LES INSTITUTIONS RECHERCHENT DE NOUVELLES MÉTHODES POUR MIEUX FORMER LES GARDIENS DE LA PAIX
Les opérations de maintien de la paix sont parfois appelées un paradoxe car elles exigent la capacité d’utiliser la force et la retenue de ne pas l’utiliser. L’ancien secrétaire général des Nations unies Dag Hammarskjöld avait résumé ce défi en disant : « Le maintien de la paix n’est pas une tâche de soldat, mais seulement les soldats peuvent l’accomplir ».
Les gardiens de la paix modernes font face à un défi colossal. Ils doivent se déployer dans un pays étranger dont ils pourraient ne pas parler la langue. Ils doivent évaluer rapidement la situation sur le terrain, là où une guerre vient à peine de se terminer ou se poursuit toujours. Ils doivent encourager le dialogue entre les belligérants, protéger les civils, respecter le droit international, agir dans les limites du mandat de la mission, etc.
À cause de la complexité du maintien de la paix moderne, la formation est vitale. Mais quelle est la meilleure façon d’optimiser cette formation en présence des limites de financement et de temps ?
Le personnel de l’ONU participant aux missions de maintien de la paix suit trois phases de formation. La formation avant déploiement est un cours intensif sur tout ce qu’un gardien de la paix doit savoir avant de rejoindre une mission. Elle dure en général deux semaines. Une formation d’intégration particulière à la mission est fournie dans le pays et rappelle certains sujets enseignés lors de la phase avant déploiement tout en offrant de nouvelles informations spécifiques sur la mission. Elle dure entre 1 et 6 jours. Une formation continue est fournie pendant le déploiement. Elle pourrait inclure une formation spécialisée, des cours de perfectionnement professionnel ou des aptitudes techniques.
Les critiques soulignent que le volume d’information que les gardiens de la paix sont censés maîtriser avant leur déploiement est énorme. Par exemple, une session avant déploiement de deux semaines pour les officiers de police participant à l’opération hybride de l’Union africaine et des Nations unies à Darfour couvrait 21 sujets, y compris la lecture des cartes, l’utilisation des radios, le mandat de la mission et la sensibilisation aux mines terrestres.
« Comment est-ce qu’on peut s’attendre à ce que les gens apprennent tous ces sujets, puis les appliquent dans un environnement de conflit, sous un délai de deux semaines ? », écrit la chercheuse Anne Flaspoler. « ‘Ambitieux’ est un qualificatif approprié de ce programme ! »
Les formateurs et les pays contributeurs de soldats recherchent des améliorations.
LES CENTRES DE FORMATION DE MAINTIEN DE LA PAIX
Les options de formation se sont multipliées au cours des 25 dernières années, à mesure que les opérations de maintien de la paix se sont étendues et que davantage de pays sont devenus contributeurs de soldats. Il existe aujourd’hui des instituts de formation et des modules de formation prêts à l’emploi qui peuvent être adaptés aux besoins des déploiements. L’Association internationale de centres de formation de maintien de la paix a été fondée en 1995 pour aider ces instituts à partager leurs informations. Elle regroupe 265 membres, notamment des agences gouvernementales, des universités, des groupes de réflexion et des organisations régionales.
Les pays africains jouent un rôle de premier plan parmi les effectifs des missions de maintien de la paix. À tout moment, 60.000 soldats provenant de 39 pays africains participent aux opérations de soutien de la paix dans le monde entier. Des pays tels que le Ghana, le Rwanda, le Sénégal et l’Afrique du Sud ont acquis de vastes connaissances relatives au maintien de la paix, au cours d’opérations qui remontent à plusieurs décennies.
Les ressources locales de formation enregistrent aussi une croissance sur le continent. En 2004, le Ghana a ouvert le Centre international de formation de maintien de la paix Kofi Annan (KAIPTC). Il s’agit d’un centre de formation pour le personnel originaire de toute l’Afrique de l’Ouest, qui offre la formation avant déploiement et d’autres types de formation aux soldats, policiers et civils qui participent aux opérations de soutien de la paix. Depuis son ouverture, le centre a offert plus de 400 classes à plus de 11.000 personnes. En plus du KAIPTC, il existe 7 autres instituts de formation de maintien de la paix en Afrique.
