PERSONNEL D’ADF | PHOTOS : AFP/GETTY IMAGES
Lorsqu’Interpol effectua des raids internationaux coordonnés dans l’opération Jackal, il prit pour cible Black Axe, groupe criminel organisé basé au Nigeria. Dans ce coup de balai en 2022, les autorités ont arrêté 75 personnes, fouillé 49 propriétés et intercepté des comptes bancaires d’une valeur de près de 1,3 million de dollars.
Les autorités ont aussi saisi 12.000 cartes SIM de téléphone mobile et identifié 70 suspects additionnels. Des investigateurs de 14 pays répartis sur 6 continents y ont participé : Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Côte d’Ivoire, Émirats arabes unis, Espagne, États-Unis, France, Irlande, Italie, Malaisie, Nigeria et Royaume Uni.
Quelques mois plus tard en mai 2023, Interpol a continué l’opération Jackal dans 21 pays pour frapper à nouveau Black Axe et des syndicats du crime similaires d’Afrique de l’Ouest. Cette fois-ci, les autorités ont bloqué 208 comptes bancaires liés à des crimes financiers en ligne, saisi ou gelé près de 2,3 millions de dollars et arrêté 103 personnes. Des opérations en Belgique, au Brésil, au Canada, en Indonésie, en Malaisie, aux Pays-Bas, au Portugal et en Suisse ont été ajoutées à celles des pays initiaux.
« Les fonds de financement illicites sont l’élément vital du crime transnational organisé et nous avons constaté comment les groupes tels que Black Axe canalisent l’argent gagné avec les arnaques financières en ligne vers d’autres domaines de crime, par exemple les drogues et la traite humaine », déclare Stephen Kavanagh, directeur exécutif des services de police d’Interpol. « Ces groupes exigent une réponse mondiale. »
Au moins un expert africain de la sécurité en convient, mais il déclare que le succès sera obtenu difficilement parce que de nombreux pays ne savent même pas que ces groupes sont actifs chez eux, ni comment ils agissent.
« Vous nécessitez une stratégie claire, une stratégie exhaustive », déclare Martin Ewi, coordinateur technique du projet ENACT (Enhancing Africa’s Response to Transnational Organised Crime, Améliorer la réponse de l’Afrique au crime organisé transnational), à l’Institut d’études de sécurité. « Ce n’est pas une stratégie unique. … Non, ce doit être une stratégie exhaustive dans laquelle vous les traquez de partout. C’est une institution humaine. Les institutions humaines ne survivent pas avec une chose unique. »
La nature de Black Axe et d’autres groupes similaires rend difficile la coordination pour la plupart des pays. Mais si l’on manque de riposter à cette menace de criminalité organisée, cela peut mettre en danger la sécurité locale, nationale et internationale, selon M. Ewi.
QUI EST BLACK AXE ?
Les origines de Black Axe (Hache noire) sont uniques pour une organisation criminelle. Elle a été créée avec de bonnes intentions le 7 juillet 1997 sur le campus de l’université de Benin dans l’État d’Edo au Nigeria. Elle a commencé dans le cadre du Nouveau Mouvement noir, un effort pour promouvoir l’esprit anticolonialiste et panafricain, selon le profil de 2019 du magazine Harper.
L’organisation est l’une d’un grand nombre de « confraternités » qui avaient été créées à l’époque. Parfois, ces groupes sont appelés des cultes à cause du mystère qui entoure leurs activités et rituels. D’autres groupes proéminents incluent la Supreme Eiye Confraternity, appelée populairement les Airlords, et Maphite, groupe criminel organisé qui selon les autorités est un acronyme de « Maximum Academic Performance Highly Intellectuals Train Executioner ». Chacun a des racines au Nigeria.
Il existe aussi des bandes criminelles locales plus petites, en particulier en Afrique du Sud, où M. Ewi est basé. Elles ont des noms criards : les Américains, les Hard Livings, les Jeunes Garçons de Dixie, les Gosses malins, les Garçons coquins et les Gosses junky funky. Ils sont surtout proéminents dans les plus grandes villes comme Le Cap, Durban, Johannesbourg et Pretoria. Des centaines de bande similaires sont réparties au Nigeria.
