Lorsque les résidents de Uis dans l’Ouest de la Namibie commencèrent à noter des convois quotidiens de camions lourds provenant du site de ce qu’on pensait être une petite mine artisanale en janvier 2023, un groupe d’activistes de la communauté s’est mobilisé.
Ils ont aidé à dévoiler une combine chinoise illégale d’extraction de lithium accompagnée d’allégations de fraude, corruption, crimes écologiques et abus du droit du travail. En quelques mois, ils ont organisé des manifestations qui continuent aujourd’hui.
Le ministère des Mines et de l’Énergie de Namibie a ouvert une enquête criminelle en décembre 2024 lorsqu’une inspection imprévue conduite par Isabella Chirchir, commissaire des mines, a découvert que Xinfeng Investments avait mélangé des milliers de tonnes de minerai de lithium non transformé à du minerai légitimement extrait de son site de Uis.
Un employé a déclaré au journal d’état The New Era sous couvert de l’anonymat : « Nous conduisions l’extraction illégale à Ringman, à environ 10 km de Xinfeng. La commissaire a découvert que des employés ramenaient le minerai à Xinfeng. »
Mme Chirchir a ordonné à la société de suspendre ses opérations. C’était la deuxième fois qu’une mine de Xinfeng était clôturée. La première clôture s’est produite en 2023 lorsque sa mine de Kohera avait enfreint l’interdiction des exportations de minerai critique du pays.
Lors de réunions avec le ministère en décembre 2024, la gérance de Xinfeng a admis sa culpabilité en déclarant que ses opérations d’extraction excédaient les limites de la licence approuvée.
La Namibie a des filons importants de lithium, en particulier dans la région d’Erongo. Elle est devenue un producteur crucial de ce métal sur le marché mondial. Le métal est vital pour la production des batteries des véhicules électriques et autres applications.
Xinfeng Investments est une filiale de la société chinoise Tangshan Xinfeng Lithium Industry dont l’usine de la province chinoise du Hebei peut produire 20.000 tonnes de matériaux de lithium pour batteries.
Les résidents locaux accusent Xinfeng d’exploiter leurs terres, d’offrir des pots-de-vin aux chefs traditionnels pour éviter le processus officiel d’octroi des licences, de maltraiter les ouvriers locaux, d’endommager l’industrie de l’écotourisme dans la région et de ne pas tenir ses promesses pour construire des usines de transformation en Namibie.
Les enquêtes par les activistes et les médias ont donné des preuves selon lesquelles Xinfeng a développé sa mine industrielle de Uis en utilisant dix licences conçues pour les entreprises minières locales de petite échelle qui ont été rachetées pour un montant total de 140 dollars. Les licences ont aussi permis à Xinfeng d’éviter une étude d’impact sur l’environnement.
L’activiste Jimmy Areseb a déclaré à New Era en janvier 2025 : « Nous avons deux mines actives en ce moment qui gagnent des millions, mais ces millions ne se reflètent pas à Uis. Comment est-ce possible que la communauté reste pauvre, alors que le minerai qui vaut des millions est exporté de Uis ? »
Au début janvier, des membres de la communauté ont passé une semaine dans des campements de fortune devant les bureaux des chefs traditionnels et des conseillers de l’autorité traditionnelle Dâure Daman, accusés d’avoir accepté des pots-de-vin de Xinfeng et de lui avoir accordé une licence exclusive de prospection (EPL) pour extraire le lithium sans suivre les procédures appropriées.
Lors d’une manifestation le 4 janvier, ils ont demandé le limogeage de leur chef. Certains manifestants ont été expulsés de force et M. Areseb a été arrêté.
La société chinoise a démontré son mépris de la communauté et de son environnement, dit-il, en blâmant les fréquentes explosions de dynamite qui chassent les animaux sauvages et nuisent au tourisme, source traditionnelle de revenu dans la communauté.
« Les sites d’extraction sont des zones sensibles de reproduction de la faune sauvage, et l’organisation de conservation Tsiseb en obtenait des revenus pour la communauté grâce à la chasse au trophée, dit-il. Lorsque l’extraction illégale du lithium a commencé, les animaux sont partis de la région. Lorsque le chasseur de trophée avec lequel nous étions en contact est venu, il n’y avait pas d’animaux et la communauté a perdu le contrat. »
« Les autres zones où l’extraction a lieu abritent des tombes ancestrales. Les aînés qui vivent toujours se sont rendus dans les bureaux appropriés pour se plaindre du dynamitage qui se produisait dans les zones sacrées, mais ils n’ont pas donné suite. »
La membre de la communauté Anmire Dâusas déclare qu’il est évident que la société n’a pas conduit d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
Elle dit au journal The Namibian : « S’ils avaient conduit l’évaluation, ils auraient découvert les zones qui sont pour le tourisme et les lieux où se trouvent les tombes dans leurs propres études et en consultant les membres de la communauté. Mais cela n’a pas été fait ; pourtant, ils ont reçu des certificats d’autorisation écologique. C’est pour cela que nous disons que l’octroi des EPL est irrégulier. »
Areseb déclare que Xinfeng a intentionnellement évité les négociations qui auraient donné à la communauté une plateforme pour demander des avantages directs, par exemple des investissements dans le développement de l’infrastructure, des parrainages et des donations aux cultivateurs et aux petites entreprises minières.
Les résidents de Uis et les parlementaires namibiens ont aussi accusé Xinfeng d’héberger les ouvriers dans des « conditions d’apartheid » et de faire fuir la faune sauvage qui est une source de revenu du tourisme.
Entre janvier 2021 et décembre 2022, il y a eu 102 cas d’allégations de violation des droits de l’homme et des lois environnementales qui ont impliqué 39 sociétés minières chinoises engagées dans l’extraction des minerais, selon un rapport de 2023 publié par le Business and Human Rights Resource Centre.
« Nos données indiquent que les violations des droits de l’homme et des lois sur l’environnement sont fréquentes dans l’exploration, l’extraction et la transformation des minerais de transition énergétique », selon le rapport.
Bien que l’extraction minière soit le plus grand contributeur au produit national brut du pays, les Namibiens deviennent de plus en plus mécontents alors que les sociétés d’extraction chinoises retirent les ressources naturelles à hauteur de dizaines de millions de dollars, sans que le peuple n’en obtienne des bénéfices importants. L’histoire de Xinfeng est simplement un autre exemple du débat qui existe actuellement sur le continent.
Areseb a déclaré au Namibian en février 2025 : « Le gouvernement reçoit seulement des redevances de 2 %. Qu’est-ce qu’il y a pour nous ? Ces sont des sociétés qui amènent leurs propres employés, qui paient leurs salaires, qui fournissent leurs logements et qui exportent les matières brutes pour ajouter de la valeur dans leur pays. Les Namibiens n’ont pas d’emploi là-bas. »