Le général de brigade Daniel Ziankhan affirme que les Forces armées du Liberia sont sorties plus fortes de la crise d’Ebola et sont prêtes à assumer leur rôle.
Le général de brigade Daniel Ziankhan est le chef d’état-major des Forces armées du Liberia (AFL). Nommé à ce poste de commandement en 2014, il est le premier Libérien à diriger l’armée depuis la fin de la guerre civile, en 2003. Avant d’occuper son poste actuel, il a servi comme commandant de peloton et comme assistant militaire du ministre de la Défense, comme assistant du chef d’état-major des opérations de l’AFL et comme officier exécutif et plus tard commandant de la 23e brigade d’infanterie. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences et arts militaires du Collège d’état-major général et de commandement de l’armée américaine. Il s’est entretenu avec ADF depuis Monrovia. Cette interview a été résumée pour des raisons d’espace.
Question : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la guerre civile au Liberia ? Comment cela vous a-t-il formé personnellement et cela a-t-il influé sur votre perception de l’importance de la sécurité nationale ?
Réponse : La guerre civile a touché chaque Libérien, qu’il ait été dans le pays ou non, et pendant la majeure partie, j’étais au Liberia. Lorsque la guerre civile a éclaté, j’étais à la fin de mon adolescence. J’étais le seul garçon parmi les neuf enfants de ma famille. Je savais que ma mère aurait le cœur brisé si elle venait à entendre que je participais à la guerre civile, alors j’étais toujours très proche d’elle. Nous avons dû fuir Monrovia pour nous réfugier dans l’arrière-pays dans le comté de Rivercess d’où je suis originaire. J’ai encore beaucoup de souvenirs de la guerre civile parce que j’ai dû revenir [à Monrovia] en 1992 pour poursuivre mes études, et c’était au moment de l’opération Octopus [une attaque sanglante contre la capitale par les forces fidèles à l’ex-président Charles Taylor]. La maison de mes parents a été réduite en cendres. J’ai perdu beaucoup de bons amis et de membres de ma famille. Alors, la guerre civile terminée, je pense que cela nous a touchés de plusieurs manières. Il y a beaucoup de mauvais souvenirs.
Question : L’un des impacts durables de la guerre civile a été le dommage causé à la réputation de l’armée aux yeux des civils libériens. Comment avez-vous collaboré avec les responsables civils libériens et partenaires internationaux pour restaurer l’image des forces armées ?
Réponse : C’est l’une des choses qui m’ont attiré vers l’AFL, parce que beaucoup de factions, dans les anciennes forces armées, dépendaient de la région dont elles étaient originaires et des alliances tribales et autres. Alors les gens n’avaient pas confiance dans l’armée. Donc ce qui a conduit certains d’entre nous à intégrer l’armée, c’était la possibilité de participer au processus de restructuration pour créer de nouvelles forces armées. On a affirmé, par le passé, que le système du mérite n’avait pas été suivi. Alors après l’accord de paix d’Accra, la CEDEAO [la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest] et le gouvernement américain ont pris les rênes pour restructurer l’armée et instaurer certaines normes. Cela nous a encouragés et c’est ce qui nous a amenés ici. Il y a encore beaucoup à faire, car la confiance est quelque chose qui se gagne. Elle ne s’achète pas et vous ne pouvez pas l’imposer aux gens.
Question : Que faites-vous pour gagner cette confiance ?
Réponse : Nous essayons d’entretenir une bonne relation civilo-militaire. Notre armée se rend maintenant dans l’arrière-pays du Liberia pour tenter d’effectuer des travaux de réhabilitation. Les ingénieurs et les unités médicales font un travail de proximité. De plus, nous enseignons à nos soldats comment se comporter au sein des communautés. Tout cela donne une certaine crédibilité à l’armée. Et pour la première fois depuis cinquante ans, nous participons au maintien de la paix internationale. Nous faisons partie de la MINUSMA [la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali].
Nous avons aussi relevé les normes d’éducation. Le minimum requis [pour intégrer l’armée] est le diplôme de fin d’études secondaires. Tous les officiers doivent avoir leur premier diplôme. Et, ce qui est bon à savoir, c’est que lorsque vous êtes passé du rang de capitaine à celui de commandant, vous devez aller au collège d’état-major général de commandement. Parmi mes officiers, au rang de capitaine et au-dessus, 90 pour cent ont une maîtrise. Considérant ce niveau d’éducation, je pense que cela aide à gagner la confiance des communautés. Mais l’éducation n’est pas suffisante ; vous devez adopter une attitude positive dans votre relation avec les gens.
Question : Passons à la flambée d’Ebola. En tant que nouveau chef d’état-major, quelle a été votre première pensée lorsqu’il a été clair que les AFL seraient en première ligne de la riposte contre Ebola ?
