Africa Defense Forum

ATTÉNUER LES EFFETS DES CATASTROPHES

LA FORMATION À LA GESTION DES CRISES PEUT CONTRIBUER À ORGANISER LES RÉPONSES ET À SAUVER DES VIES

PERSONNEL D’ADF

Au moment où les vents humides du kusi, la mousson du sud-est, ont soufflé sur Nairobi vers la fin avril 2016, ils ont apporté avec eux les trombes d’eau diluviennes de la saison des pluies du Kenya.

Les vents du kusi sont généralement le signe annonciateur des « longues pluies », qui durent de la fin avril au début juin.

Comme il a plu pendant plusieurs jours, les inondations ont conjugué leurs effets à ceux d’un autre des points sensibles de la capitale kényane, à savoir la précarité des constructions. Le 29 avril, à proximité d’une rivière, un immeuble d’appartements de six étages situé à Huruma, un quartier pauvre de la ville, s’est effondré, ensevelissant ses résidents qui ne se doutaient de rien sous des tonnes de béton. Les sauveteurs ont repéré les voix faiblement audibles des gens coincés sous les décombres, réussissant à extraire 140 d’entre eux hors du danger. L’effondrement a fait quarante-neuf victimes, a rapporté Reuters le 8 mai.

Une porte-parole de la Croix Rouge du Kenya a affirmé au Daily Mail que c’était une scène de « chaos complet ».

Le Kenya n’est pas un cas unique en Afrique de l’Est ou sur le continent. Les inondations sont une menace permanente dans les régions de l’est, de l’ouest et du sud. Les effondrements de bâtiments — souvent le résultat de constructions de mauvaise qualité — sont un phénomène courant. L’Afrique de l’Est est souvent exposée à des périodes d’extrême sécheresse, avec pour conséquences la famine, la migration et les conflits tribaux. Les incendies sont une menace, et des pandémies, dont Ebola, ont éclaté dans diverses régions au fil des ans.

Toutes ces catastrophes exigent la même chose : une réponse. Assurer des réponses bien coordonnées et en temps opportun peut sauver des vies. L’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique a consacré des années à travailler avec des responsables de la gestion des catastrophes en Afrique de l’Est, en particulier avec le personnel de l’International Peace Support Training Centre (IPSTC – Centre international de formation au maintien de la paix) à Karen, au Kenya, pour mettre sur pied un programme d’études de six cours sur la gestion des catastrophes. Les cours sont assurés par le biais de la Humanitarian Peace Support School de l’IPSTC à Embakasi.

Une évaluation des besoins en formation, réalisée en juillet 2014, était axée sur les capacités de gestion des catastrophes au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. L’étude a examiné 14 capacités et a identifié plusieurs thèmes communs :

Il y a souvent une coordination limitée entre les gouvernements nationaux et les communautés locales.

Il y a peu de gestionnaires de catastrophes formés, et ces fonctions sont généralement secondaires par rapport à d’autres fonctions.

Les responsables manquent de ressources, d’argent et de formation pour la gestion des catastrophes au niveau local.

Il y a également un manque de procédures et de plans officiels au niveau local.

Un homme se déplace avec son âne à travers les rues inondées de Beledweyne, en Somalie, le 26 mai 2016. Des pluies torrentielles ont fait monter les eaux de la rivière Shabelle, forçant des centaines de familles à quitter leur foyer.
AFP/GETTY IMAGES

Aucun gestionnaire de catastrophes local n’a une « capacité élevée » dans un quelconque domaine d’évaluation. Ces constatations soulignent la nécessité d’une formation.

Ces préoccupations ont mené à la mise en place d’un programme d’études de la gestion des catastrophes qui renforce les connaissances et les capacités des responsables dans toute l’Afrique de l’Est.

UNE « APPROCHE TOUS RISQUES »

Travailler avec et par l’intermédiaire d’un centre régional de formation a été considéré comme la meilleure manière de renforcer les capacités en matière de gestion des catastrophes, et l’IPSTC disposait déjà d’un programme d’études sur lequel s’appuyer. Une fois que les besoins en formation ont été identifiés, des techniques ont été rassemblées de plusieurs sources et redéveloppées pour correspondre au système de prestation des cours dirigés par le chargé de cours de l’IPSTC.

Ceci a été accompli en deux étapes. Tout d’abord, un conseil d’examen du programme d’études, composé de gestionnaires de catastrophes et d’experts du domaine, a examiné les documents page après page, en accordant une importance particulière aux éléments linguistiques et culturels afin de déterminer ce qui correspondait le mieux à l’Afrique de l’Est. L’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique et l’IPSTC ont collaboré à ce processus.

