PERSONNEL D’ADF | PHOTOS PAR ATMIS
Dans leur guerre de plusieurs années contre l’extrémisme violent en Afrique, les pays ont tenté de suivre une série d’approches. Les missions multinationales de maintien de la paix des Nations unies ont travaillé d’arrache-pied dans le Sahel et ailleurs pendant des années, en obtenant des résultats mitigés.
De même, les forces de l’Union africaine et autres forces régionales ont œuvré inlassablement pour assurer la paix et la stabilité dans des lieux tels que la République démocratique du Congo, le Nord du Mozambique et la Somalie.
Chaque effort possède son mélange frustrant de succès et d’échecs, d’avancées et de revers. Les limitations des forces armées sont évidentes : elles peuvent employer une force létale et garantir un certain degré de protection pour les civils et les gouvernements qu’elles protègent. Mais elles ne peuvent pas rester en permanence. Souvent, elles ne peuvent même pas rester dans le même endroit pendant une période prolongée alors qu’elles poursuivent les extrémistes violents vers leurs repaires.
D’un autre côté, les forces de police ont des liens nationaux et locaux plus permanents. Elles sont chargées de protéger les gens à tout moment. Elles conduisent aussi des enquêtes criminelles, arrêtent les malfaiteurs et recueillent des preuves, en lançant un processus qui conduit finalement aux poursuites judiciaires. Leur efficacité dans toute cette démarche peut être éclairée par un procédé éprouvé appelé la police de proximité.
Le Dr Anouar Boukhars, professeur de contre-terrorisme et de riposte à l’extrémisme violent au Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA), a déclaré en 2020 dans un programme académique virtuel sur ce sujet : « La police de proximité se trouve à l’intersection des acteurs de la sécurité de l’État, des communautés locales et de la société civile. Une fonction efficace de police de proximité ne peut pas être imposée simplement comme une stratégie ou une tactique pour contrer l’extrémisme violent … c’est une philosophie qui doit être infusée dans la culture et les pratiques des acteurs de la sécurité. »
Des modes différents de police de proximité ont été essayés sur l’ensemble du continent, notamment au Kenya, en Somalie et en Tanzanie, entre autres. L’approche a été appréciée au Kenya à la suite de l’attaque du 3 avril 2015, dans laquelle quatre chebabs armés ont tué 148 personnes et blessé 80 à l’université de Garissa.
Le Kenya possède un modèle de police de proximité appelé « Nyumba Kumi » (« dix foyers » en swahili). Dans ce système, des groupes résidentiels travaillent ensemble pour surveiller les actes suspects et les signaler à la police. Mohamud Saleh, nommé nouveau coordinateur régional à la suite de l’attaque de Garissa, a eu du succès en tirant parti de ce système afin de développer la confiance et d’améliorer la sécurité dans une région qui se méfiait de la police.
M. Saleh a établi une ligne téléphonique directe pour que le public puisse contacter son bureau, selon l’organisation mondiale de la paix et la sécurité Saferworld basée à Londres. Il a aussi établi des lignes téléphoniques directes vers des unités de réponse rapide de la police afin d’accéder aux informations et réagir. En cas d’attaque, les autorités organisent un forum public appelé « barasa » pour identifier les questions sous-jacentes avant de riposter en employant la force.
Selon Saferworld, ce système a remplacé « une approche forte par une autre approche qui est basée sur la confiance et la prise de responsabilité afin de bâtir des relations avec les communautés locales dans le but d’obtenir des renseignements ». Des liens plus robustes entre la police et les civils peuvent éviter les doléances qui poussent certains vers l’extrémisme.

LES ÉLÉMENTS DE LA POLICE DE PROXIMITÉ
La fonction de police de proximité peut sembler différente selon le lieu et le contexte, mais elle inclut en général des variations des cinq principes fondamentaux suivants : la résolution des problèmes, la responsabilisation, le partenariat, la livraison des services et la prise de responsabilité.
Le service de police d’Irlande du Nord a adopté ces cinq principes, qui ont été adaptés à partir du modèle développé par le service de police d’Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, selon un article de Neil Jarman, associé de recherche à l’université Queen’s de Belfast (Irlande du Nord). L’approche réoriente les efforts réactifs de la police vers une posture pro-active tout en responsabilisant les civils afin qu’ils participent à la résolution des questions de sécurité.
Meressa Kahsu Dessu, chercheur principal à l’Institut pour les études de sécurité basé en Afrique du Sud, a mis en lumière ces principes dans un article de blog de juin 2024 pour le Wilson Center. Il écrit : « Ces éléments guident les officiers de police pour qu’ils établissent et construisent des partenariats avec les populations locales, basés sur la compréhension, la confiance et le respect mutuels. Ils s’engagent régulièrement avec les résidents locaux, les groupes de la communauté, les propriétaires des commerces et les autres parties prenantes locales. »
Pour que la police de proximité enregistre des succès, elle doit être conduite par les communautés locales et inclure tous les éléments de la société, notamment les femmes, les jeunes et autres, déclare Phyllis Muema, directrice exécutive du Centre de soutien aux communautés du Kenya, sur le programme virtuel du CESA. « Nos principes de police de proximité sont idéalement fondés sur le précepte selon lequel la fonction de police est exécutée par consentement, et non pas par coercition. Elle doit être quelque chose qui est mené par les communautés locales. »

