Facebook a des difficultés pour contrôler le marché noir en Libye.
Avec près de 2 milliards de comptes actifs, Facebook offre quelque chose à presque tout le monde. Cela inclut les lance-roquettes et les missiles anti-aériens du marché noir.
De telles armes sont offertes sur Facebook en Libye, où le dictateur Mouammar Kadhafi avait accumulé des armements d’une valeur de plus de 30 milliards de dollars avant d’être renversé en 2011. Après sa mort, les officiels, les rebelles et les voleurs ont trouvé des planques d’armes dans tout le pays, non seulement dans les dépôts militaires mais aussi enfouies dans le désert du Sahara. Ces armes ont été disséminées sur le marché noir dans tout le continent. Un rapport des Nations unies de 2014 indique que des groupes extrémistes, depuis Boko Haram au Nigeria jusqu’aux rebelles syriens, ont acheté des armes auprès de marchands libyens.
À l’intérieur de la Libye, il existe une forte demande pour les armes légères, notamment les pistolets et les fusils d’assaut AK-47. À cause de l’anarchie continuelle du pays, les Libyens craignent pour leur sécurité et beaucoup d’entre eux se sentent forcés de porter des armes dissimulées. La piraterie routière est un problème majeur dans les villes de Libye : dans Tripoli seulement, on signale quotidiennement au moins sept vols de voiture. Il n’est pas étonnant que les Libyens veuillent des armes à feu et qu’ils les achètent parfois sur Facebook.
Ce que les Libyens payent pour les armes de poing est une indication de la demande. Un chercheur déclare qu’en 2017 les armes de poing se vendent sur Facebook à un prix de 2.000 à 7.000 dollars.
Des rapports publiés en avril 2017 indiquent que le marché noir pour les armes libyennes vendues hors du pays enregistre une forte croissance et que les trafiquants vendent des armes de plus gros calibre et qui sont plus sophistiquées : ce sont les armes utilisées par les groupes de militants. Elles se retrouvent très fréquemment dans les régions où l’EIIL est actif. Les Nations unies signalent que les armes libyennes sont vendues dans au moins 14 pays.
En plus de Facebook, WhatsApp, Instagram et le service de messagerie chiffrée Telegram sont utilisés pour négocier l’achat des armes. Facebook et d’autres réseaux sociaux interdisent la vente d’armes et clôturent les comptes des utilisateurs impliqués dans le trafic d’armes. Mais dès que le compte d’un marchand d’armes est clôturé, un autre est ouvert, parfois en moins de quelques minutes.
Lors d’un communiqué officiel, un responsable de Facebook a déclaré : « La coordination des ventes privées d’armes à feu est contraire aux normes de la communauté de Facebook et nous éliminons tout contenu de ce type dès que nous le découvrons. Nous encourageons les gens à utiliser les liens des rapports sur notre site pour que notre équipe d’experts puisse rapidement examiner les contenus. »
David Fidler du Council on Foreign Relations basé aux USA déclare que les ventes d’armes résonnent à travers le marché international.
« L’utilisation des plateformes de réseaux sociaux crée un certain nombre de problèmes, notamment le problème des mouvements d’armes et de leur accès sur le marché international, déclare-t-il au Christian Science Monitor. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de mise en application de la loi ; il s’agit d’un problème qui concerne la sécurité nationale. »
Les ventes d’armes sont analysées
Le groupe de consultation privé Armament Research Services (ARES) a étudié la vente d’armes sur les réseaux sociaux et présente plusieurs conclusions :
• À peu près tous les types d’armes conventionnelles sont disponibles : ARES et des journalistes, y compris des reporters du New York Times, ont découvert des affichages de Facebook pour les missiles antichars téléguidés, les missiles détecteurs de chaleur, les lance-roquettes et les mitrailleuses lourdes utilisées pour abattre les aéronefs. Les marchands affichent souvent des photos de ces armements.
De façon générale, la plupart des armes anti-aériennes, quelle que soit leur taille ou leur puissance, représentent une technologie plus ancienne et une menace moindre pour les jets militaires modernes, comparé à la génération actuelle d’armes sol-air. Mais même les armes de technologie plus ancienne constituent une menace pour les hélicoptères, les avions commerciaux lents et les jets de l’époque soviétique utilisés par l’Armée nationale libyenne.
• Certaines armes postérieures à l’embargo sont disponibles : ARES a documenté trois missiles antichars de fabrication française, probablement acquis par la Libye suite à un contrat de 2007, qui sont en vente sur l’Internet.
• Le trafic principal concerne les armes de poing et les fusils d’assaut : le fusil d’assaut AK-47 est une arme qui est très souvent en vente.
• L’utilisation des réseaux sociaux pour la vente d’armes est relativement nouvelle en Libye : avant le renversement du colonel Kadhafi, le marché d’armes du pays était étroitement contrôlé, et l’accès à l’Internet ou aux téléphones intelligents était réduit.
• La Libye n’est pas le seul marché des réseaux sociaux pour les ventes d’armes : il semble que les marchés basés sur les réseaux sociaux émergent partout où des conflits armés existent. Des marchés similaires ont été découverts sur Facebook en Irak, en Syrie et au Yémen, selon ARES. Le trafic d’armes est particulièrement répandu dans les pays qui ont des extrémistes armés.
• Les nouvelles fonctions de Facebook facilitent involontairement la vente d’armes : un responsable de Facebook a déclaré au New York Times que, lorsque la société avait été créée, son site n’avait pas de fonctionnalité pour l’achat ou la vente. Mais le service peut aujourd’hui traiter les paiements de carte de débit par l’intermédiaire de son service de messagerie instantané Facebook Messenger. Le service de messagerie a une icône pour saisir le numéro de carte de débit.