Réponse : Cela a été l’une de mes épreuves, si je peux m’exprimer ainsi. La flambée d’Ebola a commencé en 2014, juste après ma nomination, mais elle n’était pas encore mortelle sur une grande échelle à ce moment-là, parce qu’elle venait de se déclencher à la frontière avec la Guinée, dans le comté de Lofa. J’ai quitté ce front à peu près à la même époque en juillet pour me rendre à Boston, à la John F. Kennedy School of Government, et y suivre une formation de cadre supérieur. Pendant mon séjour, l’état d’urgence a été décrété et le président a ordonné le déploiement de l’armée pour aider à sécuriser des centres de traitement d’Ebola, et escorter des VIP et du personnel médical. Avant cela nous avions été en mission le long de la frontière et nous avions participé aux opérations Restaurer l’Espoir I et II le long de la frontière ivoirienne. Mais c’était la première fois que nous étions déployés dans la ville dans un tel rôle. L’un des problèmes auxquels nous avons été confrontés était le manque de logistique, parce que c’était en pleine saison des pluies, alors c’était difficile, car nous n’avions pas le type de véhicules nécessaire pour nous déplacer dans l’arrière-pays.
Question : Quels problèmes spécifiques avez-vous rencontrés dans la coordination avec les pays voisins comme la Sierra Leone et la Guinée dans la riposte contre l’Ebola ?
Réponse : La toute première chose dont je suis sûr, c’est que nous ne disposions pas de l’infrastructure pour traiter la crise de l’Ebola. Cela ne concernait pas seulement le Liberia, mais tout le bassin du fleuve Mano. Il n’y avait pas de plan d’urgence pour faire face à une telle épidémie. Il n’y avait pas de mécanismes de consultation. À qui s’adresser ? Personne ne voulait prendre d’initiative. Fallait-il s’adresser à cette ONG ou à ce ministre de la Santé, et qui était responsable ? Le problème était de savoir qui était responsable de toute l’opération et c’est ce qui a tout retardé. Dans mon pays, par exemple, le ministre de la Santé voulait être responsable, une ONG comme Samaritan’s Purse voulait réceptionner le matériel d’urgence qui arrivait. Les États-Unis venaient organiser l’Opération United Assistance ; nous avions aussi les gens de l’Union africaine et de la CEDEAO. Le problème était que nous n’avions pas de mécanismes de consultation. J’ai fini par prendre le téléphone pour parler à mes homologues en Guinée, en Côte d’Ivoire ou en Sierra Leone, mais ce n’était pas eux qui étaient responsables. Ils essayaient de soutenir les efforts des agents sanitaires ou peut-être de la police, ce qui était un grand problème. Mais je pense que tout de suite après il y a eu beaucoup de conférences et de consultation, et c’est pourquoi j’estime que la deuxième et la troisième vague de l’épidémie d’Ebola ont été facilement endiguées par rapport à la première vague.
Question : Êtes-vous convaincu que si la même chose se reproduisait, il y a maintenant un plan pour y faire face ?
Réponse : Oui, certainement. Il y aura toujours des divergences, mais, avec les enseignements tirés, je pense que nous pouvons faire face à 99,9 pour cent. Pour être sincère, la logistique restera un gros problème. Vous pouvez disposer de tous les mécanismes, avoir l’entraînement et les idées, si vous manquez de mobilité, vous êtes dans une situation critique. Disons que si nous devions nous rendre à 80 km de Monrovia, et qu’un pont a été coupé, la logistique restera un problème. Mais, vu la manière dont nous avons réagi à la deuxième, à la troisième et à la quatrième vague [de l’épidémie], je suis sûr que nous serons en mesure de surmonter cet obstacle.
Question : Quels grands changements apporteriez-vous dans la riposte à la flambée d’Ebola si vous deviez faire les choses différemment ?
Réponse : Si nous devions faire les choses différemment, non seulement moi, mais le commandement de l’armée, ne voudrions pas être déployés en première ligne, parce que nous ne sommes pas vraiment formés aux opérations de sécurité intérieure. Nous ne servirions que de soutien à la police nationale libérienne, qui ferait alors son travail. Nous ne devrions être là que pour les assister. Notre première responsabilité est de défendre l’intégrité territoriale de ce pays contre les menaces extérieures et intérieures, alors dans les cas de ce que nous appelons « les opérations militaires autres que la guerre », je pense que nous devrions essayer d’apporter notre aide. De plus, je pense que nous n’aurions pas dû utiliser des balles réelles parce que ce n’était pas une zone de guerre. Je pense que l’utilisation de balles à blanc et la prise d’autres mesures sont des choses que nous ferions différemment.
