La Marine nigériane poursuivait le pétrolier MT Heroic Idun dans le golfe de Guinée, soupçonnant le navire d’avoir dérobé du pétrole au terminal de Port Harcourt. L’équipage du pétrolier a interprété par erreur l’approche du bateau patrouilleur de la Marine comme une attaque de piraterie en ce jour d’août 2022. Ils ont signalé qu’ils étaient attaqués et se sont enfuis.
À l’aide des outils du système d’information régional de l’architecture de Yaoundé (YARIS), les autorités nigérianes ont contacté leurs homologues de Guinée équatoriale. Ces derniers ont saisi le navire lorsqu’il est entré dans leurs eaux et ont détenu l’équipage en tant que voleurs présumés.
Bien que l’équipage ait finalement été déclaré non coupable, l’incident illustre comment les pays africains utilisent la technologie et les organisations régionales pour améliorer la connaissance du domaine maritime (MDA) le long du littoral des océans Atlantique et Indien très emprunté du continent.
L’analyste Ifesinachi Okafor-Yarwood a récemment écrit dans The Conversation : « Le Nigeria est un excellent exemple de pays où l’investissement dans l’infrastructure basée sur la technologie l’a aidé à affronter les menaces contre sa sécurité et son développement. » Le Dr Okafor-Yarwood a écrit extensivement sur les liens entre la technologie et la sécurité maritime, en particulier dans le golfe de Guinée.
Le Nigeria est un chef de file de la sécurité maritime en Afrique de l’Ouest. Parmi ses outils MDA, le système Falcon Eye utilise un réseau de radars, systèmes électro-optiques et caméras pour suivre les mouvements des navires. De plus, le projet Deep Blue possède 19 navires, des véhicules aériens sans humain à bord, 600 spécialistes de la sécurité du littoral et un centre de commandement, contrôle, communication, informatique et renseignement pour recueillir les données et répondre aux incidents.
Le Nigeria donne crédit à ses efforts de surveillance et de protection du territoire maritime pour une forte baisse des incidents de piraterie et son retrait en 2022 d’une liste publique des zones du monde affectées par un problème de piraterie.
Le Nigeria a la capacité de financer son propre système MDA mais beaucoup de pays ne peuvent pas le faire. Les systèmes régionaux tels que YARIS et son analogue de l’océan Indien, le code de conduite de Djibouti, améliorent la MDA en encourageant les pays à œuvrer ensemble pour surmonter leurs carences individuelles.
Malgré cela, les systèmes font face à d’importants défis, par exemple la durabilité à long terme et l’amélioration de la confiance des expéditeurs, selon l’ex-responsable d’une société de transports maritimes Sam Megwa, qui aujourd’hui supervise le réseau inter-régional du golfe de Guinée. Ce dernier analyse des méthodes pour assurer le futur de YARIS.
M. Megwa a déclaré dans une interview sur « AfriCan Geopardy », le podcast du Dr Okafor-Yarwood : « Nous devons encourager la coopération et la confiance. Si l’environnement maritime est sécurisé, tout le monde en bénéficie. »
LA TECHNOLOGIE ET LA CONFIANCE
Les 39 pays de la côte africaine possèdent un littoral de 48.100 km, des zones économiques exclusives de 13 millions de km carrés et plus de 100 ports. C’est un énorme territoire que les pays ont eu des difficultés pour patrouiller efficacement dans le passé. C’est une condition que les chercheurs qualifient de « cécité de la mer ». Résultat : des décennies de piraterie, trafic et autres défis affectant l’économie maritime du continent.
« Les océans restent un lieu élusif pour de nombreux états du littoral à cause de la capacité limitée résultant d’un manque d’accès à l’infrastructure, à la technologie et au savoir-faire technique », écrit le Dr Okafor-Yarwood en tant qu’auteure principale d’une étude publiée dans le journal « Marine Policy » au début 2024.
La situation a commencé à changer alors que les avancées technologiques, notamment les systèmes en ligne, terrestres et spatiaux, offrent aux pays une meilleure compréhension de ce qui se passe dans leurs eaux territoriales.
« L’évolution de la MDA est intrinsèquement liée à l’émergence des technologies qui promettent d’améliorer les capacités de surveillance des états », a écrit le Dr Okafor-Yarwood et ses co-auteurs dans Marine Policy.
La technologie à la disposition des pays africains inclut :
SeaVision : Cet outil MDA non confidentiel, créé aux États-Unis en 2012, nécessite seulement une connexion Internet, un nom d’utilisateur et un mot de passe. Il permet aux utilisateurs de suivre les navires commerciaux globalement avec des données provenant des transpondeurs des systèmes d’identification automatique (SIA) développés pour prévenir les collisions en mer. 25 pays africains environ utilisent l’outil.
Radar : Des systèmes radar terrestres économiques qui peuvent fonctionner en présence d’intempéries offrent une image des navires dans leurs eaux. Toutefois, de tels systèmes voient une petite section de territoire à la fois et ne peuvent pas produire le type d’information identificatrice des SIA ou des systèmes de surveillance de navire.
Satellite : Les images satellitaires couvrent de vastes territoires mais leur résolution faible permet difficilement de détecter les petits navires. Comme les radars, elles manquent aussi de fournir des informations d’identification. Les abonnements peuvent coûter trop cher pour certains pays.
Skylight : Ce système basé sur l’Internet combine des images satellitaires publiques et privées et des données SIA pour localiser les navires et les suivre en mer, avec un accent mis sur la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN).
Radar à synthèse d’ouverture : Ce système radar basé sur satellite, d’un coût élevé, fournit des images de plus haute résolution que les radars terrestres et peut déterminer précisément la position et l’activité des navires. Il peut aussi suivre des navires qui ont désactivé leur transpondeur SIA (tactique fréquente des navires qui pêchent illégalement).
