Africa Defense Forum

UNE SOLUTION EXISTE

UN PROGRAMME DE RÉHABILITATION OFFRE AUX COMBATTANTS LE MOYEN DE QUITTER AL-SHEBAB

PAR JACOB DOYLE ET BERENIKA STEFANSKA

Ahmed, fils de pêcheur, avait rejoint al-Shebab en 2006 pour gagner de l’argent et subvenir aux besoins de ses cinq enfants. Il dirigeait une équipe de réaction rapide pour le groupe terroriste et était exposé à des combats intensifs. Mais il devint désenchanté de sa vie au sein d’al-Shebab. Les combattants, qui vivaient dans le désert somalien hostile, passaient parfois plusieurs jours sans nourriture et sans eau. La méfiance était universelle et il n’était pas question de partir.

« Je me rappelle bien d’un homme que mes collègues avaient arrêté car il était soi-disant un espion du gouvernement et un infidèle », déclare Ahmed, dont le nom a été changé pour le protéger. « Ils l’ont d’abord torturé pour le contraindre à confesser, mais n’ayant pas réussi, ils l’ont décapité. Au moment où ils le décapitaient, ce vieil homme récitait la chahada (profession de foi des Musulmans) jusqu’à ce qu’il meure. Ils l’ont tué sous prétexte qu’il était un espion et un infidèle, mais il récitait la chahada. Je ne pouvais pas protester, mais cet incident a vraiment affecté ma conscience. »

A mesure que la pression sur al-Shebab se faisait sentir et que les attaques des forces gouvernementales devenaient plus fréquentes, les chefs du groupe ont commencé à soupçonner Ahmed parce qu’il utilisait beaucoup son téléphone portable. « Mes supérieurs m’ont accusé d’avoir divulgué la position de ceux qui ont été tués », déclare-t-il. « À cause de ça, ils ont ordonné ma mise à mort. »

Les déserteurs d’al-Shebab participent à une formation dans un centre du Programme pour les combattants désengagés près de Mogadiscio en Somalie.
ROBERT KANEISS/PROGRAMME POUR LES COMBATTANTS DÉSENGAGÉS

Ahmed a réussi à s’enfuir de son unité amoindrie et a parcouru alors 40 kilomètres jusqu’à Baidoa où il avait appris qu’il y existait un camp où il aurait de quoi manger et boire et où il serait à l’abri. En y arrivant, il a découvert les installations du Programme pour les combattants désengagés (PCD) et s’y est inscrit. Après avoir été soumis à un processus de contrôle minutieux, il a pu entamer un nouveau chapitre de sa vie.

LE RETOUR À LA VIE NORMALE

Avec des centres à Beledweyne, Mogadiscio et Baidoa, et un quatrième prévu pour Kismaayo, le PCD cible les fantassins d’al-Shebab plutôt que ses chefs. Ces fantassins rejoignent en général al-Shebab parce qu’on leur a promis de l’argent, ou bien parce qu’ils ont tout simplement été kidnappés, souvent lorsqu’ils étaient mineurs, dans les camps pour personnes déplacées.

À ce jour, le programme dirigé par le gouvernement somalien et financé par des donations du Danemark, de l’Allemagne et des Émirats arabes unis, a permis de détourner d’al-Shebab environ 1.800 combattants, en leur permettant de suivre une réhabilitation et une formation, déclare Malik Abdalla, directeur du PCD.

« Lorsque vous tendez la main et réhabilitez les anciens combattants, vous sauvez des vies », déclare M. Abdalla. « On fait très attention aux efforts de lutte contre al-Shebab par des moyens militaires, mais pas suffisamment à la réhabilitation. Vous ne pouvez pas vaincre la violence seulement par la violence. Mais en réhabilitant ceux qui étaient violents, vous pouvez les réinsérer pacifiquement dans le contexte plus large de la société. Je constate ces changements chaque jour. »

Une fois que les militants sont éloignés des champs de bataille et en détention, les acteurs du programme recueillent les données biométriques des déserteurs et les interrogent, explique Robert Kaneiss, ancien commando de la marine américaine et directeur de la sécurité pour le PCD. M. Kaneiss précise que les anciens militants ayant quitté un poste de chef ou détenteurs d’un passeport occidental sont en général aiguillés vers un programme séparé, de « haut niveau », avec des procédures différentes, et ils sont parfois emprisonnés.

