Rampersad Sooroojebally est un vétéran qui avait rejoint la Force de police de la République de Maurice en 1971. Avant d’être nommé commissaire le 15 novembre 2024, il a joué un rôle crucial dans la restructuration de l’unité de lutte contre la drogue et la contrebande de la force. Il a aussi conçu et dirigé l’unité de contre-terrorisme du pays, qui recueille et analyse les renseignements avant de les diffuser aux agences de police. Ses remarques ont été modifiées pour des raisons de longueur et de clarté.
ADF : Malgré sa petite superficie, Maurice patrouille une zone économique exclusive (ZEE) s’étendant sur 2,3 millions de km carrés, taille approximative de l’Algérie, qui est le pays le plus grand d’Afrique. Pouvez-vous décrire la stratégie d’ensemble de votre pays pour optimiser ses ressources afin de surveiller et sécuriser cette zone ?
Commissaire Sooroojebally : Comme vous l’avez dit, Maurice a une ZEE très vaste, environ 1.200 fois sa masse terrestre. Cela présente une multitude de défis. La Garde côtière nationale [NCG] qui est la branche maritime de la Force de police a la responsabilité de protéger ces zones maritimes. La NCG se concentre sur plusieurs domaines clés, tels que les capacités de collecte de renseignement, l’encouragement de la collaboration et l’amélioration des capacités. Notre aptitude de surveillance et d’analyse des activités maritimes a été renforcée pour assurer que les opérations soient axées sur les renseignements et les informations.
De manière collaborative, la NCG engage activement les agences de sécurité maritime nationales, régionales et internationales pour mettre en commun les informations et coordonner les efforts. Du point de vue national, elle coopère étroitement avec des unités au sein de la Force de police de Maurice telles que l’unité de lutte contre la drogue et la contrebande et l’office des passeports et de l’immigration, ainsi qu’avec des organisations externes telles que la section anti-narcotique des douanes, les pêches, l’autorité du tourisme et l’autorité du transport maritime et des ports. La NCG collabore aussi activement avec les forces maritimes des pays aux vues similaires ainsi qu’avec des organisations multilatérales pour détecter et contrecarrer les activités maritimes illicites.
Les investissements continuels de la NCG dans la technologie et l’équipement modernes ont été un focus du gouvernement. Au cours des années, nous avons acquis de nouveaux aéronefs, des bateaux rapides, des systèmes et logiciels de surveillance, lesquels ont amélioré notre capacité de surveiller et conduire des opérations efficacement. Nous sommes aussi en train de mettre à niveau un grand nombre de ces systèmes technologiques qui évoluent rapidement, tels que le système de surveillance radar du littoral.

ADF : Comment ces systèmes technologiques protègent-ils les eaux ?
Commissaire Sooroojebally : Ils jouent un rôle crucial pour maintenir notre vaste ZEE sous surveillance et améliorer notre connaissance du domaine maritime. La NCG utilise un certain nombre d’outils et de logiciels pour suivre et surveiller les navires marchands, les vaisseaux de pêche et d’autres vaisseaux intéressants dans notre zone maritime. La NCG a une approche de surveillance à plusieurs niveaux qui inclut un système radar de surveillance du littoral, le système d’identification automatique ou SIA, des aéronefs de surveillance, des navires et des mécanismes de partage de l’information pour surveiller les mouvements des vaisseaux en temps réel. Nous allons aussi établir un centre national de partage des informations maritimes pour mieux exploiter la technologie et rationaliser le flux d’information entre les diverses parties prenantes internes et externes afin de renforcer la capacité de surveillance de nos zones maritimes. L’adoption et l’absorption de la technologie sont un processus continuel, et nous continuons à acquérir et intégrer ces outils pour renforcer nos capacités de surveillance et d’intervention.
ADF : Le crime organisé, notamment le trafic des drogues et des armes et la traite humaine, prédominent dans l’océan Indien et le canal du Mozambique. Quels types d’activités maritimes illégales sont-ils ciblés par votre force ?
Commissaire Sooroojebally : Nous faisons face à d’importants défis, notamment les activités maritimes illicites qui menacent notre sécurité, notre économie et notre écologie. Parmi celles-ci, le trafic de drogue reste l’une des préoccupations les plus urgentes pour le pays. Les effets nuisibles du trafic de drogue excèdent de loin leur impact immédiat ; il contribue à la montée des entreprises illicites liées qui sapent le bien-être sociétal. Les océans continuent à servir de conduits pour la contrebande des drogues et nous essayons continuellement de mettre en œuvre des mesures robustes pour contrer cette menace.
La pêche illégale, non déclarée et non réglementée [INN] est une autre menace grave. La région de l’océan Indien accueille certaines des zones de pêche les plus vitales de la planète, soutenant les moyens de subsistance de plusieurs millions de personnes et jouant un rôle critique dans la sécurité alimentaire mondiale. La pêche excessive et non réglementée peut perturber les écosystèmes marins, épuiser les stocks de poissons et créer des déséquilibres écologiques à long terme. C’est une priorité majeure et nous œuvrons vivement pour protéger nos ressources maritimes et encourager les pratiques durables.
Les autres activités maritimes illégales telles que la traite humaine et l’immigration non autorisée présentent aussi d’importants défis. Ces activités enfreignent non seulement les lois nationales et internationales mais elles mettent aussi en danger la vie humaine et sapent la stabilité régionale.
L’environnement est un autre thème majeur à cause du tourisme. Nous avons besoin que les gens viennent dans l’île Maurice. Cela ne fait aucun doute. Nous coordonnons avec le gouvernement et l’assistons pour prévenir les catastrophes internationales.