Les partenaires étrangers y contribuent aussi. Depuis 1997, le programme Formation et assistance des opérations d’urgence en Afrique (ACOTA) financé par le département d’État des États-Unis a formé des centaines de milliers de gardiens de la paix provenant des pays africains.
À mesure que les pays développent leur capacité de formation, ils cherchent à la rendre plus efficace.
FOCUS SUR LES RÉSULTATS
La formation a été traditionnellement mesurée en fonction du temps passé en salle de classe ou du nombre de certifications remises. Ce sont des références simples mais elles ne mesurent pas l’efficacité de la formation.
Les évaluations plus récentes mesurent l’acquisition et l’utilisation des aptitudes par les soldats formés. Si par exemple on enseigne à un gardien de la paix que dans certaines circonstances il doit intervenir pour protéger les civils, il n’est pas suffisant de montrer cela simplement sur une transparence de PowerPoint. La seule façon de savoir si le gardien de la paix a assimilé cette information est de constater comment il réagit dans un scénario complexe et nuancé.
Voilà la différence entre le transfert des connaissances et le changement de comportement, déclare Mme Flaspoler dans son livre : African Peacekeeping Training Centres: Socialisation as a Tool for Peace? (Les centres africains de formation de maintien de la paix : socialisation en tant qu’outil de la paix ?)
« Les connaissances et l’engagement ne suffisent pas, étant donné les complexités auxquelles les gardiens de la paix font face, écrit Mme Flaspoler. Les gardiens de la paix ne peuvent pas être préparés à affronter la complexité éthique des réalités retrouvées dans la mission si on leur enseigne [uniquement] des codes de conduite et des lois. »
Suzanne Monaghan, anciennement du Centre Pearson pour le maintien de la paix au Canada, déclare que beaucoup d’anciennes méthodes d’instruction ne conviennent pas aux gardiens de la paix. Elle a constaté que les adultes mémorisent 10 % de ce qu’ils lisent, 20 % de ce qu’ils écoutent et 90 % de ce qu’ils font. « Nous ne pouvons pas enseigner un cours pendant 15 jours et penser que les étudiants repartiront de la salle de classe en sachant parfaitement ce qu’il faut faire, écrit Mme Monaghan. Nous devons engager activement les participants dans les jeux de rôle, les discussions en petits groupes et la résolution des problèmes. »
Le service de formation intégrée de l’ONU s’efforce de mesurer l’impact avec de meilleures évaluations pendant le déploiement. Ces évaluations suivent une approche de 360 degrés grâce à des entretiens non seulement avec les gardiens de la paix mais aussi avec les commandants, les collègues et les civils.
En 2018, Jean-Pierre Lacroix, sous-secrétaire général pour les opérations de maintien de la paix, annonce des évaluations plus rigoureuses des performances des soldats, en mettant l’accent notamment sur le commandement et le contrôle, la protection des civils, la conduite et la discipline. L’ONU cherche aussi à évaluer plus rigoureusement la formation avant déploiement en vérifiant l’état de préparation des unités avant qu’elles ne soient déployées sur le terrain.
« Nous portons beaucoup d’attention à l’amélioration de l’évaluation des performances, déclare M. Lacroix. Nous mettons en œuvre les politiques et les systèmes d’évaluation qui permettront à nous tous, collectivement, de mieux adapter nos efforts pour renforcer le maintien de la paix. »
Toute formation est sujette à l’obsolescence. Les soldats formés pour des tâches militaires ont des aptitudes qui diminuent au bout de 60 jours. Après 180 jours en moyenne, ils perdent 60 % de ce qu’ils ont appris, selon l’Institut de recherche de l’Armée de terre des États-Unis pour les sciences comportementales et sociales. « Un gardien de la paix formé dans le passé n’est pas un gardien de la paix formé aujourd’hui », écrit Daniel Hampton du Centre africain pour les études stratégiques.
C’est pourquoi la formation sur le maintien de la paix doit être renforcée régulièrement. L’ONU offre une formation aux forces pendant leur déploiement. Elle a récemment créé des équipes de formation mobiles (MTT) qui se concentrent sur la formation particulière à la mission dans le pays. Par exemple, une MTT spécialisée dans la lutte contre les engins explosifs improvisés pourrait être déployée au Mali pour aider les gardiens de la paix à faire face aux menaces asymétriques.
