LES PAYS DU GOLFE DE GUINÉE SE RÉUNISSENT AU GHANA POUR NOUER DES PARTENARIATS CONTRE LA CRIMINALITÉ MARITIME
Un pétrolier avec à son bord neuf membres d’équipage naviguait dans le golfe de Guinée au large des côtes du Nigeria en janvier 2015. Rapidement, le navire est devenu victime d’une menace régionale commune.
Près de Warri, au Nigeria, huit pirates lourdement armés sont montés à l’abordage du navire, qui faisait route vers un port du Togo, et en ont pris le contrôle. Le MT Mariam a poursuivi sa route vers la côte ouest-africaine. La plus grande partie de ce parcours est enveloppée de mystère.
À un moment, les pirates doivent avoir rapproché le Mariam pour l’immobiliser parallèlement à un autre navire contrôlé par des complices. Les deux équipages ont collaboré pour vider le Mariam des 1.500 tonnes de pétrole brut qu’il transportait. D’après Reuters, les forces du Bénin, du Ghana, du Nigeria et du Togo sont parties à la recherche du navire transportant la cargaison volée.
Alors que le navire traversait les eaux territoriales du Togo avant d’entrer dans le domaine maritime du Ghana, quelque chose de très simple — mais d’une importance cruciale — s’est produit : le chef d’état-major de la Marine togolaise a pris le téléphone et a appelé son homologue au Ghana, le contre-amiral Geoffrey Biekro.
Le contre-amiral Biekro a assuré son collègue qu’il s’occuperait de cette affaire. Le GNS Blika, commandé par le capitaine de corvette Michael Duvor, a été dépêché vers le navire détourné à 26 milles nautiques au sud-ouest de la ville portuaire ghanéenne de Tema, d’après le quotidien ghanéen Daily Graphic. Là, la Marine ghanéenne a arraisonné le navire sans faire de blessés du côté des membres de l’équipage, des criminels ou des marins. La Marine a récupéré quatre fusils d’assaut AK-47, 300 munitions, un fusil à pompe, 18 téléphones portables, près de 1.500 dollars et trois radios VHF portatives.
Seulement deux mois auparavant, le contre-amiral Biekro avait fait appareiller deux navires de la Marine ghanéenne vers le Togo et le Bénin, avec une fanfare de la marine jouant à bord. À chaque escale, le contre-amiral Biekro et ses homologues des marines locales se sont entretenus de formations communes, de visites d’échange et d’échanges d’informations et de renseignements. Les commandants ont signé des communiqués communs consolidant leurs engagements.
« Très bientôt nous commencerons des manœuvres conjointes en mer, et nous nous sommes également entretenus du droit de poursuite immédiate dans les zones territoriales ou zones économiques exclusives des autres pays, qui sera approuvé par nos gouvernements respectifs », a expliqué le contre-amiral Biekro à ADF. « Lors de ces discussions, l’engagement et l’enthousiasme de mes homologues ont clairement montré que nous sommes en bonne voie de remporter un grand succès ».
LA PUISSANCE DES PARTENARIATS
La zone maritime de l’Afrique de l’Ouest est vaste, le littoral s’étendant de l’Angola au Sénégal. Il comprend le golfe de Guinée, qui se trouve au croisement d’une grande diversité d’activités commerciales et criminelles, parfois avec des conséquences violentes. De nombreuses marines ouest-africaines sont limitées dans leur capacité de patrouiller efficacement dans leurs eaux territoriales et leurs zones économiques exclusives, qui s’étendent jusqu’à 200 milles nautiques du littoral.
Cette zone, avec le nombre de navires qui y transitent, est trop importante pour que l’un ou l’autre des pays riverains puisse la prendre en charge seul. En raison de leur nombre — ils sont 17 en tout — les pays doivent respecter la souveraineté de leurs voisins en mer. Les partenariats bilatéraux et multilatéraux sont la seule manière de lutter contre les pirates, les voleurs de pétrole et les opérations de pêche illégale.
Les ouvertures de la Marine ghanéenne à l’égard du Togo et du Bénin en novembre 2014, ainsi que la visite du contre-amiral Biekro à son homologue de Côte d’Ivoire en février 2015, en vue de renforcer la coopération et l’échange d’informations, témoignent des possibilités.
« Les criminels tirent parti de nos frontières maritimes internationales mal définies afin de commettre des délits dans un pays et de se rendre immédiatement dans d’autres pays pour échapper aux arrestations », observe le contre-amiral Biekro.
Accra, au Ghana, est devenue une plaque tournante de la coopération maritime en mars 2015 avec deux événements majeurs. Tout d’abord, la Conférence sur la surveillance maritime et côtière en Afrique (CAMSA) a réuni des officiers supérieurs de marine, des experts internationaux en sécurité maritime et des fournisseurs afin d’examiner les meilleures pratiques et les technologies disponibles en vue de protéger le domaine maritime.