« En moyenne, les participants sont âgés de 18 ou 19 ans », déclare M. Kaneiss. « Soixante-cinq à soixante-dix pour cent sont originaires de la Somalie, y ont été recrutés et y ont été actifs, mais ils ont décidé de s’enfuir et de se porter volontaires pour ce programme. Il existe un processus de vérification rigoureux pour les volontaires de bas niveau, soit ceux qui arrivent seuls ou dont la venue est négociée par le gouvernement ; ils sont examinés par le service de renseignements de l’état, des vérifications d’antécédents sont effectuées sous la supervision de la NISA [National Intelligence and Security Agency, agence nationale des renseignements et de la sécurité] et de l’ONU. »

Dans le cadre de la formation, déclare M. Abdalla, ils apprennent un métier mais les instructeurs mettent davantage l’accent sur l’enseignement des valeurs positives.

« Ils apprennent à respecter les droits humains plus que le soudage, la menuiserie ou les autres métiers pratiques », déclare M. Abdalla. « Les aptitudes professionnelles sont bien sûr importantes et nous le soulignons. Nous ne voulons pas donner au monde des électriciens malfaisants. Nous avons donc engagé des experts internationaux sur les droits humains. Le cours sur les droits humains est obligatoire, tous les participants doivent le suivre. Ils apprennent à rejeter les mauvaises idéologies qu’al-Shebab leur a enseignées. C’est l’objet de la réhabilitation : changer leur point de vue. »

M. Kaneiss déclare que les diplômés du programme reçoivent une amnistie, selon les directives du gouvernement somalien présidé par Hassan Sheikh Mohamud. Un comité de fin d’études trie les élèves sur le volet pour déterminer lesquels sont prêts à recevoir leur diplôme et qualifiés pour la réintégration sociale, ajoute M. Kaneiss. « Les candidats au diplôme sont soumis à une entrevue. Si les candidats ont démontré une attitude positive et souhaitent travailler, s’ils montrent et assurent de façon convaincante leur désengagement et leur séparation d’al-Shebab, du terrorisme, etc., ils sont alors prêts à réintégrer la société, à rejoindre leur famille et souvent leurs enfants s’ils en ont. »

UNE SÉRIE DE DÉFECTIONS

Seth G. Jones, auteur principal de l’étude de la RAND Corporation sur al-Shebab intitulée « Counterterrorism and Insurgency in Somalia » (Lutte contre le terrorisme et l’insurrection en Somalie), déclare que le PCD est une composante importante de la lutte contre al-Shebab. « Ce type de programme est absolument essentiel », déclare M. Jones, « en particulier lorsque ces groupes sont affaiblis, car ses membres ont alors une alternative vers laquelle se diriger. »

L’efficacité du PCD est apparente pour M. Abdalla. Il explique que chaque défection est un « coup très dur » pour l’état d’esprit d’al-Shebab. En même temps, cela rend les centres du PCD plus attrayants pour les membres qui songent à s’enfuir.

« Lorsque les combattants quittent al-Shebab et rejoignent notre programme, nous constatons la réaction d’al-Shebab, elle-même preuve que le programme fonctionne », déclare M. Abdalla. « En outre, chaque défection leur nuit parce que les déserteurs savent tant de choses à leur sujet. »

Selon ses renseignements, M. Kaneiss estime que, parmi les 5.600 à 6.000 membres actifs d’al-Shebab, jusqu’à 2.000 sont prêts à déserter, ce qui pose un problème supplémentaire.

« Les terroristes se désengagent à une cadence qui surpasse nos capacités à les aider», déclare M. Kaneiss. « Le programme fonctionne mais n’a pas accès aux ressources nécessaires pour faire face au volume. »

M. Kaneiss déclare qu’il travaille avec le gouvernement somalien pour obtenir des fonds supplémentaires pour le programme auprès des donateurs internationaux, et qu’il espère bientôt obtenir des résultats positifs.

