PERSONNEL D’ADF
Alors que le Burkina Faso essaie de regagner sa stabilité après le deuxième coup d’État militaire en neuf mois, le pays cherche à répondre à plusieurs questions cruciales. Quelles sont les chances du retour à un régime civil ? Comment les coups d’État affecteront-ils la lutte contre le terrorisme ? Y aura-t-il d’autres coups d’État ?
Les réponses à ces questions définiront l’avenir du pays.
La voie vers un nouveau gouvernement
Depuis le 30 septembre lorsque le capitaine Ibrahim Traoré a saisi le pouvoir, des appels nationaux et internationaux ont été lancés pour un retour rapide à un régime civil. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait conclu un accord avec la junte précédente pour organiser des élections avant le 2 juillet 2024, sans que les leaders du coup d’État ne puissent se porter candidats. Le capitaine Traoré déclare qu’il se conformera à ces conditions et l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou qui joue le rôle de médiateur au nom de la CEDEAO est optimiste au sujet des élections.
« Je peux déjà vous assurer que la CEDEAO restera aux côtés du peuple burkinabé, a-t-il dit. Nous continuerons à accompagner le peuple burkinabé dans cette épreuve très difficile qu’il traverse. »
Certains pensent que ces délais sont trop longs.
Un groupe de réflexion du Faso appelé Centre pour la gouvernance démocratique a exhorté l’armée à céder immédiatement le pouvoir, retourner dans ses casernes et faire place à un gouvernement de transition inclusif et dirigé par des civils. « La constitution est suprême comparé à toute autre disposition légale, quelles que soient les circonstances exceptionnelles », a déclaré le centre dans un document publié le 12 octobre à la suite de la session d’un groupe de travail.
Mais il y a des indications selon lesquelles le capitaine Traoré consolide le pouvoir. Après un forum national de deux jours les 14 et 15 octobre, il a signé une charte donnant à ses alliés une majorité des sièges de la législature et des rôles de dirigeants dans le gouvernement de transition. Le 21 octobre, il a prêté serment en tant que chef de l’État lors d’un petit événement auquel les représentants étrangers n’ont pas participé.
Il a utilisé une réunion des 10 et 11 novembre avec les chefs de l’ancien parti au pouvoir du pays pour dénoncer la classe politique qui avait « tout fait pour abandonner certains peuples ». Il a réprimandé les participants et déclaré que le gouvernement avait « presque perdu » le contrôle d’une grande partie du pays.
« Tout le monde doit pouvoir faire un mea culpa et se demander : “Qu’est-ce que j’apporte à cette patrie ?” »
La sécurité se détériore
Les leaders des deux coups d’État ont justifié leur prise de pouvoir comme réponse à l’insécurité. Toutefois, le régime militaire a manqué d’assurer la paix.
Selon un rapport du Centre africain pour les études stratégiques, le pays est sur le point de signaler plus de 1.500 événements violents et 3.800 morts en 2022. Ceci représente une augmentation de 35 % par rapport à l’année précédente.
Le deuxième coup d’État militaire aurait pu détourner des ressources affectées aux premières lignes de la lutte contre le terrorisme. Des unités déployées dans la région Centre-Nord dans le cadre de l’opération antiterroriste Laabingol 2 ont pris part au coup d’État. De même, une opération prévue dans l’Ouest pour libérer des communes occupées par le groupe extrémiste Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin a été suspendue à cause du coup d’État, selon le cabinet-conseil de recherche MENASTREAM.
« Si l’insécurité généralisée et l’urgence humanitaire sont citées comme des arguments (ce qui pourrait être simplement des prétextes) pour le coup d’État récent, il faudrait noter que toutes les opérations militaires de grande échelle qui étaient en cours d’exécution ou de lancement ont été suspendues pendant le coup d’État le plus récent », a écrit MENASTREAM sur Twitter le 23 octobre.
Les premières données sur la situation sécuritaire du régime Traoré ne sont pas prometteuses. L’expert en matière de sécurité Mahamaoudou Sawadogo, s’exprimant sur la station de télévision indépendante BF1, a déclaré que, pendant les trente premiers jours après la saisie du pouvoir par la junte, le pays a subi trois ou quatre attaques par jour, et cinq morts par jour.
« Les terroristes ont profité du flottement, du fait que les militaires étaient préoccupés à asseoir leur pouvoir à Ouagadougou, pour multiplier les raids meurtriers », selon un reportage de l’Économiste du Faso.
Une initiative lancée par le capitaine Traoré vise à recruter 50.000 civils pour renforcer la lutte antiterroriste. Environ 15.000 serviraient aux côtés des unités de combat et 35.000 de plus feraient partie des groupes de défense civils appelés les Volontaires pour la défense de la Patrie, qui protègent les communes rurales contre les attaques, indique le quotidien Le Monde. Les critiques avertissent que ce plan pourrait aggraver la violence intercommunale.
Il va y en avoir d’autres ?
Les leçons de l’histoire montrent que les coups d’État ont tendance à suivre des cycles. Après deux coups d’État, les experts craignent que d’autres putschistes ne puissent très facilement en lancer un autre. Cela pourrait être encore plus probable si la situation sécuritaire continue à se détériorer ou si les élections sont retardées.
David Otto Endeley, directeur du contre-terrorisme au Centre pour la sécurité africaine et les études stratégiques en Suisse, a déclaré à Voice of America : « Je pense qu’il serait très difficile pour la junte militaire actuelle de survivre sans craindre un contre-coup d’État potentiel. Il existe une possibilité de contre-coup d’État et, si c’est le cas, il y aura encore plus d’instabilité. »