• Les affaires sont florissantes : en Libye, ARES a documenté 250 à 300 annonces de ventes d’armes chaque mois sur les sites des réseaux sociaux. N.R. Jenzen-Jones, directeur d’ARES, déclare que, dès le début 2017, son groupe a documenté 6.000 transactions d’armes, « mais le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé ».
• Facebook sollicite votre aide : Facebook a facilité la dénonciation des activités suspectes par les usagers de son site. Il existe une option « Signaler » sur chaque affichage de Facebook. Facebook a des équipes des opérations de communauté qui examinent les rapports et qui peuvent éliminer les contenus offensants.
• Les extrémistes ne font pas qu’acheter des armes sur Facebook : des marchés existent pour les articles associés tels que les munitions, les gilets pare-balles, les radios bidirectionnelles, les uniformes et les caméras de vision nocturne. La vente de ces articles n’enfreint généralement pas les règles de Facebook, sauf s’il peut être démontré que les groupes qui vendent de tels articles vendent aussi des armes.
Pourcentage relativement faible
Les chercheurs déclarent que les transactions en ligne concernant les armes libyennes représentent un pourcentage relativement bas des ventes générales. En ligne ou hors ligne, il est estimé que 80 % des ventes d’armes en Libye ont lieu à Tripoli ou aux alentours. Cependant, les transactions en ligne présentent des défis uniques pour les responsables du maintien de l’ordre et pour les forces armées. Les pages de Facebook sur lesquelles les armes sont vendues sont en général secrètes ou inaccessibles au public, ce qui veut dire qu’elles peuvent attirer des milliers de membres, lesquels peuvent faire des affaires pendant des mois avant d’être découverts.
Pendant le printemps arabe, les réseaux sociaux y compris Facebook étaient des outils cruciaux pour la propagation des réformes et de la rébellion.
« En Libye, Facebook a été utilisé pour exprimer les besoins médicaux, afficher d’importants numéros de téléphone et placer des messages des hôpitaux nécessitant des dons de sang », indique le Consortium Against Terrorist Finance. « Il a réuni les gens, les a mobilisé pour une cause et a encouragé la responsabilité et l’obligation sociales. »
Aujourd’hui, les choses ont changé. En septembre 2013, The Independent de Grande-Bretagne a conté l’histoire d’un jeune Libyen qui avait besoin d’une arme et qui en a trouvé une dans une annonce. L’homme a répondu dans la section des commentaires de l’affichage en donnant son numéro de téléphone. L’annonce précisait que le marchand pouvait livrer le pistolet n’importe où en Libye, ce qui suggérait qu’il représentait un groupe organisé. L’acheteur reçut un coup de fil quelques jours plus tard pour confirmer la vente et un livreur arriva dans le centre de Tripoli avec le pistolet.
Les brouillons d’e-mail peuvent aussi être utilisés pour la vente d’armes et l’échange d’informations. Deux parties ou plus partagent les informations de signature pour un compte d’e-mail commun, sur lequel elles peuvent rédiger des brouillons sans avoir à les envoyer. Puisque deux personnes partagent le compte, elles peuvent voir toutes les deux les messages. De tels e-mails laissent une piste de données si ténue qu’ils sont pratiquement indétectables.
Alors que les sites des réseaux sociaux s’efforcent d’empêcher les extrémistes d’utiliser leurs services, ces extrémistes adoptent des techniques de plus en plus sophistiquées. Les experts en informatique déclarent que le piratage d’un site Web extrémiste est une chose, mais que la traque des extrémistes qui passent d’une page à l’autre sur Facebook ou qui affichent des centaines de vidéos sur YouTube est plus difficile. Sur Facebook, un groupe noyau de membres se déplace régulièrement parmi les groupes de vente. Bien que les ventes d’armes sur Facebook soient sujettes à une surveillance constante, certains groupes peuvent continuer à vendre des armes pendant des périodes prolongées sans être détectés.
Les critiques déclarent que les sociétés des réseaux sociaux pourraient faire un meilleur travail pour surveiller leurs sites. En Libye par exemple, la plupart des communications concernant les ventes d’armes sont en langue arabe, avec très peu d’effort pour dissimuler l’objet des communications. Un ancien site s’appelait le « Marché libyen des armes à feu ». En réponse, les sociétés des réseaux sociaux font davantage d’efforts pour modérer et limiter les ventes d’armes et les autres activités des extrémistes. À mesure que les sociétés adoptent des politiques plus strictes, une meilleure surveillance et des contre-mesures plus efficaces, on anticipe que les extrémistes vont affiner leurs techniques.
Les chercheurs déclarent que la vente d’armes libyennes en ligne nécessitera un partenariat public-privé pour être résolue. Facebook et les autres services Internet ont du pain sur la planche pour former un partenariat quelconque avec la Libye. À l’heure actuelle, le pays a deux parlements et trois gouvernements rivaux. Le plus récent gouvernement a été organisé lors de discussions parrainées par les Nations unies dans l’espoir de remplacer les deux autres.
Sans une sorte de partenariat, les ventes d’armes en ligne continueront à prospérer. Comme le déclare M. Fidler au Monitor, « ceci est lié à une série plus vaste de problèmes où nous constatons que les sociétés et les gouvernements doivent répondre aux externalités négatives du cyberespace ».
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