Question : Qu’avez-vous appris de la confrontation entre les AFL et les civils lors de l’application de la quarantaine à West Point ?
Réponse : Il y a eu des victimes. C’est l’un de mes plus grands regrets depuis que je suis chef d’état-major. Il y a eu beaucoup de réactions de la communauté internationale et des quotidiens locaux ; les journaux racontaient que les AFL avait tué des civils non armés, mais, comme je vous l’ai dit, ce sont des enseignements que nous avons tirés. Il est malheureux que des personnes aient perdu la vie. Aucun parent ne devrait enterrer un enfant, mais c’est comme ça. Ces événements n’ont pas défini les Forces armées du Liberia. Ces individus ont pris part à ce que j’appellerais le scandale de West Point. Ils ont été [punis conformément au Code uniforme de justice militaire]. C’est ce qu’il y a de bien dans les Forces armées du Liberia ; nous ne fusillons pas nos soldats, nous ne les cachons pas dans des casernes. Nous essayons de démasquer ceux qui ont mis l’armée dans l’embarras. C’est le devoir des institutions. Il y aura toujours des brebis galeuses et de mauvais éléments, mais l’incapacité d’une institution à punir ceux qui se placent au-dessus des lois en fait une mauvaise institution. Nous avons pu prendre des mesures concrètes. Aucun commandant militaire depuis l’Antiquité jusqu’aux temps modernes n’a pu contrôler les agissements de chaque soldat individuel, mais ce que peut faire ce commandant, c’est demander à chaque soldat de répondre de ses actes. C’est ce que nous avons fait et cela envoie un message.
Question : Pensez-vous que la riposte à la crise de l’Ebola a donné aux AFL une occasion de redorer son blason aux yeux des citoyens libériens ?
Réponse : Lorsqu’ils nous ont vus construire ces centres de traitement d’Ebola avec l’armée américaine et Screaming Eagles [la 101e Division aéroportée], cela a eu un impact. Nous étions dans le comté de Bomi et les citoyens ont vu notre corps d’ingénieurs faire son travail. Nous avons rehaussé notre image de marque au cours de l’un de ces moments où nous avons essayé de changer l’opinion du peuple libérien à l’égard de l’AFL.
Question : Le 1er juillet 2016 a marqué la fin officielle de la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL). Quelle étape importante représente le récent retrait des forces de la MINUL ? Comment évalueriez-vous la capacité de l’armée à assurer la sécurité dans l’ensemble du pays ? [Note de la rédaction : la MINUL a depuis accepté de prolonger son mandat jusqu’à la fin 2016, bien que les AFL aient repris l’entière responsabilité de la sécurité dans le pays].
Réponse : Certains ne sont pas contents parce qu’ils étaient habitués à la présence internationale. La guerre civile au Liberia s’est terminée en 2003, et depuis, la communauté internationale a été présente. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas confiance en leur propre système de sécurité, mais ils se demandent si le retrait de la MINUL n’ouvrirait pas la voie à une autre guerre civile. Ces sentiments sont normaux. Certaines personnes sont encore en train de panser leurs plaies, d’autres sont encore traumatisées. L’épreuve décisive viendra lorsque les Nations Unies se retireront et que les gens verront comment nous réagissons aux problèmes. C’est l’ironie de la situation. Pour la première fois, ce sont les Forces armées du Liberia et la police nationale libérienne qui font tout le travail ; la MINUL observe depuis les coulisses. Par exemple, cela fait plus de deux mois que nous avons repris la responsabilité du déminage. Notre équipe d’intervention a ramassé tous les restes explosifs de la guerre. La police nationale libérienne a effectué toutes les patrouilles. Mais les gens ont des raisons légitimes d’être prudents à cause de la folie de la guerre civile, et depuis la fin de sa mission, la MINUL est la seule force qu’ils aient connue. Mais la seule bonne chose c’est que nous y avons été préparés. Et alors que la MINUL était une force multinationale que nous ne pouvons égaler en hommes et en matériel, ce que nous pouvons faire c’est nous déployer stratégiquement et essayer de collaborer avec la population. La sécurité nationale est un puzzle et chacun doit apporter une pièce à ce puzzle. Le succès repose sur les épaules des citoyens. C’est pourquoi nous avons une bonne relation civilo-militaire avec eux. Ce sont ces gens que nous essayons de défendre, mais nous avons aussi besoin de leur intelligence pour interagir avec eux, ce n’est donc pas une voie à sens unique. Je suis sûr que l’AFL jouera son rôle et si d’autres éléments de l’appareil sécuritaire jouent leur rôle et chacun connaît son rôle, nous pouvons coopérer pour une sécurité totale.