Du Burkina Faso au Sudan, les drones jouent un rôle de plus en plus important dans les conflits. Ils étaient au début des outils de reconnaissance, mais ont évolué pour devenir des explosifs aéroportés presque imparables. Aujourd’hui, les experts craignent que ces conflits ne deviennent des terrains d’essai pour les drones autonomes programmés pour attaquer les cibles sans intervention humaine.
Certains affirment que le continent a déjà subi son premier assassinat par drone autonome. En 2020 en Libye, un STM Kargu-2 fabriqué en Turquie et doté d’un logiciel de reconnaissance faciale a poursuivi et tué des soldats du maréchal Khalifa Haftar.
Bien que le drone ait été capable d’agir de façon autonome, une enquête des Nations unies n’a pas découvert de preuves concluantes selon lesquelles l’engin avait agi de cette manière. Toutefois, cette histoire est devenue un récit de mise en garde pour les forces armées et les groupes de défense des droits de l’homme qui s’inquiètent de la façon dont le passage aux drones autonomes, appelés aussi des systèmes d’armes létales autonomes (SALA), pourrait changer le panorama de la sécurité africaine.
Les chercheurs Samuel Oyewole, Christopher Isike, Tony Oche et Ezenwa E. Olumba écrivent dans le Journal of Applied Security Research : « La question est maintenant de savoir comment l’utilisation des armes autonomes façonnera les conflits africains à l’avenir. La technologie a un avantage potentiel mais elle intensifiera aussi le risque d’accident militaire ou d’abus. En plus, c’est seulement une question de temps avant qu’elle ne tombe en mauvaises mains. »
Malgré ces inquiétudes, la course aux drones autonomes axés sur l’IA semble s’accélérer. Les gouvernements étrangers, notamment la Turquie et la Chine, continuent à vendre leur dernière technologie de drone aux gouvernements africains. Toutefois, un grand nombre de ces gouvernements travaillent sur leur propre technologie de drone autonome.
En mai 2024, le roi du Maroc Mohammed VI a demandé une réorientation des programmes de formation militaire pour traiter des défis et des opportunités de l’IA. Ceci s’est produit après une annonce des forces armées marocaines à la fin 2023 selon laquelle elles voulaient travailler avec l’Université Mohammed VI Polytechnique pour développer des drones axés sur l’IA.
L’Armée de l’air, l’Armée de terre et la Marine de guerre du Nigeria ont toutes les trois annoncé des plans pour exploiter l’IA, notamment des drones propulsés par l’IA, pour améliorer leurs opérations. Bien que le Nigeria ne produise pas encore de drone autonome, le pays a récemment annoncé qu’il collaborerait avec l’Éthiopie sur une nouvelle technologie de drone, basée dans la plus grande usine de drone d’Afrique près d’Abuja.
L’Afrique du Sud, qui a produit l’un des premiers drones aériens du monde dans les années 1970, a établi la Defence Artificial Intelligence Research Unit (DAIRU) afin de réunir des ressources gouvernementales, privées et militaires pour les projets de défense et de sécurité.
Étant donné la cadence de l’évolution de la technologie des drones et de leur demande, il semble très probable que l’on verra prochainement des drones autonomes dans le ciel africain, selon les experts.
Les quatre chercheurs écrivent : « La lutte pour acquérir des armes ayant des caractéristiques autonomes est devenue une réalité en Afrique. Le continent pourrait être en danger à mesure que les fournisseurs de SALA considèrent les conflits de la région comme des opportunités pour vendre, tester et évaluer leurs inventions. »
Les défenseurs des drones autonomes vantent leurs capacités d’agir comme des sentinelles mécanisées, qui collectent le renseignement avant l’action militaire sans besoin d’un opérateur. Les critiques déclarent que les armes aériennes avec des capacités de prise de décision indépendantes intensifient l’encouragement à la violence sans la responsabilité d’un opérateur humain lorsqu’une décision est prise pour tuer quelqu’un.
La technologie SALA entre les mains des dirigeants autoritaires présente un problème supplémentaire : le fait qu’ils l’emploieront contre les citoyens en violation de la loi et des droits de l’homme.
« Bien que SALA puisse être conçu et programmé pour éviter les cibles non voulues, la capacité d’exercer la justice face aux ordres d’élimination des non-combattants est discutable », écrivent les quatre chercheurs.
Il est aussi probable que la technologie SALA tombe entre les mains des terroristes ou autres groupes d’insurgés, selon l’analyste Kyle Hiebert.
Les armes autonomes permettraient à ces groupes de frapper des cibles au-delà des lignes de front, plus près du centre du gouvernement qu’ils cherchent à déstabiliser, écrit M. Hiebert pour l’Institut pour les études de sécurité.
« Les systèmes d’armes autonomes arriveront en Afrique tôt ou tard, écrit-il. Et la fenêtre pour établir des normes internationales autour d’eux est très étroite. Sans voix africaine claire dans la gouvernance IA mondiale, le continent deviendra probablement un terrain d’essai et une victime des ambitions technologiques des autres. »