LA FONCTION DE POLICE DANS LE MAINTIEN DE LA PAIX
Une résolution de 2014 du Conseil de sécurité des Nations unies a reconnu l’importance et l’efficacité de la fonction de police de proximité et cette emphase est proéminente dans les consignes onusiennes concernant la façon dont la police devrait agir dans les missions de maintien de la paix et les missions politiques.
Les missions de l’ONU sont censées affecter des policiers à des « zones de patrouille gérables » pour que les civils puissent les connaître personnellement. Les contingents de police devraient inclure des policières, consulter les membres de la communauté sur leurs besoins et concevoir des programmes en conséquence, selon ces consignes. Un « comité consultatif » dans chaque zone de patrouille devrait inclure des femmes et des hommes « soigneusement sélectionnés » qui sont représentatifs de la communauté et dont les intérêts ne saperont pas le succès de la mission. Les comités doivent se réunir au moins une fois par mois. Les policiers devraient partager les informations criminelles avec les comités et les médias de façon opportune.
L’Union africaine a aussi reconnu l’importance de la fonction de police de proximité. Les responsables participant à la mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS), qui a récemment pris fin, ont souligné ce modèle dans l’entraînement pendant 2024. En août, plus de 100 membres de la force de police somalienne (SPF) ont complété une formation d’un mois sur la police de proximité.
Les responsables de l’ATMIS et de la SPF ont organisé la formation ; celle-ci s’est concentrée sur les éléments noyaux de la fonction de police de proximité, sa structure juridique et la protection et le soutien aux enfants, entre autres.
Sivuyile Bam, directeur adjoint de l’ATMIS, a déclaré dans une annonce de presse : « Le panorama sécuritaire de la Somalie est complexe ; par conséquent, il est important de suivre une approche personnalisée pour la fonction de police de proximité. Nous devons continuer à écouter les préoccupations des communautés, comprendre leurs besoins et œuvrer ensemble pour y répondre. »
Le commissaire de police de l’ATMIS Hillary Sao Kanu, originaire de Sierra Leone, a déclaré que ses officiers et la SPF avaient conduit conjointement dix-huit événements de formation sur le développement des capacités dans le pays, pour le bénéfice de 352 officiers de police somaliens, y compris 162 femmes, depuis janvier 2024. Elle a déclaré lors d’une cérémonie de remise des diplômes le 31 août 2024 : « L’événement d’aujourd’hui est donc important pour nos efforts collectifs d’amélioration de la sécurité, la confiance et la coopération entre la police et les communautés que nous servons en Somalie. »
Seulement quelques jours plus tard, les officiels ont commencé la construction d’un nouveau poste de police dans le district somalien de Darussalam. Le poste est conçu pour aider les officiers de police somaliens à combattre le crime tout en renforçant les relations avec la communauté dans la zone.

Samuel Asiedu Okanta, coordinateur de la formation et du développement de la police de la mission, a déclaré dans une annonce de presse : « La fonction de police est une responsabilité partagée et la composante de police de l’ATMIS est là pour soutenir ses homologues de la SPF afin de fournir la fonction de police au seuil des foyers des membres de la communauté et aider à protéger leurs droits humains. Cette installation aidera à empêcher le crime et améliorera les services de police dans cette communauté. »
En octobre 2024, l’ATMIS a formé 12 officiers de la SPF et 24 chefs communautaires à Dhobley sur la gestion des postes de police, la fonction de police de proximité, la traite humaine et la prévention du crime. Le brigadier Seif Salim Rashid du Kenya, commandant du secteur 2 de la mission, a dit que la réunion des policiers et des chefs civils assurerait une sécurité plus efficace. Hassan Abdi Hashi, commissaire du district de Dhobley, en convient.
Il déclare, selon une annonce de presse : « Les membres de la communauté et la police peuvent bâtir une communauté plus robuste et résiliente en travaillant ensemble pour répondre aux défis de sûreté et de sécurité. En mettant en commun les leçons apprises dans cette formation, nous pouvons responsabiliser nos communautés et créer un effet d’entraînement pour un changement positif. »
Contrairement à l’ATMIS, certaines missions de contre-terrorisme n’affectent pas suffisamment de ressources pour avoir une composante de police. C’est le cas pour la Force multinationale mixte, qui prend pour cible les groupes extrémistes Boko Haram et Daech dans le bassin du lac Tchad. Un rapport de 2023 pour l’Institut norvégien des affaires internationales indique que, même si les soldats ont eu du succès pour dégager les zones et rétablir la stabilité, le manque de capacité de police de la mission l’a empêché de protéger et occuper les zones dégagées afin de soutenir les opérations de stabilité.
Ceci force « l’armée à rester présente dans certaines zones une fois que la sécurité a été restaurée, afin de conduire des tâches de police et assurer la sécurité de l’accès et la performance des activités de stabilisation et des activités humanitaires, selon le rapport. Toutefois, les forces armées n’ont pas de capacité suffisante pour agir à ce niveau parce que cela provoque l’épuisement de leurs ressources déjà limitées qui pourraient être utilisées ailleurs dans d’autres opérations offensives. »
L’UA et ses états membres doivent prioriser la fonction de police de proximité dans les opérations de pacification, écrit M. Meressa Kahsu pour le Wilson Center. « Les membres de la communauté sont les mieux placés pour reconnaître les activités suspectes dans leur communauté, notamment les activités de radicalisation et d’extrémisme, et pour en informer promptement les officiers de police. Grâce à de tels partenariats plus robustes de police de proximité, la police peut proactivement déceler les activités suspectes, résoudre les crimes et les problèmes de violence, et développer la résilience des communautés face à l’extrémisme violent. »