Dans les marchés au bétail du Nord du Ghana, les bouchers et les commerçants achètent le bétail auprès des éleveurs du Burkina Faso depuis des décennies. Récemment les vendeurs d’animaux ont cherché à faire des ventes rapides et accepté un paiement exceptionnellement bas, indication que le bétail était probablement volé.
Un boucher empruntant le nom d’Endinene déclare au New Humanitarian : « Auparavant, il y avait parfois du bétail volé sur le marché. Mais il y en avait peu et c’était rare. Mais depuis le début de la guerre, tout a changé. »
Il estime qu’aujourd’hui, la moitié des animaux qu’il achète sont volés. Les vendeurs acceptent la moitié, ou moins, du prix normal du bétail au Ghana.
Dans le Sahel, le vol de bétail est devenu une source majeure de revenus pour les groupes terroristes qui lancent des attaques au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les animaux sont souvent saisis des mains des éleveurs peuls en guise du paiement caritatif islamique obligatoire appelé zakât. Les voleurs mettent les animaux dans des camions et les envoient de l’autre côté de la frontière, au Ghana, pour qu’ils soient vendus et transformés. Bien que les terroristes en profitent financièrement, ce montage paralyse l’économie dans les zones rurales, ce qui accroît l’instabilité dans la région.
Selon le reportage du New Humanitarian, un éleveur peul du Burkina Faso s’identifiant sous le nom de Mohammed a été victime d’un vol de bétail en octobre 2023, par huit hommes armés venus en moto. Ils sont arrivés dans un pré aux environs de Bilanga et ont ordonné à six éleveurs de leur remettre les bovins. Les hommes étaient membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une coalition terroriste qui se bat dans toute la région.
Le GSIM n’est pas le seul groupe qui pratique le vol de bétail. Les combattants de la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (PAOEI) le font aussi ; il en est de même pour certains membres de la milice Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) du Burkina Faso, recrutés pour combattre le GSIM et la PAOEI. Les membres des VDP peuvent saisir les animaux des communautés qu’ils accusent d’être alliées au GSIM, ou ils peuvent servir d’intermédiaires pour mêler le bétail volé avec des animaux légitimes avant de les expédier au marché.
La vente du bétail volé finance l’achat des armes, du carburant, des motos et autres ressources pour les groupes terroristes, selon la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC). Cette initiative a constaté une relation directe entre la montée de la violence extrémiste et la hausse des vols de bétail.
« Cet alignement d’intérêt entre acteurs économiques puissants dans les états côtiers et les acteurs liés aux conflits du Sahel fait perdurer le statu quo et sape les efforts de paix », ont récemment écrit les chercheurs de la GI-TOC.
Avant l’arrivée du GSIM au Burkina Faso en 2017, le bétail représentait 10 % du produit national brut du pays. Le ministère des Ressources animales et halieutiques déclarait que le pays abritait 9,6 millions de bovins, 15 millions de chèvres et 10 millions de moutons.
Depuis l’arrivée du GSIM, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime que plus de 8 millions de têtes de bétail ont été volées. En date de 2024, 70 % du bétail dans le Sud-Ouest du Faso avait disparu, vraisemblablement volé pour financer les activités extrémistes, selon un rapport de l’Institut Clingendael. Ces vols se traduisent par une dévastation économique pour les éleveurs et les communautés rurales de la région, ce qui accroît l’instabilité. Ces animaux étaient une source cruciale de produits laitiers, de cuir et d’engrais pour les terres arables.
Certains éleveurs vendent leurs bêtes pour éviter qu’elles ne soient volées, selon l’analyste principale Flore Berger de l’observatoire du Sahel de GI-TOC.
« Il est presque impossible d’être éleveur aujourd’hui. Et avoir de grands troupeaux cause évidemment des défis et des difficultés, plutôt que de rapporter des bénéfices », déclare-t-elle dans une discussion en ligne concernant le rapport sur le vol de bétail de l’initiative.
En plus de déstabiliser l’économie rurale du Burkina Faso, le vol de bétail érode aussi les relations entre les communautés ethniques et détruit la confiance du public dans la capacité de vaincre les groupes terroristes du gouvernement central. Ceci offre au GSIM plus d’opportunités pour recruter de nouveaux membres.
« À la longue, les acteurs tels que le GSIM deviennent plus forts », déclare Mme Berger.