Les phénomènes météorologiques répétés peuvent aggraver les problèmes de sécurité
Sur un continent sujet à une vaste gamme de catastrophes écologiques, le cyclone tropical Idai s’est fait remarquer. Cette tempête exceptionnellement dévastatrice a frappé l’Afrique du Sud-Est le 15 mars 2019, en s’acharnant sur le Mozambique mais aussi sur le Malawi et le Zimbabwe voisins.
La tempête pourrait être la plus grande catastrophe qui ait jamais frappé l’hémisphère austral, selon les Nations unies. Un mois après le passage du cyclone, il est estimé que 3 millions de personnes nécessitaient une assistance humanitaire, plus de 1.000 personnes avaient perdu la vie et des centaines d’autres étaient portées disparues, selon un reportage de Mercy Corps.
Le 25 avril 2019, le cyclone Kenneth frappe la côte du Mozambique, cette fois-ci au Nord-Est du pays. Idai était survenu au moment où le pays allait commencer sa saison de récoltes. Kenneth s’accompagne de pluies fortes et d’inondations à Pemba, ville de 200.000 habitants dans la province de Cabo Delgado. En date du 28 avril, cette tempête a tué cinq personnes et détruit des maisons. La pluie a inondé une région sujette aux glissements de terrain et aux inondations, ce qui a fait craindre aux résidents la crue des eaux des fleuves et l’inondation d’une vaste zone, selon The Guardian du Royaume-Uni. La province est depuis quelque temps la cible d’attaques mortelles par des militants.
Deux tempêtes en moins de deux mois, dans l’un des pays les plus pauvres du monde. L’une perturbe l’industrie agricole du pays. L’autre frappe une région abritant déjà une insurrection violente. Leurs résultats combinés, et ceux d’événements similaires ailleurs en Afrique, peuvent exacerber les tensions existantes et paralyser des états déjà fragiles.
DES MENACES VARIÉES
Le climat catastrophique et les phénomènes écologiques sont fréquents dans l’ensemble du continent. Ils ne sont pas tous liés à des cyclones mortels.
En Sierra Leone en août 2017 par exemple, de fortes pluies ont fait glisser la boue du mont Sugar Loaf. Elle est tombée sur des maisons de Freetown où des centaines de personnes dormaient. « Nous étions à l’intérieur. Nous avons entendu la coulée de boue s’approcher », a déclaré à la BBC une femme appelée Adama. « Nous avons essayé de nous échapper. J’ai tenté de saisir mon bébé mais la boue était trop rapide. Elle était vivante lorsqu’elle a été recouverte. Je n’ai pas vu Alhaji, mon mari. Mon bébé avait à peine 7 semaines. »
Selon un rapport des Nations unies, une famine liée à la sécheresse d’Afrique de l’Est entre 2010 et 2012 a causé le décès de 260.000 personnes, et cela uniquement en Somalie. La moitié d’entre elles étaient de jeunes enfants. La sécheresse et la famine sont fréquentes dans cette région. Les famines meurtrières d’Éthiopie, pays voisin, se produisent depuis au moins un millier d’années.
De tels dangers environnementaux, ainsi que les inondations, les incendies et autres événements, peuvent perturber la capacité d’une population à pratiquer l’agriculture de subsistance pour subvenir à ses besoins. Ils peuvent aussi provoquer une migration massive des populations d’une région à une autre. Ce genre de perturbation peut faire pression sur les gens et les ressources, et créer des conflits ou exacerber les tensions existantes.
Les gouvernements et les forces de sécurité ne peuvent pas prévenir les phénomènes climatiques, mais ils peuvent être conscients des tendances écologiques et de la façon dont ces tendances affecteront probablement certaines régions et certaines populations.
Des études montrent que les phénomènes météorologiques ne provoquent pas les conflits, mais qu’ils peuvent les déclencher ou les accélérer.