Un garde patrouille l’extérieur du centre du Programme pour les combattants désengagés près de Mogadiscio.
ROBERT KANEISS/DISENGAGED COMBATANTS PROGRAMME

« Le financement est essentiel pour acheter les biens et les ressources indispensables », déclare M. Kaneiss, en ajoutant que les accusations de corruption d’antan tourmentent encore la Somalie, et qu’une procédure rigoureuse doit être suivie pour demander de l’aide. « De cette façon, l’équipement et les vivres sont fournis, plutôt que l’argent comptant. Le processus d’achat de biens, de nourriture, d’équipement et de véhicules doit se faire en toute transparence, pour que toutes les parties concernées, notamment les bailleurs de fonds, le gouvernement somalien, etc., puissent suivre l’évolution et que ce ne soit pas seulement une question d’argent. Ceci permet à toutes les parties prenantes d’être rassurées sur la durabilité et la responsabilité du processus. »

En supposant que le programme continue, qu’est ce qui empêche les diplômés de rejoindre al-Shebab et de retourner à leur poste ? M. Abdalla souligne que, depuis qu’il a été nommé directeur il y a deux ans, il n’a pas connu un seul participant au programme qui ait rejoint al-Shebab. « Lorsqu’ils reçoivent leur diplôme, ils sont transférés au bureau de la NISA dans le district où ils vivront. Les déserteurs travaillent ensuite directement avec la NISA pour aider celle-ci à attirer d’autres déserteurs vers notre programme. »

En outre, ajoute M. Abdalla, si un déserteur retournait vers al-Shebab, on ne lui ferait pas confiance.

LUTTER CONTRE LE SCEPTICISME AVEC DES RÉSULTATS

Malgré le succès du PCD, M. Jones précise que le programme a ses détracteurs, en ajoutant qu’il ne peut pas imaginer de programme d’amnistie sans controverse et que les Somaliens qui ont souffert le plus à cause des attaques d’al-Shebab « ne seront pas contents ». Mais il déclare que le programme doit continuer à être soutenu.

« Les chefs insurgés qui ont participé à des abus graves des droits humains doivent être traités séparément », déclare-t-il. « Mais ce que la société ne doit pas faire, c’est punir chacun des participants d’un groupe d’insurgés donné. C’est comme cela que vous allez de l’avant et que vous évitez les représailles continuelles qui prolongent les conflits et empêchent leur résolution. »

Le 9 août 2016, 30 anciens membres d’al-Shebab participent à une cérémonie de remise des diplômes au centre de réhabilitation de Baidoa. Parmi eux se trouve un jeune homme appelé Abdi qui avait rejoint al-Shebab en 2006 car il s’était laissé dire qu’il aiderait ainsi à expulser les envahisseurs militaires éthiopiens de son pays. Après avoir été témoin des massacres absurdes et de l’hypocrisie du groupe pendant plusieurs années, il a décidé qu’il était prêt à passer à autre chose.

« Je me souviens que, dans mon groupe, il y avait 60 combattants. Aujourd’hui, moins de 10 sont en vie », déclare-t-il. « Nos chefs nous ont menti au sujet de la religion et de la guerre, et ils ont commis trop de crimes pour que Dieu puisse les pardonner. »

Grâce au programme, il dit avoir acquis des aptitudes de base telles que la lecture et l’écriture, mais aussi l’empathie et la capacité de respecter les différences des autres. Ils « ont changé tous les mensonges qu’al-Shebab avait introduits dans notre tête », déclare-t-il en parlant des instructeurs du programme.

Ahmed est aussi diplômé du PCD et déclare qu’il pense que la réhabilitation des extrémistes sera cruciale pour l’avenir de son pays. « Je conseillerais vivement à ceux qui font toujours partie d’al-Shebab de déposer leurs armes et de ne plus lutter dans des combats insensés », déclare Ahmed. Il ajoute que le temps est venu pour les anciens combattants de participer au PCD et de commencer à reconstruire leur pays avec les autres « Somaliens épris de paix ».

Note de l’éditeur : Berenika Stefanska, l’un des auteurs de cet article, était journaliste indépendante basée à Nairobi.  Elle est décédée dans un accident d’avion près du lac Naivasha au Kenya le 8 septembre 2016 à l’âge de 33 ans. Mme Stefanska était née en Pologne et avait fait ses études à l’Université de Cambridge. Depuis cinq ans, elle faisait des reportages sur les événements d’Afrique de l’Est pour nombre d’organisations médiatiques. Elle a également produit des projets de film pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Mme Stefanska était une aventurière dans l’âme qui aimait explorer l’Afrique rurale ; elle avait une affection particulière pour le peuple et la culture de la Somalie et projetait d’écrire un livre en polonais sur le pays.

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