Le général de brigade Lawrence Smith est l’officier commandant la 43e brigade sud-africaine de la Force de défense sud-africaine (South African National Defence Force ou SANDF). Il est diplômé de l’école de l’état-major de l’armée des États-Unis de Fort Leavenworth, au Kansas, et de l’université de la défense populaire de l’APL en Chine. Il a effectué deux missions au Burundi en tant que commandant des forces de maintien de la paix sud-africaines. Il a passé 15 mois en République démocratique du Congo comme commandant de section dans l’est et a commandé la Force africaine en attente de la communauté de développement d’Afrique australe. En juillet et en août 2013, il a servi en tant que commandant de la force, au cours de Shared Accord 13, un exercice bilatéral entre l’armée américaine et sud-africaine. Il s’est entretenu avec Africa Defense Forum depuis le centre de commandement de l’exercice à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. Voici un extrait de cet entretien.
ADF : au cours de cet exercice, vous avez inclus un large éventail d’éléments, notamment un débarquement, un parachutage de nuit, un événement humanitaire et un entraînement tactique pour l’infanterie. Quelle est la logique sous-tendant tous ces éléments de l’exercice ?
Gén. Smith: le plus important consiste à ce que les soldats comprennent ce qui se passe dans cet exercice. Vous leur présentez un tableau de la situation. Si votre plan n’a pas de sens au niveau tactique et opérationnel, il s’en feront une fausse idée.
Au niveau tactique, il est toujours bon de partager les tactiques, les techniques et les procédures communes pour voir comment l’autre agit sur le terrain. Ainsi, vous pouvez évaluer la qualité de votre propre doctrine et de votre propre manière d’agir. Je pense que nous avons eu l’avantage de partager ces choses, de voir comment font les Américains et de les comparer à notre propre doctrine. La doctrine est une chose vivante. Vous devez l’adapter aux enseignements que vous tirez ; vous devez sans arrêt adapter vos tactiques, vos techniques et vos procédures. Rien n’est gravé dans la pierre.
Ensuite, il est stimulant de faire connaissance avec d’autres personnes qui font le même métier que vous. Il y a toujours beaucoup d’échanges d’histoires de guerre, lorsque des soldats se rencontrent. Ces histoires de guerre ont de l’importance pour eux en termes d’échange d’expériences. Parfois, ces échanges n’ont pas d’effet immédiat, mais un jour, ils s’en souviendront et ils pourront les mettre à profit.
ADF : qu’ont appris vos soldats à leurs homologues américains en termes d’opération en Afrique ?
Gén. Smith: selon moi, nous essayons vraiment d’être plus malins que l’ennemi parce que nous n’avons pas toujours les moyens de lui être supérieur en armes. Ainsi, vous prenez l’ennemi par surprise en essayant de comprendre son état d’esprit. Nous insistons beaucoup là-dessus. Il ne faut jamais attaquer l’ennemi de front : il faut le contourner et élaborer la série d’actions qui déboucheront sur la victoire et, en définitive, permettront d’atteindre les objectifs visés.
ADF : beaucoup de soldats de la SANDF ont servi dans des missions de maintien de la paix dans des pays comme le Soudan, le Burundi et la République démocratique du Congo. Quel impact cela a-t-il eu sur vos forces de combat ?
Gén. Smith: en fait, c’est devenu une réalité en Afrique du Sud. Le pays est mis sous pression par ses collègues africains. Ces derniers imaginent que c’est l’un des pays les plus riches d’Afrique. Par conséquent, ils estiment que les forces sud-africaines doivent apporter une contribution majeure. À l’heure actuelle, environ 2.500 hommes sont déployés hors du pays et environ 13 compagnies sont déployées à l’intérieur de nos frontières. Il y a donc beaucoup de troupes déployées à l’extérieur comme à l’intérieur du pays. Il ne s’agit pas de troupes ou d’unités différentes. Une unité sera assignée à l’intérieur (surveillance des frontières). Puis, elle passera par une période de recyclage, suivie d’une période de repos avant d’être envoyée en mission en RDC. Notre problème actuel est de trouver la bonne proportion entre le déploiement et le temps passé ici en Afrique du Sud. Nous espérons que nous pourrons trouver une solution dans un avenir proche. Cependant, en ce moment, nous sommes très déployés. J’ai des hommes dans mon état-major. Vous verrez leurs médailles : ils portent une médaille de l’ONU RDC numéro 7. Cela signifie qu’ils ont fait sept missions en RDC. Nous y sommes déployés depuis 10 ans maintenant. Ainsi, sur dix-huit mois, ils ont été déployés six mois. C’est dur.
