Sur le rivage d’Eyl, bourgade de pêche dans l’État somalien autonome du Pount, les résidents observaient avec une colère croissante les feux des chalutiers de pêche chinois qui attrapaient illégalement les thons, les requins, les raies, les homards, les crevettes et autres animaux aquatiques dans leurs eaux.
Ils étaient enragés par la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) qui décimait leurs stocks de poissons alors que les déchets des chalutiers industriels polluaient leur littoral. La pêche illégale menace les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux d’Eyl et de tout le pays, avec des pertes estimées annuellement à 300 millions de dollars dues à ce fléau.
Vers la fin novembre 2024, le pêcheur local Liban Hassan (un pseudonyme) et quelques autres en ont eu assez.
M. Hassan déclare à Al Jazeera : « Les chalutiers viennent ici et saisissent tout ce qu’il y a dans notre mer. Les poissons, les langoustes, rien n’est épargné. Lorsque nous sortons en mer, ils nous tirent dessus, détruisent nos bateaux et nous empêchent de nourrir nos familles. »
Pendant des semaines, M. Hassan et son équipage avait observé régulièrement un chalutier chinois qui pêchait près du littoral. La loi somalienne interdit aux chalutiers de s’approcher à moins de 24 milles nautiques de la terre. M. Hassan déclare que le chalutier chinois était à 2 milles nautiques du rivage lorsqu’il l’a attaqué, en compagnie de son équipage, et désarmé deux gardes, à environ 3h00 du matin le 25 novembre. L’attaque a été signalée comme un acte de piraterie.
Abdifatah Bashir, un autre pirate, déclare que le groupe a saisi trois AK-47 et des gilets pare-balles portés par les gardes.
Il dit à Al Jazeera : « C’est à ce moment que nous avons sécurisé le navire et rassemblé l’équipage. Nous avons compté 18 membres d’équipage, puis nous avons ordonné au capitaine de piloter le navire. »
Quelques jours après, M. Hassan déclare que les pirates ont reçu des appels des aînés du littoral au nom des commerçants locaux. On leur a demandé de libérer le navire chinois et son équipage contre rançon, mais ils ont initialement refusé le paiement. Pendant des semaines, le chalutier a navigué sur la côte somalienne pour échapper aux autorités.
Les aînés locaux ont continué à arbitrer les négociations avec la participation de l’ambassadeur de Chine, selon le site web d’actualité Horn Observer. Les pirates ont finalement convenu de libérer le navire et son équipage moyennant une somme de 2 millions de dollars en espèces. Le chalutier a été libéré avec tout son équipage le 13 janvier, ce qui a mis fin au siège de sept semaines. En échange de la libération du navire et de l’équipage, le gouvernement a promis de ne pas intenter des poursuites contre les pirates.
Mohamud Khalid Hassan, aîné de la bourgade d’Eyl, déclare à Al Jazeera : « Les pirates sont des jeunes qui sont connus dans la communauté. » D’autres résidents disent que l’attaque démontre la rancœur ressentie par les habitants face à la présence des chalutiers chinois et autres chalutiers étrangers.
La Chine régit la plus grande flotte de pêche mondiale en eaux distantes, et elle est de loin le pire contrevenant mondial de la pêche illégale, selon l’Indice de risque de pêche INN, anciennement Indice de pêche INN. Parmi les dix principales sociétés mondiales engagées dans la pêche illégale, huit sont chinoises.
Les chalutiers chinois sont aussi tristement célèbres pour pratiquer le chalut de fond, en traînant un énorme filet sur le fond marin et ramassant sans discrimination tous les types de vie aquatique. Cette pratique tue les poissons juvéniles, ce qui conduit à la baisse des stocks de poissons, et détruit les écosystèmes cruciaux pour la survie de la faune marine.
M. Hassan déclare à Al Jazeera : « Ce que 100 pêcheurs peuvent capturer en six mois, [les chalutiers] peuvent attraper en un seul jour : nous l’avons vu de nos propres yeux. »
Le FV Liao Dong Yu 578, navire qui avait été détourné, fait partie d’une flotte de chalutiers chinois appelée Lia Dong Yu. Un rapport de 2021 publié par l’Initiative mondiale contre le crime transnational organisé indique que les navires de Lia Dong Yu ont été actifs et ont pêché dans la zone réservée aux pêcheurs somaliens locaux.
Le Liao Dong Yu 578 avait une licence de pêche émise par l’État somalien du Pount mais celle-ci a expiré en septembre 2024, quelques mois avant l’attaque. Un manque de mise en application des droits de pêche, accompagné de l’impunité de la flotte de pêche en eaux distantes de la Chine, évoque les conditions qui avaient causé certains Somaliens à devenir pirates il y a plus de vingt ans.
Ce qui est devenu un fléau international commença lorsque des pêcheurs locaux se rassemblèrent contre la surexploitation maritime et le déversement des déchets dans les eaux somaliennes.
Toutefois, M. Hassan déclare à Al Jazeera que lui-même et son groupe essayaient seulement de protéger leurs intérêts économiques. « Nous ne sommes pas des pirates. Nous sommes une communauté assiégée. »