Les gouvernements et les forces de sécurité, qui savent où les conflits se sont manifestés à des époques particulières, peuvent s’attendre à ce qu’ils réapparaissent lorsque des conditions similaires surviennent. Par exemple, les pastoraux d’une région spécifique peuvent avoir tendance à se déplacer vers un territoire agricole à la recherche d’eau pour leur bétail pendant les périodes de sécheresse.
LE BASSIN DU LAC TCHAD
L’Institut d’études écologiques et énergétiques, organisme américain à but non lucratif engagé à promouvoir des sociétés durables, indique deux menaces internationales majeures provenant des changements écologiques durables : les migrations massives entraînant des réfugiés et des déplacés internes, et les conflits axés sur les ressources d’eau.
Lorsqu’un phénomène écologique majeur se produit, il peut provoquer la fuite de milliers de personnes vers une autre région ou même un autre pays. En Afrique, un exemple très clair de cela concerne les pays du bassin du lac Tchad : le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria. Le lac Tchad lui-même a baissé d’environ 90 % au cours des 50 dernières années. Historiquement, le lac était une planche de salut pour la région grâce à l’agriculture, la pêche et l’élevage du bétail.
« Cette réduction massive du lac a conduit à un manque de disponibilité de l’eau, à une baisse de la production agricole des communautés avoisinantes, et à une hausse de la mortalité du bétail et du poisson », écrit Abdoul Salam Bello pour Atlantic Council. « En outre, avec l’accroissement de la population humaine qui dépend de l’écosystème du lac pour sa survie, le défi posé par la réduction des ressources d’eau douce devient de plus en plus difficile à relever. »
L’importance du lac pour la région ne peut pas être exagérée. Environ 700.000 personnes vivaient autour du lac Tchad en 1976, mais ce chiffre est passé à 2,2 millions aujourd’hui, car la sécheresse et les mauvaises conditions de vie qui sévissent dans d’autres régions forcent les gens à venir, selon un rapport d’adelphi, groupe de réflexion qui se concentre sur le climat, l’environnement et le développement. Il est anticipé que ce chiffre atteindra 3 millions en 2025, et que 49 millions dépendront des ressources du lac.
Avant que le groupe d’insurgés islamistes Boko Haram ne devienne une menace sécuritaire pour la région, le commerce transfrontalier des produits, du poisson et autres marchandises prospérait dans le bassin du lac Tchad, et ce malgré l’absence d’un soutien gouvernemental.
Pour comprendre comment l’environnement affecte la sécurité, il faut considérer la façon dont il interface avec différents facteurs de risque tels que l’économie et les stresseurs sociaux et politiques. L’étude d’adelphi mentionne trois risques liés à la fragilité climatique :
Le conflit et la fragilité accroissent la vulnérabilité : Le conflit en cours avec Boko Haram sape la résilience, y compris la capacité de la population à s’adapter aux changements écologiques.
Les conflits pour les ressources naturelles : L’environnement peut intensifier les conflits axés sur les ressources naturelles, en particulier les disputes concernant l’utilisation du terrain et de l’eau par les bergers et les agriculteurs.
L’insécurité des moyens de subsistance et le recrutement des groupes armés : Lorsqu’un pourcentage élevé de la population, notamment les jeunes, ne peuvent pas trouver d’emploi, ils peuvent être plus facilement recrutés par un groupe extrémiste ou une milice armée.
Lorsque ces risques de fragilité sont réunis, ils peuvent créer une chaîne de rétroaction automatique entre l’augmentation de l’insécurité des moyens de subsistance, la vulnérabilité face aux changements écologiques, et le conflit et la fragilité. Le conflit rend les communautés plus vulnérables aux changements écologiques, ce qui à son tour exacerbe la concurrence pour des ressources naturelles plus rares. « S’il n’est pas rompu, ce cercle vicieux menace de perpétuer la crise en cours et forcer la région à continuer sur la voie du conflit et de la fragilité », selon l’étude.