Ensuite, le centre a dirigé un programme pilote pour que les chargés de cours vérifient le programme d’études dans la durée en enseignant les six cours. Cette phase a permis de recueillir des réactions et a été accompagnée de modifications en cours de route. Une fois que les responsables ont achevé le programme pilote, les six cours ont été remis à l’IPSTC lors d’une cérémonie en février 2016. Depuis lors, le centre a assuré lui-même la prestation des cours.

Il était d’importance cruciale tout au long de ce processus de faire en sorte que le programme adhère à une « approche tous risques ». La réflexion sous-tendant cette approche est que, même s’il est adapté aux sensibilités et aux besoins de l’Afrique de l’Est, le programme doit être utile et efficace, quelle que soit la catastrophe qui survient, qu’il s’agisse d’un incendie, d’une inondation ou d’un autre événement. Cette approche contribue à assurer la viabilité du programme.

Le Dr Adane Tesfaye Lema, un entomologiste agricole éthiopien, a apporté son concours à l’examen et à l’élaboration des cours et a exercé des fonctions d’animation pendant la période pilote. Il a expliqué à ADF, lors d’une interview réalisée par courriel, que le programme pilote avait encouragé l’échange de connaissances, d’expériences et d’informations précieuses entre les pays représentés. Ce programme a également favorisé l’échange de ressources humaines et autres entre les pays ainsi que la planification interorganismes.

Des étudiants observent une démonstration d’une opération de recherche et de sauvetage pendant un cours de planification à la préparation aux catastrophes à la Humanitarian Peace Support School d’Embakasi, au Kenya.
IPSTC

Les capacités à répondre aux catastrophes naturelles et à celles dues à l’activité humaine diffèrent largement d’un pays à l’autre, et même d’un organisme à l’autre au sein de chaque pays, a-t-il ajouté. Pour cette raison, la formation et les échanges d’informations sont indispensables.

SIX COURS COMPLETS

Le programme d’études de la gestion des catastrophes de l’IPSTC comprend six cours fondamentaux.

Le cours intitulé système de commandement des interventions (SCI) enseigne une structure organisationnelle standard sur site en matière de réponse aux catastrophes. Il y a des cours de planification de la préparation aux catastrophes et de communication et alerte rapide dans la gestion des catastrophes. Le cours de formation du centre des opérations d’urgence montre comment créer et faire fonctionner un centre.

Les deux derniers cours, suivis ensemble pendant deux semaines, sont la conception et le développement de l’exercice de la gestion des catastrophes et la prestation et l’évaluation de l’exercice. Ces deux cours sont présentés comme des exercices de simulation conçus pour aider les participants à tester et à valider les plans de préparation aux catastrophes.

Le commandant Luke Nandasava des Forces de défense du Kenya a indiqué à ADF que plusieurs cours avaient été offerts depuis la fin du programme pilote. Il en est l’organisateur principal et coordonne la formation avec les parties prenantes externes, telles que les gouvernements étrangers parrainant les formations pour les pays africains.

Luke Nandasava précise que, à la mi-juillet 2016, le SCI a été offert quatre fois au cours de l’année et a été suivi au total par 105 participants. Le cours de planification a été offert une fois pour 25 participants, et un autre a été programmé pour le mois d’août avec 40 participants. Luke Nandasava a indiqué que d’autres modules étaient prévus dans le courant de l’année et que l’objectif était d’offrir l’ensemble des six cours au moins une fois avant la fin 2016.

UN PROGRAMME D’ÉTUDES ADAPTABLE

Les six cours du programme sont destinés à un vaste public de responsables militaires et civils.

la police ordonne l’évacuation d’un immeuble à appartements destiné à la démolition à Huruma, un quartier de Nairobi, le 6 mai 2016, après l’effondrement d’un bâtiment à proximité ayant fait 49 victimes.

L’un de ses points forts, explique Luke Nandasava, est que les cours individuels peuvent être adaptés pour correspondre davantage à des besoins plus spécialisés. Par exemple, en mai 2016, Luke Nandasava a présenté le module du centre des opérations d’urgence au ministère du Tourisme du Kenya, l’adaptant pour répondre aux besoins du ministère.

Les cours peuvent également être assurés à un niveau local, plus restreint. En juillet 2016, Luke Nandasava a dirigé un cours parrainé par les Japonais et intitulé « Renforcer la stabilisation et la résilience au sein des communautés affectées par les conflits et les catastrophes » dans les comtés kényans de Garissa, Kilifi, Kwale et Tana River. Il a incorporé dans le cours le SCI et la planification de la préparation aux catastrophes afin d’aider les participants à renforcer leurs capacités au niveau du comté. Finalement, il aidera les comtés à développer des exercices destinés à valider leurs plans.

