Africa Defense Forum

« Spyglass » rend visible la pêche illégale dissimulée

PERSONNEL D’ADF

Il y a plus de cinquante ans, des chercheurs avaient annoncé un nouveau lieu de pêche internationale dans le golfe de Guinée, au large des côtes d’Afrique de l’Ouest.

« Le monde amateur de protéines a découvert un grand coin de pêche, énormément riche », proclamait The New York Times en 1964.

Aujourd’hui, le golfe de Guinée est plein d’opérations illégales de pêche. Elles font concurrence aux vaisseaux commerciaux légitimes et aux petits artisans locaux qui travaillent près de la côte. Elles franchissent les frontières sans impunité, elles utilisent un matériel de pêche interdit et elles détruisent les écosystèmes sous-marins fragiles. Ce faisant, elles ruinent les stocks de poissons du golfe et menacent les moyens de subsistance des pêcheurs locaux, du Liberia au Gabon.

Bien que la pêche illégale du golfe soit pratiquée par des navires du monde entier, la Chine y est devenue une force prédominante à tous les niveaux, depuis les gigantesques navires usines des océans qui n’accostent jamais jusqu’aux chalutiers qui déchiquettent les fonds marins et aux petits pêcheurs artisanaux.

« Les gens me disent qu’ils souffrent de la présence des navires chinois. Ils prennent tout », déclare à ADF Dyhia Belhabib, experte algérienne en pêche illégale au large des côtes d’Afrique de l’Ouest.

Un impact dévastateur

Mme Belhabib, qui travaille avec Ecotrust Canada en tant qu’investigatrice principale pour les pêcheries, a récemment lancé « Spyglass » (spyglass.fish) pour mettre en lumière le monde souvent opaque de la pêche illégale. En utilisant diverses sources d’information, « Spyglass » [longue-vue] révèle les noms, les infractions alléguées et les lieux des opérations soupçonnées d’être illégales dans le monde.

Dans le golfe de Guinée, « Spyglass » a relevé près de 200 incidents de pêche illégale depuis l’an 2000, notamment la pêche non autorisée, l’utilisation du matériel illégal, la pêche pratiquée hors saison, les prises non déclarées et les prises accessoires destructrices, c’est-à-dire les animaux marins capturés et rejetés en mer, souvent lorsqu’ils sont mourants ou morts, dont beaucoup permettent la subsistance des pêcheurs locaux.

« La pêche illégale a un impact dévastateur sur les communautés de pêche côtières », déclare à ADF Steven Trent, directeur exécutif de l’Environmental Justice Foundation. « En détruisant le matériel de pêche artisanal, en pêchant de façon destructrice près des côtes, et même dans certains cas en attaquant les pêcheurs locaux, les navires de pêche illégaux mettent en danger la survie et les moyens de subsistance des communautés côtières qui ont peu de sources alternatives de nourriture et de revenu. »

En 2009, un groupe de biologistes britanniques et canadiens ont découvert que près de 40 % du poisson attrapé au large des côtes d’Afrique de l’Ouest était pêché illégalement : c’est le taux le plus élevé du monde, selon une étude publiée dans le journal scientifique PLoS One. Une étude publiée en 2017 dans Frontiers in Marine Science estime que la pêche illégale au large des côtes d’Afrique de l’Ouest coûte collectivement aux pays de la région au moins 2,3 milliards de dollars par an.

Au Ghana par exemple, environ 20 % de la main d’œuvre du pays travaille dans les pêcheries. Bien que le nombre de navires de pêche dans les eaux ghanéennes ait diminué, la taille de ces navires a augmenté. Le Comité national des pêcheries se fie aux navires pour leurs autodéclarations des prises, facteur qui peut conduire à des omissions de déclaration selon Stein Sundstøl Eriksen, un chercheur norvégien en pêcheries.

Dans l’ensemble du golfe, les chalutiers cherchent illégalement le poisson dans les zones réservées aux pêcheurs artisanaux près du littoral. Ces eaux peu profondes ont aussi tendance à être des zones de frayère pour de nombreuses espèces de poissons. En pêchant sans discernement dans ces eaux, souvent avec du matériel qui produit un haut niveau de prise accessoire indésirable, les opérations illégales de pêche détruisent les moyens de subsistance locaux et épuisent les stocks de poissons juvéniles à grande échelle, déclare M. Trent.

« La pêche illégale contribue essentiellement à provoquer la surexploitation et à amener les populations d’espèces marines au bord de l’extinction », dit-il.

Une ressource mondiale

La base de données de « Spyglass » contient des informations sur 7.000 navires et 2.000 sociétés pratiquant la pêche illégale dans le monde. Ces informations proviennent des agences gouvernementales, des reportages d’actualité, des témoins oculaires et d’autres sources, déclare Mme  Belhabib.

Cette dernière avait commencé son projet lorsqu’elle était étudiante à l’Université de la Colombie-Britannique. Son tableur de quelques centaines d’entrées a doublé en 2016 lorsque l’université a amené des Ouest-africains à Vancouver pour les former sur la recherche de la pêche illégale. Ils ont contribué des informations de leur pays à la base de données.

Mme Belhabib a continué à développer sa base de données après être partie de l’université.

« Lorsque j’ai atteint 3.000 entrées, y compris des navires, des sociétés et divers pays du monde, les gens des agences de surveillance, de contrôle et de vigilance [des pêcheries] ont commencé à me demander des informations sur divers navires, principalement en Afrique de l’Ouest, déclare-t-elle. Et j’ai décidé que ce serait utile si les informations se trouvaient dans le domaine public. »

Lorsqu’elle a rejoint Ecotrust Canada, elle a amené avec elle sa base de données et « Spyglass » est né.

Idéalement, « Spyglass » aide les gouvernements à mieux comprendre avec qui ils traitent lorsque des navires ou des sociétés viennent leur demander des permis de pêche, déclare Mme Belhabib. Avant « Spyglass », les informations qui étaient disponibles étaient souvent dans des langues différentes, et détenues par des gouvernements qui offraient des niveaux d’accès différents.

Puisqu’il dépend des archives publiques, « Spyglass » est loin d’être exhaustif. Certains pays ont des chiffres élevés parce qu’ils signalent davantage de pêche illégale. D’autres suivent une approche non interventionniste ou ne fournissent simplement aucune donnée concernant les activités illégales.

« Le fait qu’il n’existe pas d’infraction relevée dans un pays donné ne signifie pas que ce pays n’est pas sujet à la pêche illégale, déclare Mme Belhabib. Ils ne les attrapent pas, tout simplement. Et lorsqu’ils les attrapent, ils ne les signalent pas. »

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