En ce qui concerne les véhicules militaires sans conducteur, la plupart des gens ont tendance à penser au ciel, où les drones d’attaque et de surveillance se retrouvent fréquemment dans les conflits armés. Mais les experts déclarent que la prochaine vague de véhicules sans conducteur se déplacera sur l’eau.
Les marines investissent dans les drones de surface navals (USV) et les drones sous-marins navals (UUV). Si cette tendance continue, plus de 40 pays auront acquis des USV d’ici à 2034 et le marché mondial des USV passera de 1,1 à 2,5 milliards de dollars, selon la société de recherche GlobalData.
Ces drones maritimes peuvent être contrôlés par des opérateurs terrestres ou naviguer de façon semi-autonome, en suivant un parcours programmé et utilisant une suite de capteurs de navigation. Les défenseurs déclarent qu’ils peuvent réduire les coûts et les délais, et sauver les vies des marins pendant les missions longues et dangereuses.
Leurs avantages sont clairs et l’industrie privée a montré la voie. Les USV sont déjà couramment utilisés pour inspecter et protéger les plateformes pétrolières, les câbles sous-marins et autre infrastructure. En Afrique où les marines possèdent souvent de petites flottes vieillissantes pour patrouiller les vastes eaux territoriales, les analystes pensent que le moment est venu d’investir dans la technologie.
Matthew Ratsey de la société Zero USV déclare à la publication sud-africaine Engineering News : « Ces avancées ont transformé les USV en véritables multiplicateurs de force. Ils accroissent la portée des forces maritimes en rendant possible des missions sur les zones plus vastes sans besoin de ports, de plateformes énergétiques offshore et de câbles sous-marins, et fournissant la surveillance ininterrompue et la détection des menaces en temps réel. »

De longs antécédents
L’emploi des USV remonte à la Première Guerre mondiale lorsque la Marine royale du Royaume-Uni déploya des « bateaux télécommandés » équipés de torpilles et contrôlés par des aéronefs à proximité. Dans les décennies suivantes, l’emploi des drones de surface a augmenté pour inclure des tâches telles que le dragage des mines, la surveillance, les tirs à la cible et les vaisseaux kamikazes chargés d’explosifs. Toutefois, au début du 21ème siècle, les drones de surface restaient un outil de niche utilisé principalement par les scientifiques pour cartographier les fonds marins et surveiller les conditions océaniques.
Le Sea Hunter, trimaran de 40 mètres, est l’une des premières classes de flotte d’USV mises en service par une marine. La Marine des États-Unis l’a acquis en 2016 et le met à l’épreuve pour l’utiliser dans une variété de missions.
Aujourd’hui, les marines se font concurrence pour acquérir les USV et les UUV. Toutefois, elles sont toujours essentiellement à la phase de « se mouiller les doigts de pied » en ce qui concerne leur utilisation, selon Jonathan Bentham de l’Institut international pour les études de sécurité (IISS). Environ 75 % des plateformes sans humain à bord évaluées par l’IISS ont été jugées expérimentales.

L’IISS déclare que les plateformes appartiennent à quatre grandes catégories :
- La sécurité maritime : conçues et utilisées pour les patrouilles ou les missions d’interception.
- La collecte des données militaires : utilisées pour recueillir des informations sur l’environnement maritime, notamment la conduite d’études hydrographiques ou océanographiques.
- La guerre antimines : véhicules utilisés pour identifier ou éliminer les mines en mer.
- Les démonstrateurs de technologie : vé hicules qui possèdent une capacité militaire et un rôle opérationnel clairs, mais qui sont construits pour démontrer et faire avancer une capacité plutôt que d’effectuer des fonctions de première ligne.
M. Bentham écrit que la technologie évolue rapidement.
Il écrit pour l’IISS : « Les Marines du monde entier … adoptent la technologie pour un ensemble diversifié de missions. Bien que [les USV] semblent être des appareils complètement différents de leurs navires homologues traditionnels, ils sont de plus en plus utilisés à leur côté. De nombreuses applications [des USV] sont toujours expérimentales, mais la technologie, sous une forme ou sous une autre, est désormais bien établie. »
Denys Reva, expert en matière de sécurité maritime à l’Institut pour les études de sécurité (ISS), offre une mise en garde selon laquelle les USV ne sont pas une panacée et pourraient ne pas convenir au mieux aux pays possédant des capacités limitées pour patrouiller leurs zones économiques exclusives et riposter aux menaces.
Denys Reva déclare à ADF : « C’est un outil utile à une fraction du coût d’un outil conventionnel. Mais cela dépendra en grande partie du pays qui l’utilisera. Car en ce qui concerne certains pays, leurs problèmes ne sont pas ceux qui pourraient être résolus avec une capacité additionnelle de détection des menaces. Le défi consiste à y répondre. »
L’Ukraine montre une voie
Malgré leurs longs antécédents, les drones de surface ont été notés rarement dans la guerre maritime. Ceci a changé lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. La mer Noire est devenue un espace de bataille fortement contesté et l’Ukraine, qui n’a pas de navires de guerre, a repoussé la Marine russe à l’aide de drones navals.
L’Ukraine déploie un vaisseau produit localement appelé le Magura V5 à des fins de surveillance, de reconnaissance, de guerre antimines et pour les attaques kamikazes.
Viktor Lystopadov, directeur régional de la société ukrainienne SpetsTechnoExport, a déclaré à defenceWeb que les USV ont changé les règles des conflits modernes. Il a dit que son pays avait été capable de détruire plus de 20 navires russes d’une valeur estimée à 2 milliards de dollars en utilisant des drones navals qui coûtent beaucoup moins. En 2024, un USV ukrainien a abattu un hélicoptère russe Mi-8, a-t-il dit, ce qui est censé être la première fois qu’un drone naval abattait un aéronef piloté.