Toutefois, Black Axe est l’une des plus grandes, des plus notoires et des plus répandues. Certains rapports suggèrent qu’elle a jusqu’à 30.000 membres ou plus dans le monde. Un reportage de la BBC indique que Black Axe est tellement prédominante à Benin City que des civils de la ville ont créé des milices armées pour se protéger.
Le groupe est connu dans le monde entier pour son innovation dans les fraudes par avance de fonds, appelées aussi « fraude 419 » pour leur référence à la section correspondante du Code pénal du Nigeria. Dans ce type d’arnaque, un agent envoie des lettres, des télécopies ou des e-mails en se faisant passer pour un responsable juridique, gouvernemental ou bancaire qui cherche une assistance pour transférer de l’argent dans un compte étranger. L’agent promet d’offrir à la victime une commission pour couvrir les frais de transfert ou l’accès aux numéros de comptes bancaires.
L’INSÉCURITÉ CHEZ EUX
Les groupes criminels organisés transnationaux peuvent cibler des victimes partout dans le monde grâce à des arnaques financières sur Internet élaborées, à la traite humaine et à la contrebande de stupéfiants. Ainsi, les groupes tels que Black Axe constituent des menaces évidentes sur la sécurité.
Mais la façon dont ces groupes peuvent menacer la sécurité dans leur propre pays et région ne fait pas l’objet d’un focus aussi intense. M. Ewi déclare que ce phénomène suscite des problèmes particulièrement épineux à cause du manque de connaissances et d’études conduites sur ces groupes.
En premier lieu, l’origine de ces groupes en tant qu’organisations philanthropiques cherchant à soutenir le mouvement Black Power et combattre le racisme fournit un masque de respectabilité. En outre, certains groupes ont des éléments criminels et non criminels. « C’est un aspect crucial de la raison pour laquelle le mouvement Black Axe a été capable de s’internationaliser comme il l’a fait », déclare M. Ewi.
« Mais pourquoi donc sont-ils devenus si populaires ? Aujourd’hui, avec les difficultés auxquelles de nombreux jeunes font face, l’énorme taux de chômage en Afrique, le fait que beaucoup de jeunes ne peuvent pas trouver d’emploi, ce genre de groupe est extrêmement attrayant. Et si vous pouvez obtenir suffisamment de membres, vous pouvez avoir une organisation solide. Vous pouvez attirer beaucoup de jeunes et le mouvement Black Axe, les groupes tels que Maphite ou Airlords, ils ont tous tiré profit de cela. »
Cette dynamique est similaire à celle du recrutement par les organisations extrémistes violentes telles que Boko Haram et les chebabs. Les jeunes sans perspective professionnelle ou éducative découvrent qu’ils peuvent gagner de l’argent et du prestige en s’armant et en se battant pour ces groupes. Il en est de même pour les bandes locales et transnationales.
Ceci peut dégrader la sécurité de l’état de plusieurs façons. Au niveau le plus bas, les bandes locales telles que celles d’Afrique du Sud s’engagent dans la violence et la petite délinquance, en mettant en danger les résidents locaux et défiant les forces de police. En plus de la petite délinquance et de la violence, les groupes criminels plus vastes, mieux organisés et mieux financés peuvent influencer le gouvernement par l’influence politique, les pots-de-vin et autres crimes. Black Axe a la réputation d’avoir des connexions et de l’influence dans la politique nigériane.
« Si plus de groupes comme celui-là continuent à croître, ils poseront une menace grave contre le pays d’origine parce qu’ils sont tellement riches qu’ils peuvent acheter n’importe qui dans le pays et le pays devient un refuge sûr. Si par exemple ils font face à de sérieux défis à l’étranger, ils reviennent toujours chez eux. Leur croissance est donc une menace grave pour la stabilité, la paix et la cohésion de leur pays. Et c’est ce que nous constatons. »
LA MENACE DES LIENS EXTRÉMISTES
Une menace potentielle de sécurité due à Black Axe et aux autres bandes criminelles organisées est la possibilité de coopération avec les groupes extrémistes violents tels que Boko Haram et ses filiales régionales. Le problème, c’est le fait qu’il existe peu d’information, ou qu’il n’en existe pas, sur l’existence de cette coopération et, si elle existe, comment et dans quelle mesure.