Mais le problème concernant la perte des aptitudes est fondamental. Les pays contributeurs de soldats peuvent conserver leur capacité de formation seulement s’ils préservent les unités pendant des périodes prolongées et s’ils développent leur propre groupe de formateurs. Ceci est difficile car les unités de maintien de la paix sont en général sujettes à rotation tous les 6 mois, et une grande partie de la formation avant déploiement est conduite par des formateurs internationaux.
Des organismes tels que l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche ont investi dans des programmes de formation des formateurs pour aider à développer les capacités nationales de formation de maintien de la paix parmi les pays contributeurs de soldats.
« Idéalement, un groupe professionnel de formateurs de maintien de la paix existerait au sein du système [d’éducation militaire professionnelle] d’une force de défense dans une école ou dans un centre de formation de maintien de la paix institué », écrit M. Hampton.
Dans le but d’encourager la continuité, l’ONU a créé le Système de préparation des moyens de maintien de la paix (PCRS). Dans le cadre du PCRS, les pays s’engagent à assurer la préparation des unités pour leur déploiement dans un délai de 60 jours à la suite d’une demande faite par le secrétaire général. Ces unités s’entraînent ensemble, elles possèdent leur propre équipement et elles sont évaluées régulièrement pour assurer une performance élevée.
Ceci permet d’éviter les requalifications répétées, le manque d’équipement et le manque de cohésion. Un responsable de l’ONU a déclaré que les opérations de maintien de la paix ressemblaient à la construction d’une caserne de pompiers après l’incendie de la maison. Ils espèrent que le PCRS changera cette dynamique en améliorant la préparation.
« Nous avons maintenant une caserne de pompiers, nous avons un camion de pompiers. Nous avons des capacités qui nous sont affectées et qui peuvent être déployées », déclare le responsable de l’ONU.
GAGNER LES CŒURS ET LES ESPRITS
Les opérations de maintien de la paix sont plus efficaces lorsque la mission gagne la confiance et le soutien de la population locale. Pour cela, il faut une formation spécialisée.
L’un des obstacles principaux empêchant de gagner le soutien des habitants est l’insuffisance de la formation culturelle. Un rapport de 2012-2013 publié par l’ONU sur la formation de maintien de la paix indique que les briefings fournis aux gardiens de la paix sur la sensibilisation culturelle sont insuffisants et qu’une formation plus approfondie est requise.
Le brigadier-général Emmanuel Kotia du Ghana qui a participé à la mission de l’ONU au Liban se souvient que, pendant cette mission, des gardiens de la paix avaient bu de l’alcool en public, ce qui avait provoqué la colère des civils libanais. En outre, l’ONU n’avait pas consulté les chefs locaux au sujet des projets de construction de route, ce qui avait conduit à des retards et des obstructions. Ce genre de faux pas culturel était facilement évitable.
Le général Kotia déclare que les gardiens de la paix, et notamment les officiers, doivent posséder les outils nécessaires pour toucher le cœur du public. « Buvez du thé avec eux, déclare le général Kotia. Invitez-les à des activités sociales et à des tournois sportifs. Ce sont vos partenaires. »
Pour reproduire ces situations, certains instituts de formation de maintien de la paix ont créé des villages fictifs avec des acteurs jouant le rôle de résidents et des scénarios épineux.
La médiation et la gestion des conflits peuvent aussi aider. Les gardiens de la paix bien formés peuvent servir de médiateurs de confiance qui peuvent conclure des accords entre les parties en conflit. L’Institut des États-Unis pour la paix (USIP) par l’intermédiaire de l’ACOTA offre un cours de formation en gestion des conflits pour les gardiens de la paix. Cet institut a formé 5.700 gardiens de la paix à l’aide des exercices empiriques, de la résolution des problèmes basée sur scénario et du jeu de rôle.
Dans une étude de 2017 sur la formation de médiation, l’USIP a constaté que les gardiens de la paix pensaient que c’était l’une des aptitudes les plus utiles qu’ils possédaient pour participer aux missions. Presque toutes les personnes interviewées voulaient davantage de formation sur la sensibilisation culturelle et sur la façon d’utiliser le dialogue pour désamorcer les conflits.
« Si vous partez en mission, vous n’y allez pas pour employer la force », a déclaré un soldat togolais à l’USIP. « En cas de problème ou de conflit quelconque, la première chose que vous devez faire est d’utiliser la négociation. … Vous devez être un bon soldat en parlant aux gens, en essayant de comprendre le problème. »