Le panorama sanglant d’El Fasher, ultime bastion des Forces armées soudanaises (FAS) dans la région du Darfour, symbolise la complexité de la guerre civile soudanaise, qui dure depuis deux ans et demi.
Les drones et les obus d’artillerie des Forces de soutien rapide (FSR) ont pulvérisé la ville, chef-lieu du Darfour du Nord, et ses plus de 250.000 habitants pendant les attaques d’octobre, en laissant les hommes, femmes et enfants morts et leur foyer et autres bâtiments réduits en ruines.
Le journaliste local Mohyaldeen Abdallah déclare à Reuters qu’à cause du danger des attaques de drone et des tireurs embusqués, « nous pouvons enterrer les gens uniquement pendant la nuit ou au petit matin. Pour nous, c’est devenu normal. »
« Ils ne font pas de différence entre les civils et les soldats ; si vous êtes humain, ils vous tirent dessus », a déclaré à Reuters Khadiga Musa, chef du ministère de la Santé du Darfour du Nord, parlant par téléphone depuis la ville assaillie.
Sept mois après la reconquête de Khartoum par les FAS nationales dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, les FSR dirigées par le général portant le sobriquet de Hemeti essaient de déloger complètement les FAS de l’ensemble du Darfour, bastion FSR de longue date. Les attaques de drone des 10 et 11 octobre contre un centre d’El Fasher pour les personnes déplacées ont tué 57 personnes. Parmi les morts, on compte 17 enfants, y compris 3 nourrissons, selon le reportage de Reuters.
Les cadavres gisent, enveloppés de couvertures et de tapis de prière, alors que les résidents restants creusent des abris et se cachent pendant la journée, selon la plateforme de presse News9 Live. Les activistes locaux déclarent que 30 personnes en moyenne sont décédées chaque jour à cause de la violence, la famine ou les maladies.
Les combats continuent, alors même qu’une coalition de quatre pays a présenté un plan de paix pour mettre fin aux effusions de sang.
Les forces de Hemeti ont pris au piège les habitants d’El Fasher en construisant des murs de sable de 3 mètres de haut pour conduire le blocus de la ville à l’Est, à l’Ouest et au Nord. Ces murs ont transformé la ville en « champ de tuerie », selon le laboratoire de recherche humanitaire de Yale qui surveille le Darfour du Nord avec des satellites. La BBC déclare que les points de contrôle des FSR piègent les gens dans la ville. Ceux qui essaient de partir sont victimes d’extorsion, de détention, de disparition et de violence sexuelle.
Puisque les FAS ont repris le contrôle de la capitale, il semblerait logique d’attribuer un changement de dynamique au profit des forces du général Burhan. Toutefois, le chercheur Michael Jones écrivant en novembre 2024 pour le Royal United Services Institute for Defence and Security Studies n’est pas allé jusqu’à qualifier de point tournant les gains du général dans le conflit.
Malgré l’avance de Burhan et le fait que Hemeti soit « débordé, sujet à l’attrition et souffrant de la perte de certains commandants de haut rang », M. Jones doute de la capacité des FAS pour conduire une offensive au Darfour.
« Les FAS ont enregistré une sous-performance continuelle pendant toute la crise ; leur armée de l’air et leurs “blindés russes” ont peu à peu été usés ; l’état-major général est sujet aux divisions et tout gain éventuel est obtenu avec des compromis », écrit-il. Lorsque les FAS ont gagné du terrain à Khartoum, elles se sont repliées militairement à El Fasher, ce que les FSR exploitent en 2025.
En outre, le général Burhan et ses alliés sont impopulaires. Bien que les FSR soient connues pour leurs atrocités, les deux belligérants attaquent les civils, recrutent les enfants et provoquent la famine, écrit-il.
Cameron Hudson, associé principal du Programme Afrique au Centre pour les études stratégiques et internationales, écrit dans un article du 24 mars 2025 que les FSR, en plus d’avoir perdu le territoire de la capitale au bénéfice des FAS, ont été devancées par les FAS en termes de recrutement et n’ont pas « maintenu des routes d’approvisionnement dans les vastes zones du pays précédemment sous leur contrôle ».
Au demeurant, il prédit que les FSR chercheront à achever leur siège d’El Fasher, qui continue. « Si la ville tombait entre les mains des FSR, le résultat serait une bifurcation du pays de facto, et apparemment de jure, écrit-il. Le Soudan pourrait très rapidement faire face à un scénario de type libyen, où deux gouvernements séparés luttent pour être reconnus et considérés comme crédibles en fonction de leur autorité sur des régions différentes. »
Il écrit qu’aucun des belligérants n’a exprimé d’intérêt pour négocier une fin à la guerre. Entre-temps, une proposition de paix soutenue par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et les États-Unis a été présentée. Elle fait appel à une trêve humanitaire de trois mois suivie par un cessez-le-feu permanent. Ensuite, un gouvernement dirigé par les civils seraient établi pendant une période transitionnelle de neuf mois, selon Al Jazeera.
Les quatre pays, appelés le « quad », se sont réunis séparément avec les belligérants pour promouvoir le plan de paix le 24 octobre à Washington, D.C. Toutefois, alors que les discussions continuent, il en est de même pour la dévastation au Soudan.
Près de 25 millions de personnes souffrent d’une insécurité alimentaire grave et 637.000 font face à des niveaux de famine dévastateurs, selon Al Jazeera. Près de 13 millions sont déplacés.
Kholood Khair, fondatrice et directrice du groupe de réflexion Confluence Advisory précédemment basé à Khartoum, a résumé ainsi les conditions au Soudan pour Al Jazeera : « C’est la plus grande crise humanitaire du monde. C’est la plus grande crise de déplacement du monde. C’est la plus grande crise de famine du monde. Et c’est la plus grande crise d’insécurité du monde. Tout cela en même temps. »