« Il existe très peu d’information sur l’organisation de la part des sources de recherche, ce qui appuie la suggestion que l’organisation criminelle nigériane n’a pas fait l’objet d’études ; cela intensifie la réputation de clandestinité du groupe », a écrit l’auteure sud-africaine Candice Boyers pour le site web Chosen Narrative en 2023.
M. Ewi en convient. Les recherches sur la possibilité de telles connexions ne sont pas simplement rares, elles sont « inexistantes », déclare-t-il. Il est raisonnable de considérer que les groupes extrémistes tels que Boko Haram cherchent à s’associer d’une manière ou d’une autre à un groupe criminel transnational bien connecté comme Black Axe, dit-il, en notant certains rapports de coopération entre Boko Haram et les bandits du Nord du Nigeria.
Dans l’article de janvier 2022 intitulé « Le Nord-Ouest du Nigeria : une “djihadisation” du banditisme ou une “banditisation” du djihad ? », les auteurs James Barnett, Murtala Ahmed Rufa’i et Abdulaziz Abdulaziz confirment qu’il y a eu des liens entre les extrémistes nigérians du Nord-Est et les bandits du Nord-Ouest, principalement dans l’État de Zamfara.
Ils écrivent que ces connexions prennent en général l’une des trois formes suivantes : coexistence, coopération et convergence. L’article note que les militants de Boko Haram ont « coexisté et coopéré de temps à autre avec les bandits dans le Nord-Ouest, cette coopération étant limitée à des échanges de matériel ou d’aptitudes à court terme, mutuellement avantageux ». Toutefois, la convergence selon laquelle chaque groupe s’engage de plus en plus dans le comportement de l’autre n’a pas été constatée. Contrairement à Black Axe, les bandits du Nord-Ouest du Nigeria appartiennent à des bandes rurales pratiquant les enlèvements contre rançon, le vol du bétail, les rackets d’extorsion locaux et le pillage, écrivent les auteurs.
Une organisation telle que Black Axe pourrait-elle donc faire front commun avec un groupe tel que Boko Haram ? M. Ewi pense que cela est possible. Il déclare aussi qu’il existe des avantages mutuels pour que les deux parties coopèrent. Par exemple, un groupe extrémiste pourrait accéder au réseau multinational d’un groupe criminel organisé pour transporter ou acheter des armes pour son propre bénéfice, ou passer d’autres articles en contrebande pour faire des bénéfices. Inversement, un groupe criminel pourrait offrir des services aux terroristes et obtenir paiement.
AFFRONTER LE NON-RESPECT DES LOIS
Les autorités nigérianes ont poursuivi les confraternités criminelles au niveau local à maintes reprises. En juillet 2021, le commandement de la police de l’État du Delta a arrêté plusieurs membres de Black Axe et confisqué deux pistolets, une hache de guerre, un coutelas, des munitions, deux ordinateurs portables, six téléphones mobiles et une voiture volée, selon le blog d’information nigérian SouthernVoice.
En septembre 2023, la police dans l’État d’Ekiti a arrêté 17 personnes accusées de crimes, notamment « le cultisme, les assassinats et les enlèvements », selon le Nigerian Tribune. Les suspects ont avoué être membres des Airlords. Mais de tels efforts pourraient bien ne pas être suffisants.
À mesure que les groupes tels que Black Axe se développent et défient les efforts de sécurité dans leur pays et à l’étranger, leur omniprésence mondiale rendra infructueux tout effort unidimensionnel, selon M. Ewi. Les pays devront coopérer et partager les renseignements pour les frapper globalement.
« Vous ne les vaincrez pas en les attaquant dans un seul pays. Cela ne fonctionnera pas. Tant qu’ils existent dans un ou deux autres pays, ils continueront, reproduiront leurs cellules et rendront leur défaite extrêmement difficile. Selon moi, ce doit donc être une action mondiale. »