Suite radiométrique d’imagerie infrarouge de navire : Cette technologie détecte les navires en fonction de la lumière qu’ils émettent, ce qui la rend particulièrement efficace contre les navires engagés dans la pêche INN qui utilisent des feux pour attirer le poisson.
Alors même que la technologie maritime prolifère, elle ne peut pas se substituer à la coordination et la collaboration entre les pays.
« La difficulté de patrouiller est essentiellement due à un manque de capacité, qui serait surmonté si les autorités amélioraient la connaissance conjointe de la mer grâce au partage des informations », écrit l’analyste Timothy Walker pour l’Institut sud-africain d’études de sécurité.
Ceci dit, les informations doivent êtres partagées de façon judicieuse dans les domaines où elles pourraient encourager les autorités corrompues à comploter avec les criminels que les systèmes essaient de stopper, selon les experts.
« Ceci crée une culture de méfiance », écrivent le Dr Okafor-Yarwood et ses co-auteurs dans « Marine Policy ».
Les pays africains ont déjà des difficultés pour inciter les transporteurs maritimes commerciaux à leur faire confiance lorsqu’ils traversent leurs eaux. Les navires qui soupçonnent des actes de piraterie les signalent d’abord à des groupes tels que le Bureau maritime international basé en Malaisie, plutôt qu’aux centres d’information voisins créés par les systèmes de Yaoundé et de Djibouti. Dans bien des cas, les capitaines de navire ne croient pas que les pays africains puissent répondre efficacement, selon les chercheurs.
M. Megwa déclare : « Il va sans dire que, si la région est contactée en premier, cela leur donnerait une meilleure chance de répondre rapidement et efficacement à des navires en détresse. Le potentiel de YARIS ne peut pas être pleinement réalisé sans partage de l’information entre les navires et les centres régionaux. »
DES DÉFIS À L’HORIZON
La collaboration dans l’environnement maritime peut surmonter les limitations affrontées par certaines nations, en particulier celles où les insurrections et le terrorisme terrestres forcent les responsables à détourner leur attention des zones maritimes essentiellement hors de vue. Pour eux, l’architecture de Yaoundé et le code de conduite de Djibouti peuvent être des éléments vitaux de leurs efforts de riposte au crime maritime.
Depuis son début en 2008, le code de conduite de Djibouti est devenu le fondement des efforts internationaux pour contrôler la piraterie dans l’océan Indien occidental, région qui inclut le golfe d’Aden, le golfe d’Oman et le canal du Mozambique, trois points de grippage cruciaux pour l’économie mondiale.
Au cours des dix années suivantes, les vingt signataires, y compris quinze pays africains et cinq du Moyen-Orient, et leurs partenaires ont réduit essentiellement à zéro les niveaux de piraterie dans la région. En 2022, l’Organisation maritime internationale a retiré l’océan Indien de la liste des zones sujettes à des risques élevés de piraterie.
Bien que la piraterie ait baissé dramatiquement, les pays africains continuent à faire face à d’autres défis provenant de l’océan. Les trafiquants de drogue par exemple ont fait du continent une voie de transit cruciale vers l’Europe : du Brésil vers l’Afrique de l’Ouest et de l’Asie australe vers l’Afrique de l’Est. Les pays africains de l’océan Indien sont à eux seuls sujets à plus de 190 millions de dollars de trafic de drogue chaque année, selon les chercheurs Darshana M. Baruah, Nitya Labh et Jessica Greely de Carnegie Endowment.
Les chercheurs ont écrit dans une étude de 2023 : « La circulation des drogues et le terrorisme sont connectés. »
Depuis 2016, les forces régionales de sécurité maritime d’Afrique de l’Est ont intercepté maintes fois les armes iraniennes à destination des chebabs et de l’État islamique en Somalie.
Les pays insulaires africains de l’océan Indien (Madagascar, Maurice, les Seychelles) sont responsables pour surveiller au total plus de 3,8 millions de km carrés d’océan, soit la deuxième zone mondiale après l’Australie. Ceci rend impérative la coopération régionale. Madagascar héberge l’un des trois centres de fusion des informations de l’océan Indien, conçus pour recueillir les données et coordonner la MDA dans toute la région.
Alors même que les pays emploient la technologie et les accords de collaboration pour améliorer leur MDA, ils affronteront des défis importants à l’avenir. Le plus important est le futur de YARIS, qui s’appuie sur un financement de l’Union européenne.
Selon M. Megwa, l’avenir de Yaris peut nécessiter une combinaison de financement public et privé pour assurer que le système perdure. Ceci inclut la recherche d’un lieu africain pour accueillir le centre de données du système, qui se trouve au Portugal.
M. Megwa déclare : « Il serait vain de transférer le système dans une région, puis assister à la défaillance de YARIS parce qu’il y a d’autres priorités. Ce sera un effort tout à fait collaboratif. »
La région manque aussi de personnel formé pour assumer la direction de YARIS, qui a déjà des difficultés pour obtenir de ses pays membres le pourvoi complet en personnel de ses centres d’information, selon les chercheurs.
Pour éviter les revers potentiels de la sécurité maritime, le Dr Okafor-Yarwood et d’autres déclarent que les pays africains doivent affecter plus d’attention et de ressources pour protéger leurs zones côtières.
Le Dr Okafor-Yarwood et ses co-auteurs écrivent : « Les technologies de sécurité qui se concentrent sur l’identification des menaces sont efficaces seulement si les responsables de la mise en application des lois ont les ressources nécessaires pour contrer ces menaces. Le rôle de la technologie dans la MDA et dans la capacité de la sécurité maritime est crucial et irréfutable. »