Les rebelles du M23 « version 2 » cherchent à établir un bastion dans la RDC
PERSONNEL D’ADF
Des rebelles lourdement armés du M23 sont assis dans leurs camions et sur leurs motos à un point de contrôle sur la route qui relie Sake, Kirolirwe et Kitchanga dans la région orientale de la République démocratique du Congo. Ils arrêtent chaque voyageur, examinent ce qu’ils transportent, exigent le paiement d’une taxe et fournissent un récépissé écrit à la main.
Dans un rapport récent, plusieurs chercheurs ont estimé que l’extorsion des civils par le M23 pourrait lui rapporter 69.500 dollars par mois, uniquement sur cette route commerciale.
Les auteurs écrivent : « Le contrôle des routes est une question stratégique importante, pour des raisons militaires évidentes mais aussi pour le financement des groupes armés. Le M23 a enregistré d’importants progrès en 2022 sur les routes majeures et a cherché à occuper les carrefours importants, les ponts et les centres commerciaux du Nord-Kivu. En 2023, le groupe a occupé les centres commerciaux cruciaux de Kirolirwe, Kitchanga et Mushaki. »
Le contrôle économique est l’une des marques du groupe rebelle M23, qui a saisi de vastes territoires dans les provinces orientales de la RDC. Les chercheurs ont conduit des investigations et sondé les habitants locaux ; ils ont cherché à caractériser ce qu’ils constatent comme une évolution du groupe d’insurgés, en le qualifiant de M23 « version 2 ».
Un rapport de l’International Peace Information Service (IPIS) et du Danish Institute for International Studies (DIIS), basé sur 57 entretiens conduits par l’Association pour le développement des initiatives paysannes, organisation de la société civile de Goma, a été publié en avril.
Il déclare : « La crise actuelle du M23… est considérée comme une prolongation de la guerre basée sur des objectifs visant à occuper la terre et saper le pouvoir, en particulier le pouvoir coutumier. En plus d’un soutien extérieur fourni par l’armée rwandaise, le M23 utilise plusieurs activités produisant des revenus au Nord-Kivu. »
Les chercheurs concluent que le groupe rebelle M23 cherche le pouvoir politique à long terme dans l’Est de la RDC en utilisant les disputes historiques liées à la terre, la marginalisation politique et les montages fiscaux illicites pour développer et consolider leur autorité. Les personnes contactées étaient des membres du M23, des soldats congolais, des membres des groupes armés luttant contre le M23, des chefs locaux, des enseignants, des commerçants et des cultivateurs qui vivent en première ligne du conflit.
Le 30 octobre, les Nations unies ont signalé que 6,9 millions de personnes avaient fui le conflit dans l’Est de la RDC, ce qui en fait l’une des plus grandes crises de déplacement et crises humanitaires du monde.
Après une accalmie de dix ans, le groupe rebelle M23, unifié et résurgent, a lancé des attaques soutenues en 2022 dans la province du Nord-Kivu. Depuis lors, il combat les soldats congolais, les milices locales et les forces multinationales. Les responsables du M23 disent que leurs attaques sont conçues pour saisir et protéger les territoires acquis par la communauté de l’ethnie tutsi.
Le site web d’analyse de sécurité Geopolitical Monitor écrit dans un rapport situationnel du 30 octobre : « Toutefois, le M23 est non seulement accusé d’abus des droits de l’homme par des groupes tels que Human Rights Watch, mais il a aussi attaqué au moins une fois les Casques bleus de l’ONU chargés de protéger les civils. »
En plus d’expliquer en détail le montage fiscal élaboré du M23 dans le rapport, le chercheur Ken Matthysen de l’IPIS et le chercheur principal Peer Schouten du DIIS ont examiné les pratiques du groupe d’insurgés concernant le travail forcé et l’exploitation illégale des ressources naturelles telles que le trafic du bois et du charbon.
Ils écrivent dans un article du 26 octobre pour le magazine The Conversation Africa : « La stratégie déstabilisante du M23 vise à remplacer les autorités congolaises et remanier la gouvernance locale dans les zones de l’Est de la RD Congo qu’il contrôle. Un grand nombre de Congolais à qui nous avons parlé pensent que le but principal du M23 consiste à contrôler le pouvoir au niveau local, en sapant les autorités existantes. »
« Le groupe a effectivement cherché à remplacer les autorités coutumières par d’autres désignées par lui, parfois en assassinant les chefs congolais. Des sources locales déclarent que le M23 a même incendié les archives des chefferies, pour détruire les preuves d’affirmation de l’autorité coutumière. »
Les chercheurs avertissent que l’instabilité dans l’Est de la RDC s’est aggravée depuis la résurgence du M23 en 2022, alors que davantage de groupes tribaux et ethniques deviennent engagés.
Dans sa lutte contre le M23, l’armée congolaise s’est alliée et a donné une nouvelle vie à une série de groupes armés locaux sous la bannière des « wazalendo » (« patriotes » en kiswahili). Mais ces groupes fragmentés interfèrent aussi dans la gouvernance locale et extorquent les habitants.
Le rapport déclare : « Au lieu de limiter la montée de ces groupes armés, le gouvernement de la RDC a plutôt légitimé le phénomène des wazalendo. Ces tendances ont conduit à une militarisation du contexte de la gouvernance locale, ce qui risque de compromettre les efforts futurs de désarmement et la pacification de l’Est de la RDC au-delà de la crise actuelle. »