Quelques jours plus tard, l’Exercice Obangame Express 2015, un exercice naval multinational, a commencé dans le golfe de Guinée.
UN EXERCICE S’APPUYANT SUR LE RASSEMBLEMENT
« Obangame » vient du fang, une langue du sud du Cameroun et d’autres régions de l’Afrique centrale. Ce terme signifie « rassemblement », un nom bien choisi pour cet événement se déroulant dans le golfe de Guinée. L’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique parraine cet exercice annuel, qui a réuni 23 pays : l’Angola, la Belgique, le Bénin, le Brésil, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Danemark, la Guinée équatoriale, la France, le Gabon, l’Allemagne, le Ghana, le Nigeria, la Norvège, le Portugal, la République du Congo, Sao Tomé et Príncipe, l’Espagne, le Togo, la Turquie, le Royaume-Uni et les États-Unis.
L’exercice avait de nombreux objectifs et s’est déroulé sur plusieurs niveaux. Sa finalité était d’aider les pays africains à mettre en œuvre le Code de conduite de Yaoundé, signé au Cameroun en juin 2013 par plus de 20 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. À travers cet exercice, ces nations conviennent de coopérer autour de la sécurité maritime en échangeant et en communiquant les informations, en interdisant le passage de navires soupçonnés d’activités illégales, en appréhendant et en poursuivant en justice les criminels, et aussi en prenant en charge et en rapatriant les marins soumis à des activités illégales.
Obangame Express a testé et renforcé ces capacités de plusieurs manières. Quatre scénarios majeurs se sont déroulés en mer, à l’aide de gros navires des États-Unis, du Brésil et de pays européens. Deux des scénarios comprenaient le détournement d’un pétrolier. L’un de ces scénarios reproduisait une situation de contrebande d’armes, et l’autre une situation de pêche illégale, non déclarée et non réglementée.
Ces scénarios se sont déroulés dans les eaux du golfe, de l’Angola au Ghana, avec la participation de huit gros navires. Le personnel travaillant dans les Centres d’opérations maritimes (COM) nationaux suivait les navires dès qu’ils se déplaçaient le long des côtes. Les scénarios ont testé les aptitudes individuelles des pays à effectuer ce suivi, tout en répondant aux intrants provenant d’un groupe de contrôle de l’exercice multinational stationné au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix (KAIPTC) à Accra.
À mesure que les navires quittaient les eaux d’un pays et entraient dans celles d’un autre pays, le COM du premier pays transférait le suivi du navire à l’autre pays. Cela a permis de tester l’aptitude d’un pays à communiquer efficacement avec les pays voisins en matière de menaces maritimes.
Les pays participants ont utilisé les gros navires pour des exercices d’arraisonnement et de perquisitions et saisies, afin d’améliorer leur aptitude à appréhender les navires ou bateaux détournés se livrant à des activités illégales dans leurs eaux.
CONFIRMER LES POINTS FORTS, METTRE EN ÉVIDENCE LES POINTS FAIBLES
L’objet d’un exercice tel qu’Obangame Express est d’aider les pays à se rendre compte des améliorations qui sont nécessaires pour assurer une collaboration multinationale efficace. Le lieutenant de vaisseau Michael Asiamah, officier chargé du COM au quartier général de la Marine ghanéenne, a affirmé qu’il avait, tout comme ses subordonnés, tiré des enseignements de leur participation.
Le lieutenant de vaisseau Asiamah a indiqué que ses subordonnés ont été en mesure de communiquer efficacement avec d’autres pays, en particulier le Togo et la Côte d’Ivoire. Toutefois, l’exercice a attiré l’attention sur la barrière linguistique. « Il a mis en évidence le fait que l’utilisation du français comme deuxième langue améliorerait les choses et nous serait bénéfique, nos pays voisins parlant français, a-t-il observé. Je pense qu’en ce qui concerne la barrière linguistique — au moins pour ceux d’entre nous qui appartiennent au COM, à divers COM — il serait raisonnable que nous ayons des connaissances de base du français. »
À l’avenir, il faudra relever des défis semblables, mais déjà une certaine forme de collaboration efficace est à l’œuvre dans le golfe de Guinée.
« OPÉRATION PROSPÉRITÉ »
En 2011, les eaux au large de l’Afrique de l’Est — et plus particulièrement dans le golfe d’Aden — étaient encore le point focal mondial pour la piraterie. Toutefois, en septembre de cette année-là, les incidents dans le golfe de Guinée ont atteint un tel niveau que le président béninois Thomas Boni Yayi a contacté son homologue nigérian pour solliciter l’aide du pays en vue de patrouiller dans les eaux situées au large de ses côtes adjacentes.
L’accord qui en a résulté a été à l’origine de l’ « Opération Prospérité ». Joana Ama Osei-Tutu, associée de recherche au KAIPTC, explique que dans le cadre de l’Opération Prospérité, « la Marine nigériane fournit les navires et l’essentiel de la logistique et des ressources humaines pour l’opération, tandis que la Marine béninoise ouvre ses eaux aux patrouilles des navires de la Marine nigériane. Le Bénin accueille également le quartier général de l’Opération Prospérité à Cotonou ».