ADF: l’Afrique du Sud a la chance d’être dans une région relativement sûre en termes de menaces, comme les activités terroristes internationales. Quelles sont les menaces auxquelles la SANDF est le plus confrontée ?
Gén. Smith: nous avons des problèmes uniques, en ce sens que notre système bancaire est hautement développé. Alors, évidemment, l’Afrique du Sud est une cible de choix pour le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. Toutefois, cela ne relève pas en soi du domaine militaire. La nouvelle révolution dans les affaires militaires consiste à envisager les menaces asymétriques qui finiront par avoir un effet secondaire sur l’armée. Cependant, ce n’est pas vraiment le rôle de l’armée de s’impliquer dans ce domaine.
Il y a aussi le fait que l’Afrique du Sud est encore une jeune démocratie : nous sommes encore en pleine croissance, avec des préoccupations intérieures et des obligations extérieures. Nous devons donc trouver un équilibre. Combien d’argent veut-on dépenser pour la défense, dans ce cas la défense expéditionnaire ? Nous voulons créer une région stable pour que les populations restent en dehors de notre pays et n’inondent pas l’Afrique du Sud. Notre système éducatif et notre système médical sont prévus pour la population sud-africaine, pas pour 5 ou 10 millions de personnes en plus, provenant des pays périphériques. Nous voulons parvenir à une situation dans laquelle nous pouvons créer un environnement stable dans nos pays voisins pour qu’ils puissent se concentrer sur leur développement et nous sur le nôtre.
ADF : le braconnage est aussi lié à la criminalité transnationale. Quel impact cela a-t-il sur la sécurité de l’Afrique du Sud ?
Gén. Smith: il semble que nous allons battre le record [de braconnage des rhinocéros] cette année. C’est devenu un délit tellement spécialisé, que c’est vraiment très dur. Nous déployons beaucoup de ressources pour essayer de réduire le braconnage et je ne suis pas sûr, à l’heure actuelle, que ce soit fructueux. Ces problèmes sont liés aux nouvelles émergences de conflits dans le monde. Nous en faisons partie. Le village mondial a impacté l’Afrique du Sud plus vite que nous ne pouvions l’absorber. Désormais, nous devons infléchir la courbe de puissance afin de ne pas nous retrouver perdants.
ADF: les gens qui étudient la réconciliation citent souvent la SANDF en exemple, par certains aspects, de l’intégration dans l’armée et du rôle prépondérant de l’armée dans la réconciliation nationale. Quelles est la position actuelle de l’armée en termes d’intégration raciale et de restructuration ? Y a-t-il encore plus à faire ?
Gén. Smith: nous avons pratiquement 19 ou 20 ans d’intégration derrière nous. Je pense que cela s’est plutôt bien passé. Évidemment, il y a eu des problèmes lorsqu’il a fallu régler certaines choses. Nous sommes arrivés à une phase où nous allons devoir nous réorganiser en une meilleure structure pour répondre à nos besoins. Nous sommes partis d’une structure prévue pour mener des opérations internes et des opérations externes en Namibie. Nous avons dû passer à une structure réellement centrée sur la défense du pays et sur la protection de la souveraineté et de l’intégrité territoriale. Cela a commencé par des opérations de maintien de la paix. Aujourd’hui, nous sommes dans une sorte de structure composite où la force de défense, dans son ensemble, doit résoudre ces problèmes. Je pense que nous avons maintenant compris ce que nous devons faire. Le chef actuel de la force de défense, le général [Solly] Soke, y a vraiment beaucoup réfléchi. Sous sa direction, nous nous sommes livrés, il y a quelques années, à une véritable introspection, afin de répondre aux questions suivantes : où en sommes-nous ? De quoi avons-nous besoin ? Et dans quelle direction devons-nous aller ?
ADF: certains pourraient être surpris de la diversité de la SANDF. En plus des blancs et des noirs, elle comprend aussi beaucoup de groupes ethniques et ses membres parlent 11 langues officielles. Selon vous, la SANDF a-t-elle réussi à intégrer les soldats à tous les niveaux et à construire une armée représentative du pays dans son ensemble ?
Gén. Smith: lorsque vous êtes dans l’armée, votre culture et la couleur de votre peau n’a pas d’importance. Quand vous êtes blessé, le sang qui coule est rouge. C’est aussi simple que cela.