« Ainsi, je n’utilise actuellement que les principes qui nous ont été enseignés dans ces six cours de manière à ce que je puisse les adapter pour correspondre à la situation et… au scénario en présence duquel je me trouve avec les comtés auxquels j’ai affaire », a déclaré Luke Nandasava.

Ces quatre comtés se trouvent tous dans le Kenya oriental, et Garissa est limitrophe de la Somalie.

Le cours traite des catastrophes qui découlent d’incidents terroristes et du grand nombre de victimes occasionnées dans la région. C’est au Garissa University College qu’a eu lieu l’épouvantable attaque terroriste perpétrée par al-Shebab en avril 2015, qui a fait près de 150 victimes et 79 blessés, pour la plupart étudiants.

Il est probable que la formation ne se limitera pas à l’Afrique de l’Est. Des représentants du Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix (KAIPTC) à Accra ont rencontré les dirigeants de l’IPSTC et se sont montrés intéressés par la perspective d’offrir le programme en Afrique de l’Ouest.

SÉCURITÉ RÉGIONALE, AUTORITÉ CIVILE

Des initiatives telles que celle que le gouvernement japonais a financée aideront le Kenya à renforcer sa sécurité nationale en faisant mieux connaître les principes d’une réponse efficace aux catastrophes au niveau local. La sécurité des villes et des comtés contribue à la sécurité des nations. Et des nations en sécurité contribuent à renforcer la sécurité régionale, ce qui est un objectif important du programme.

Chaque nation dispose de ses propres capacités et façons de conduire ses affaires. Avec cette formation, toutefois, les meilleures pratiques standardisées peuvent être reproduites dans les pays de toute la région et faciliter la coopération des voisins régionaux si un incident particulier l’exige.

Luke Nandasava explique que si une catastrophe impliquait le Kenya et l’Ouganda, par exemple, il pourrait y avoir « un centre de commandement unifié à proximité de l’emplacement de l’incident, mais nous disposons d’un responsable kényan de la gestion des incidents et d’un autre responsable ougandais de la gestion des incidents, qui peuvent travailler ensemble, se mettre d’accord sur les objectifs qu’ils doivent atteindre et sur la voie à suivre ».

« Aussi, la manière dont ils vont mobiliser les ressources de différents pays suivra les procédures opérationnelles standard de leurs pays respectifs, mais ils peuvent être en mesure de se mobiliser et de coordonner leurs actions ensemble », fait-il valoir.

un soldat ougandais servant dans la Mission de l’Union africaine en Somalie garde le site où un avion-cargo Airbus A300-200F de la compagnie aérienne égyptienne Tristar Air s’est écrasé à la périphérie de Mogadiscio en octobre 2015. REUTERS

Une autre composante d’une gestion efficace des catastrophes, que les cours renforcent, est l’importance de la prévalence de l’autorité civile sur l’armée dans les réponses aux catastrophes. De telles questions peuvent représenter un défi au Kenya, observe Nandasava. Le SCI rassemble tous les intervenants — policiers, militaires et civils — et les laisse examiner et comprendre les responsabilités de chacun. Le Kenya dispose également d’un « protocole pour les incidents entraînant des pertes massives », qui stipule quel organisme doit prendre la tête des opérations lorsqu’une catastrophe frappe.

Au Kenya, si un incident exige une opération de recherche et de sauvetage, la Croix Rouge s’en charge, précise Luke Nandasava. Un responsable de la Croix Rouge confiera à la police et à l’armée la conduite des opérations. Ceci va à l’encontre de la tendance de l’armée à prendre les commandes.

« Par ailleurs, des enseignements ont été tirés de l’incident qu’a constitué l’attaque terroriste au Westgate, à Nairobi, où nous avons eu beaucoup de problèmes du point de vue de la coordination des organismes de sécurité», regrette Luke Nandasava. « Toutefois, de nos jours, lorsqu’un incident survient, nous savons qu’il y aura une organisation spécifique qui prendra les rênes, et que toutes les autres organisations qui répondront à cette catastrophe pourront se placer sous l’autorité de cette personne ».

Luke Nandasava affirme qu’à l’avenir, la diffusion des principes et pratiques des cours au niveau des communautés sera indispensable pour combler les lacunes constatées dans les capacités de gestion des catastrophes.

« Nous nous efforçons de faire mieux comprendre aux populations qu’il n’est pas toujours nécessaire de s’en remettre à l’armée pour qu’elle apporte des solutions », ajoute-t-il. « L’armée ne vient qu’à titre d’appui matériel dans la gestion d’une catastrophe, mais ce sont en réalité les composantes civile et policière qui sont responsables de la réponse à la catastrophe ».

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