L’Opération Prospérité assure le passage des navires en toute sécurité, une protection contre l’exploitation des ressources, et contribue à empêcher que les attaques dans les eaux du Bénin ne débordent dans le domaine maritime du Nigeria, poursuit Joana Osei-Tutu.
Lorsque les criminels « s’en donnent à cœur joie dans les eaux d’un pays », comme ils l’ont souvent fait près de la côte du Nigeria, il leur est nécessaire de fuir vers un territoire maritime d’un autre pays pour éviter d’être capturés, affirme Joana Osei-Tutu à ADF. Au début, les voleurs de pétrole se livraient au détournement et au transbordement du pétrole dans les eaux du Nigeria. « Mais lorsque le Nigeria a commencé à fermer ces anses et à colmater ces brèches, il leur fallait un endroit où se rendre pour continuer leurs affaires. Alors ils levaient l’ancre et quittaient le Nigeria pour mettre le cap sur le prochain endroit le plus sûr … qui est le Bénin ».
L’Opération Prospérité, qui devait à l’origine durer six mois, a été prolongée. Joana Osei-Tutu estime qu’elle représente un modèle de coopération efficace.
LES ZONES RENDENT LES PARTENARIATS POSSIBLES
Alors que les experts en sécurité navale et maritime se préparaient pour la CAMSA et Obangame Express au Ghana, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a inauguré le centre de coordination maritime multinational de Cotonou, au Bénin, destiné à la Zone appelée Pilote E. La zone comprend le Bénin, le Niger, le Nigeria et le Togo. D’après une analyse de l’Institut d’études de sécurité, le centre coordonnera les activités conjointes, notamment les patrouilles, l’échange d’informations, la formation et les exercices.
La Zone Pilote E fait partie de la Stratégie maritime intégrée de la CEDEAO (cf. page 13) et découle du sommet de Yaoundé de juin 2013, qui a produit le Code de conduite. Deux autres zones ont été établies entre les pays de la CEDEAO : la Zone F comprenant le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone et la Zone G comprenant le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali et le Sénégal. Ni la Zone F ni la Zone G n’est opérationnelle, mais le Ghana et d’autres observeront les opérations dans la Zone E.
La Communauté économique des États de l’Afrique centrale a établi les Zones A et D. La Zone A comprend l’Angola, le Burundi, la République démocratique du Congo et la République du Congo. La Zone D, qui a été la première zone à devenir opérationnelle, comprend le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale et Sao Tomé et Príncipe. Son centre régional se trouve à Douala, au Cameroun. Le contre-amiral Hervé Nambo Ndouany, chef d’état-major spécial affecté auprès du président du Gabon, a indiqué à ADF que la coopération dans la Zone D avait été « très fructueuse » et que les pays de cette zone avaient partagé leurs expériences avec la CEDEAO.
ÉCHANGER LES INFORMATIONS, À L’EXTÉRIEUR ET À L’INTÉRIEUR
L’échange d’informations et le partage des ressources entre les pays voisins peuvent accroître la capacité de combattre la piraterie et d’autres formes de criminalité maritime. D’après Joana Osei-Tutu, pour faciliter cela, il faut que les dirigeants des divers pays établissent des relations personnelles les uns avec les autres. Cette approche permet aux responsables d’échanger des informations et de prendre des mesures, plutôt que de devoir attendre que ses informations remontent vers la chaîne de commandement ou en redescendent, ce qui peut prendre du temps et être inefficace.
Lorsque le MT Mariam a mis le cap vers les eaux ghanéennes, le chef d’état-major de la Marine togolaise a appelé le contre-amiral Biekro. Ce dernier a fait en sorte qu’un navire soit dépêché pour intercepter le Mariam et arrêter les bandits se trouvant à bord. « Alors j’ai appelé mon homologue [pour lui dire] que le navire avait été arraisonné, et qu’il devrait envoyer son personnel afin que soient menées diverses enquêtes, explique le contre-amiral Biekro. Et cela a été fait ».
Toutefois, ce n’est qu’une partie d’un puzzle complexe. Chaque pays dispose de divers services en plus des marines nationales : les services de l’immigration, les douanes, la police maritime, les autorités portuaires, les services de répression du trafic de drogue et les garde-côtes. Tous ces services devront également être disposés à partager leurs informations entre eux.
« Nous ne sommes pas aux Jeux olympiques, rappelle Joana Osei-Tutu. Il n’y a pas de médaille d’or si c’est la marine qui les attrape et non pas la police maritime. Il n’y a pas de médaille non plus si ce sont les garde-côtes qui les arrêtent et non pas les services de police. Il n’y a pas de récompense pour celui qui y est arrivé en premier. »
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