La Mauritanie signa un accord de pêche de 25 ans avec la Chine en juin 2010. Après 15 années de surexploitation par les chalutiers industriels de Pékin, les pêcheurs artisanaux de Mauritanie ont maintenant des difficultés pour remplir leurs filets à cause de la baisse des stocks de poisson et la prolifération des usines qui fabriquent la farine et l’huile de poisson.
Ould Sidi (nom d’emprunt), dont la famille pêche dans ces eaux depuis des générations, déclare que les pêcheurs locaux qui travaillaient jadis près de la côte sont maintenant forcés de se rendre plus loin en mer, ce qui rend plus périlleuse et coûteuse une occupation qui était déjà dangereuse.
Il dit à Global Voices : « Je suis né dans une famille où la pêche est l’unique activité génératrice de revenus que nous pratiquons. Cette activité a toujours rapporté de l’argent à notre famille. Mais depuis la période où nos autorités ont signé cet accord avec les Chinois, tout est parti en vrille. Nous pouvons passer des jours en mer et revenir bredouilles, parce que les Chinois sont déjà passés par là avec leurs flottes. Le poulpe et le mulet jaune, deux espèces que nous pêchons, ont disparu. C’est triste pour notre activité. »
L’accord avec Poly Hong Dong Pelagic Fishery, ratifié en 2011, était dès le début sujet à controverse. Il a incité de nombreux pêcheurs à jeter des œufs aux législateurs qui le soutenaient au Parlement. Selon l’accord, la société ne payait aucun droit d’importation. On percevait un manque de prise de responsabilité publique qui a incité les législateurs de l’opposition à boycotter le vote au Parlement.
Cheikhany Ould Amar était chef de l’association de pêche industrielle de Mauritanie en 2011 et craint que l’accord n’offre pas suffisamment de protection pour les ressources de pêche en eau profonde, qui étaient déjà surexploitées à l’époque.
« L’accord ne fournit aucune garantie sur les contrôles », a-t-il dit à Reuters.
En vertu de l’accord, les autorités mauritaniennes ont profité d’un investissement chinois de 100 millions de dollars pour la construction et l’opération d’un quai et d’une usine de farine et d’huile de poisson à Nouadhibou, la capitale économique du pays. La farine de poisson riche en protéines est principalement utilisée en pisciculture et comme nourriture pour les animaux.
Sheikh Muhammed Salim Biram déclare à southworld.net : « Mes voisins viennent me voir et se plaignent parce qu’ils n’ont rien pêché. Mais que puis-je faire contre le gouvernement ? Ils ont amené les Chinois dans le pays. Ils nous volent le poisson et le transforment en aliment pour leurs cochons alors que notre peuple manque de nourriture. »
Historiquement, les usines de farine de poisson sont impopulaires en Afrique de l’Ouest. En Gambie par exemple, les gens ont protesté contre les dommages de l’environnement provoqués par la société chinoise Nessim Fishing and Fish Processing Co. et l’ont incendiée. Les zones près de ces usines deviennent tellement polluées que le tourisme disparaît. Les espèces utilisées dans la production des usines sont déjà surexploitées, ce qui aggrave l’insécurité alimentaire.
Traditionnellement, les poissons étaient vendus et consommés localement en Mauritanie. Aujourd’hui, une grande partie des poissons attrapés au large des côtes mauritaniennes est transformée dans des usines de farine de poisson détenus par des étrangers ; des dizaines sont actives dans le pays. À Nouadhibou, deuxième ville du pays, environ 550.000 tonnes de poisson sont transformées en farine et huile de poisson chaque année.
Aziz Boughourbal, directeur général de Mauritanian Holding Pelagic, déclare à southworld.net : « Il y a trente usines de farine de poisson dans la ville, et dix autres dans le Sud de la Mauritanie. Il est évident qu’il y en a trop. Le Maroc voisin, dont le littoral est deux fois plus long que le nôtre, en a seulement dix. »
La participation de la Chine à l’industrie de pêche locale a créé des conditions qui ne favorisent pas le développement local, écrivent les analystes Jean Sovon and Vivian Wu pour Global Voices. En plus de décimer les stocks de poisson, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) pratiquée sans contrôle par les chalutiers chinois menace les moyens de subsistance d’environ 300.000 personnes qui travaillent directement ou indirectement pour le secteur des pêches de Mauritanie. Selon l’indice de risque de pêche INN, la Chine est le pire contrevenant mondial de la pêche illégale.
Les organisations mauritaniennes de la société civile et les acteurs internationaux tels que Greenpeace Africa ont demandé au gouvernement de préserver, maintenir et conserver les ressources naturelles du pays et de protéger les moyens de subsistance des pêcheurs.
Un pêcheur local déclare à Global Voices : « Tant que les Chinois sont présents dans ce secteur, la pêche en Mauritanie est dans l’impasse. Et les conséquences seront très graves pour tout le pays si rien n’est fait. Aujourd’hui, avec cet accord signé avec la Chine, les pêcheurs mauritaniens sont largement exclus et marginalisés. Que deviendront les pêcheurs locaux lorsque cet accord prendra fin ? Les autorités doivent changer de cap et considérer notre contribution au développement socio-économique du pays. »