Le concept chinois du feiqian, littéralement « l’argent volant », concerne un système financier clandestin sans trace documentaire qui remonte à la dynastie Tang du neuvième siècle, lorsque les commerçants établirent un réseau pour régler leurs comptes sans avoir à transporter les pièces de monnaie sur de grandes distances.
Ce plan de l’ancienne Chine existe encore aujourd’hui. Les experts déclarent que c’est la méthode principale de blanchiment des grandes quantités d’argent liquide liées au trafic de la faune sauvage et à la contrebande illicite des minerais et autres ressources naturelles. La médecine traditionnelle chinoise est une cause majeure du commerce illicite de la faune sauvage dans le monde.
« L’argent volant est souvent employé pour décrire le blanchiment de l’argent chinois ou les paiements en nature avec une marchandise autre que l’argent comptant », a déclaré Vanda Felbab-Brown, associée principale de la Brookings Institution et experte du crime international et du terrorisme, sur le site de conservation Mongabay pour un article du 6 juin.
Le feiqian rend possible le transfert pratiquement indétectable des énormes sommes d’argent. Les réseaux du crime transnational emploient ce système obscur pour blanchir l’argent, payer les trafiquants et transférer les profits illicites au-delà des frontières tout en évitant le secteur financier conventionnel.
Andrea Crosta est le fondateur et directeur d’Earth League International, organisation sans but lucratif qui œuvre pour surveiller, investiguer et démanteler ces réseaux criminels. Selon lui, les négociants chinois du monde entier aident les trafiquants à regrouper les profits provenant du commerce illégal de la faune sauvage, du bois, de l’or et des stupéfiants.
Grâce au feiqian, un négociant dans une région du monde reçoit de l’argent et le transfère à un autre agent du réseau localisé ailleurs, lequel verse cette somme au destinataire voulu. Avec les négociants chinois connectés au commerce illicite dans le monde entier et dans leur pays natal, les fonds indétectables sont transférés anonymement par la Chine ou y aboutissent.
Crosta écrit dans un article du 6 juin sur Mongabay : « Les escrocs qui trafiquent les personnes, les drogues et les armes trafiquent aussi de plus en plus l’ivoire d’éléphant, les os de tigre et beaucoup d’autres ressources naturelles. C’est pourquoi je pense que l’argent volant représente le plus grand risque à la sécurité nationale que personne ne connaît. »
Il considère que le feiqian est une composante cruciale de ce qu’il appelle « la convergence du crime et de l’environnement : la connexion croissante entre le crime écologique et le crime organisé mondial.
« Des études estiment que la valeur annuelle du crime écologique se situe entre 110 et 281 milliards de dollars, ce qui en fait l’une des entreprises criminelles les plus lucratives du monde », déclare la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC) dans un rapport de 2023.
« Les profits de ce marché n’aident pas beaucoup le développement des communautés près des marchés sources ; ils sont plutôt transférés à l’étranger et blanchis dans le système financier mondial. »
Les dispositifs « smart » axés sur l’Internet ont transformé la vente des produits de la faune sauvage exotique, du bois, des métaux précieux et autres marchandises ; les négociants sont capables d’atteindre un auditoire beaucoup plus vaste sur de longues distance et à bas prix, selon GI-TOC.
Le blanchiment d’argent par le système du feiqian est crucial pour connecter de multiples entreprises criminelles.
Selon un rapport de 2024 dans le magazine The Economist, « la menace a augmenté au cours des dernières années, grâce aux réseaux chinois clandestins équipés de nouvelles technologies capables de blanchir l’argent sale en quelques minutes. Pour les bandes criminelles transnationales, ces “banques” de l’ombre deviennent les financiers préférés. »
Crosta déclare que, pour combattre le feiqian, un moyen consiste à cibler les personnes physiques et morales et les pays en imposant des sanctions pour faciliter les crimes financiers. Ceci aiderait à restaurer les revenus légitimes de l’État provenant des transactions légales. En Afrique, ce type de réponse pourrait sauver la faune sauvage, les écosystèmes et les industries touristiques exposés aux dangers.
« La seule façon de vaincre une menace qui s’étend de l’Asie à l’Afrique est de travailler ensemble », écrit-il.