ADF : Pourriez-vous décrire la relation entre Maurice et l’Inde en matière de sécurité maritime et comment l’importance de ce partenariat a augmenté au cours des dernières années ?
Commissaire Sooroojebally : Notre relation est profonde et bâtie sur des liens culturels, historiques et linguistiques, et aussi de forts liens diplomatiques. Ils soulignent aussi le partenariat de sécurité maritime entre les deux pays. Au cours des années, les intérêts partagés visant à assurer la sûreté, la sécurité et la stabilité de la région de l’océan Indien ont renforcé encore plus notre coopération et notre relation. Les initiatives indiennes telles que SAGAR [sécurité et croissance pour tous dans la région] et MAHASAGAR [avancement mutuel et holistique de la sécurité et la croissance pour tous dans la région], qui encouragent la sécurité coopérative et le développement maritime durable, s’alignent sur les intérêts de Maurice et nous espérons renforcer plus encore cette coopération pour avoir un océan Indien sûr, sécurisé et stable.
ADF : Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par les millions de dollars de pertes financières annuelles dues à la pêche INN, et comment cela affecte-t-il l’économie de l’île ?
Commissaire Sooroojebally : La pêche INN présente une menace considérable pour Maurice. Elle épuise les stocks de poissons, affecte la capacité de prise et de vente de poissons des pêcheurs légitimes. Elle fausse les prix du marché. Elle menace les moyens de subsistance et sape aussi la sécurité alimentaire. Le secteur de la pêche fournit des emplois à plus de 20.000 personnes ; l’industrie du thon à elle seule emploie plus de 7.000. L’épuisement des ressources de poisson dû aux activités INN met en danger notre industrie d’exportation de fruits de mer et sape la croissance économique. Pour riposter, Maurice a pris des mesures fortes, notamment la ratification de l’accord des mesures du ressort de l’État du port pour empêcher l’entrée du poisson illégalement pêché dans nos ports. Nous renforçons aussi nos capacités de surveillance pour cibler la pêche INN. L’économie des océans est devenue un pilier de notre prospérité économique et notre développement. Il est crucial de faire face au problème de la pêche INN pour assurer la prospérité à long terme de l’économie de l’île.
ADF : Qu’est-ce qui doit être fait pour identifier et stopper les vaisseaux de pêche INN ? Quelles sont les stratégies qui fonctionnent au mieux dans la lutte contre l’INN et les autres crimes maritimes dans les eaux d’Afrique de l’Est ?
Commissaire Sooroojebally : Dans la lutte contre la pêche illégale, la NCG coordonne avec le service des Pêches pour surveiller nos eaux. Nous conduisons une surveillance exhaustive par avion et par bateau, qui s’additionne aux patrouilles du littoral, pour réprimer la pêche illégale dans la région. Les efforts de la NCG ont aussi conduit à la détection et la prévention de la pêche illégale dans les eaux côtières, et à la confiscation des filets de pêche illégaux, d’une longueur de près de 6 km. Ce type de mesure a été crucial pour protéger nos ressources marines et assurer la durabilité de nos pêches. L’amélioration de la coopération régionale avec les autres pays de la région qui sont aussi affectés par des problèmes similaires rend sans aucun doute plus efficaces les efforts contre la pêche INN. L’accord sur les mesures du ressort de l’État du port a été crucial pour empêcher le poisson attrapé illégalement de pénétrer dans les ports.
ADF : Dans quelle mesure les organisations régionales telles que le centre régional des opérations de coordination des Seychelles et le centre régional de fusion des informations maritimes de Madagascar offrent-elles des avantages pour votre travail à Maurice ? Comment voulez-vous que ce type de partenariat évolue et se développe ?
Commissaire Sooroojebally : Elles ont été vitales pour assurer la collaboration avec les pays de la région dans la lutte contre les activités maritimes illégales. Elles ont été capables de fournir des renseignements, améliorer la sensibilisation situationnelle et permettre des réponses régionales coordonnées aux menaces telles que la pêche INN et le trafic. Ces partenariats renforcent nos capacités collectives de surveillance et protection de nos vastes zones maritimes. Pour l’avenir, nous pensons que la poursuite de ces collaborations par le biais d’un meilleur échange d’information et l’inclusion de partenaires régionaux additionnels aura une grande valeur. À mesure que les menaces maritimes deviennent plus complexes, ce type d’effort coordonné et axé sur les renseignements est essentiel pour assurer la sécurité et la stabilité collectives dans l’océan Indien occidental.
ADF : Maurice a accueilli de nombreux responsables de haut rang lors de la conférence au sommet des Forces maritimes africaines en juin 2025. Qu’est-ce qui rend utile ce type de réunions ?
Commissaire Sooroojebally : Nous voulons tous bâtir un environnement maritime plus sûr et stable ; donc les réunions comme le sommet des Forces maritimes africaines et le symposium des chefs de l’infanterie navale pour l’Afrique ont une grande valeur pour encourager la collaboration, partager les meilleures pratiques et améliorer la sécurité maritime régionale. Ces événements réunissent des chefs de haut rang, des décideurs et des experts. Ils offrent une plateforme pour traiter des menaces maritimes émergentes qui affectent de multiples pays, par exemple la piraterie, la pêche illégale et le trafic. Il existe un échange d’idées formidable sur les nouvelles technologies, les stratégies et les cadres opérationnels. En créant un espace pour le dialogue ouvert, nous développons la confiance et améliorons la coordination entre les forces maritimes africaines ; nous assurons aussi que nos réponses aux menaces sur la sécurité maritime soient plus efficaces.