Le général américain David Petraeus (à la retraite) a qualifié l’emploi des drones maritimes et autre technologie par l’Ukraine de « pur génie ». Dans une interview avec le Kyiv Post, il a déclaré : « Le fait que l’Ukraine ait coulé plus du tiers de la flotte russe de la mer Noire et l’ait forcé de se retirer de Sébastopol et de l’Ouest de la mer Noire sans aucune ressource navale substantielle est un hommage extraordinaire au secteur technologique ukrainien et aussi aux soldats en uniforme qui utilisent ces systèmes. »
Les marines du monde entier surveillent ceci comme stratégie offensive réussie qui renforce le besoin de nouvelles stratégies défensives.
L’analyste H I Sutton écrit pour le Royal United Services Institute : « Il ne fait aucun doute que les marines et les planificateurs examineront étroitement la guerre. Elle redessine le schéma des menaces pour les grandes marines qui souhaitent se préparer aux opérations futures. Et pour les pays qui affrontent des menaces similaires, les plateformes sans humain à bord offrent des avantages considérables. L’ère de la guerre des drones navals est arrivée. »
Les drones donnent un avantage aux insurgés
Alors même qu’une marine nationale enregistre des succès dans l’utilisation des drones, les pays doivent se souvenir des dangers posés par les drones employés par les insurgés.
Dans la mer Rouge, les rebelles houthistes soutenus par l’Iran ont utilisé des drones navals chargés d’explosifs pour attaquer les navires et perturber le commerce. On note que les Houthis lancèrent une attaque le 18 février 2024 en employant pour la première fois un drone sous-marin.
Une variété de missions
Un examen des données fourni par Military Balance+ concernant les plateformes maritimes sans humain à bord a découvert qu’elles étaient utilisées en plus grand nombre pour la sécurité maritime, catégorie qui inclut les missions de patrouille et d’interception. Cette étude a aussi déterminé que le nombre de vaisseaux de surface était plus du double de celui des vaisseaux sous-marins.
Les observateurs déclarent que des sonars traditionnels, des capacités de détection de mine et autres outils utilisés dans la lutte anti-sous-marine pourraient être nécessaires pour assurer la protection contre cette menace. L’analyste Scott Savitz de la Rand Corp. déclare que les attaques en mer Rouge donnent l’aperçu d’une sorte de jeu du chat et de la souris. À mesure que les marines améliorent leur capacité de détection et de destruction des drones navals, leurs adversaires améliorent leur capacité de dissimulation.
« L’ère des USV explosifs commence à peine. Les Marines qui peuvent utiliser efficacement ces systèmes pourraient détenir un grand avantage sur leurs adversaires, écrit le Dr Savitz. Il est probable qu’un cycle classique de mesures et contre-mesures va démarrer. »
Il a prédit que les flottes déploieraient des drones aériens équipés de capteurs pour détecter et détruire les USV. Il a aussi dit que les drones pourraient utiliser des fibres pour emmêler les hélices afin de stopper l’arrivée des USV. Toutefois, il est probable que ces avantages seront éphémères et que les adversaires s’adapteront.
« Quelles que soient les mesures particulières prises par les belligérants, les USV explosifs pourraient rester une composante fondamentale de la guerre navale au cours des prochaines décennies, ce que les marines nationales feraient bien de ne pas ignorer. »
Les pays africains s’impliquent
Avec un littoral de 30.500 km de long, de vastes espaces océaniques et d’innombrables deltas, fleuves et lacs, les marines africaines ont d’énormes responsabilités. Pour étendre leur portée, certains pays investissent dans les drones aériens, de surface et sous-marins. Voici quelques exemples :
L’Égypte a annoncé son premier USV localement produit en 2024, conçu pour les patrouilles et la sécurité du littoral. Le B5 Hydra créé par Amstone a une longueur de 2,1 mètres, une charge utile de 600 kg et une vitesse de pointe de 85 nœuds. Cet USV est équipé d’une mitrailleuse télécommandée de 12,7 mm et d’un petit drone aérien qui peut être lancé pour les opérations de reconnaissance. Le bateau a été construit en collaboration avec la société chypriote Swarmly et la société italienne Leonardo.
En Afrique du Sud, le constructeur naval Legacy Marine construit un vaisseau de 9,5 mètres qui utilise l’intelligence artificielle et la robotique pour naviguer. On pense que c’est le premier drone naval entièrement construit et testé en Afrique du Sud.
La marine nigériane a acquis deux USV SwiftSea Stalker auprès du constructeur américain Swiftship. Ces vaisseaux ont une autonomie de 400 milles marins et une vitesse de 45 nœuds ; ils seront censés être utilisés dans le delta du Niger, le lac Tchad et d’autres voies navigables difficiles à patrouiller.
Les observateurs pensent que cela ne fait que commencer, alors que les forces armées cherchent des moyens d’améliorer leur présence sur l’eau à bas prix. Les forces de sécurité doivent aussi anticiper les actions futures des acteurs non étatiques.
Le chercheur Denys Reva de l’ISS déclare à ADF : « Le moment est venu pour les états africains de commencer à imaginer ce qui se passera si ces technologies sont déployées, parce que le coût de la technologie ne peut que diminuer et cela change les circonstances. Ces outils existent ; même si leur déploiement par les groupes n’est pas actuellement pratique, on ne sait pas ce qui se passera demain. »


