Africa Defense Forum

LUTTER CONTRE L’EXTRÉMISME À PARTIR DE LA BASE

La contre-propagande issue de la base peut être un outil efficace contre la radicalisation

Le Ghana est entouré de pays qui sont en proie à la guerre et aux troubles civils depuis des années. La Côte d’Ivoire voisine a subi deux guerres civiles sanglantes depuis 2002. Le Liberia a connu deux guerres civiles depuis 1989 et la Sierra Leone a été en guerre pendant la même période.

Plus récemment, le nord du Nigeria a été confronté au fléau de l’insurrection de Boko Haram qui s’est étendue au Cameroun, au Tchad et au Niger. Le Mali et le Burkina Faso ont aussi été touchés par des coups d’État et des soulèvements.

Mutaru Mumuni Muqthar, directeur exécutif du Centre de lutte contre l’extrémisme en Afrique de l’Ouest (WACCE), à gauche, et son collaborateur Abdul Hakeem Badawi au siège de WACCE, à Accra, au Ghana. [PERSONNEL D’ADF]
Mutaru Mumuni Muqthar, directeur exécutif du Centre de lutte contre l’extrémisme en Afrique de l’Ouest (WACCE), à gauche, et son collaborateur Abdul Hakeem Badawi au siège de WACCE, à Accra, au Ghana. [PERSONNEL D’ADF]
Pendant tout ce temps, le Ghana est resté un îlot de stabilité. Mais en août 2015, la peur s’est répandue à travers le pays lorsque la nouvelle qu’un jeune Ghanéen était parti rejoindre l’EI a fait la une des médias ghanéens. Le 26 août, le quotidien Daily Guide écrivait : « La nouvelle qu’un diplômé de 25 ans, de l’université des Sciences et des Technologies Kwame Nkrumah (KNUST), Nazir Nortei Alema, a probablement rejoint l’organisation terroriste, s’est répandue comme une traînée de poudre et a semé l’inquiétude au niveau national et international. En conséquence, la Sécurité nationale a lancé des investigations dans les activités de terroristes potentiels et la police ghanéenne est fortement impliquée ».

L’incident pose la question de savoir dans quelle mesure l’EI recrute au Ghana et comment les sociétés pacifiques peuvent effectivement contrer les discours des extrémistes violents.

UN GROUPE LOCAL PASSE À L’ACTION

Alors que le Ghana se remettait du choc de la nouvelle de la décision d’Alema de rejoindre l’EI, un tout nouveau groupe continuait ses travaux de contre-propagande contre l’extrémisme violent. Le Centre de lutte contre l’extrémisme en Afrique de l’Ouest (WACCE), basé à Accra, fondé en novembre 2014, a pour objectif de lutter contre l’influence croissante, parmi les Africains de l’Ouest, de groupes tels que l’EI, Boko Haram et le Mouvement pour l’unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest.

« J’ai toujours été intéressé par la sécurité, et après avoir été au bord de la radicalisation, lorsque j’étais adolescent, je me suis rendu compte que c’était une menace qui pouvait toucher beaucoup d’autres personnes », a déclaré à ADF Mutaru Mumuni Muqthar, fondateur et directeur exécutif de WACCE.

Depuis sa création, WACCE a mobilisé le travail et le talent de sept personnes, pour la plupart des volontaires, pour tenir une demi-douzaine de réunions de prise de conscience de la communauté. Le personnel de WACCE est qualifié en technologies de l’information et des communications, gestion, sécurité et terrorisme. Deux responsables de programme, un assistant administratif et une équipe ad hoc de trois personnes qui contribuent à l’élaboration de projets, de propositions et d’événements, travaillent avec Mutaru Mumuni Muqthar. Il est prévu de recruter cinq employés permanents dans les années à venir et WACCE espère ouvrir trois bureaux supplémentaires dans les pays voisins, dans les cinq prochaines années.

« En tant que nouvelle organisation, il n’est pas facile d’organiser une réunion de mobilisation en raison d’importantes contraintes logistiques », a expliqué Mutaru Mumuni Muqthar. « Aujourd’hui, nos activités sont financées par nous-mêmes, par de petites contributions d’amis et de volontaires qui choisissent de travailler avec nous ».

Abose-Okai Road, à Accra, au Ghana, grouille d’activité. L’EI a fait la une des médias avec le recrutement de deux Ghanéens en août 2015.   [PERSONNEL D’ADF]
Abose-Okai Road, à Accra, au Ghana, grouille d’activité. L’EI a fait la une des médias avec le recrutement de deux Ghanéens en août 2015.
[PERSONNEL D’ADF]
En dépit des problèmes logistiques communs à de nombreuses organisations locales, WACCE a mobilisé en moyenne 12 personnes – des hommes et des femmes de 20 à 50 ans – à chacune de ses réunions communautaires, souvent à son bureau d’Accra. À l’avenir, Mutaru Mumuni Muqthar espère que la plupart des réunions de mobilisation auront lieu dans des lieux de culte, des clubs de jeunes et des centres communautaires.

« Nous mettons l’accent sur les contre-discours. Parce que nous considérons notre public comme des agents puissants en termes de changement des discours de radicalisation et de déconstruction des messages qui influencent la tendance des individus à tolérer la violence et les idéaux extrémistes. Ils peuvent contredire les discours terrorisants des recruteurs radicaux et les remplacer par des récits positifs. Une telle contre-propagande est souvent plus puissante et efficace lorsqu’elle émane des chefs de communauté et de leurs membres, plutôt que d’organisations ou même de l’État », a-t-il ajouté.

LUTTER CONTRE L’INTERPRÉTATION DÉFORMÉE DE L’ISLAM PAR L’EI

Le coordinateur de la sécurité nationale du Ghana, Yaw Donkor, a déclaré aux médias nationaux, en août 2015, qu’Alema et une autre personne qui n’a pas été identifiée, ont probablement traversé le Burkina Faso ou le Nigéria en route pour un camp d’entraînement de l’EI au Niger, avant de poursuivre vers la Turquie ou la Syrie.

Yaw Donkor a expliqué qu’à la suite de l’affaire Alema, les autorités ghanéennes enquêtaient sur des liens possibles entre les universités du pays et l’EI. Mais il a ajouté qu’il n’y avait que quelques cas au Ghana et qu’il n’y avait aucune raison de craindre une généralisation de la radicalisation.

Toutefois, l’EI et d’autres organisations extrémistes attirent souvent les jeunes avec des discours qui exploitent la notion généralement répandue que les gouvernements sont corrompus et que la radicalisation est exigée des musulmans dévots. Alema, diplômé de géographie et de développement rural, ne faisait pas exception. Il aurait rejoint les camps d’entraînement de l’EI le 2 août 2015, immédiatement après avoir accompli son service militaire obligatoire au Ghana, a rapporté StarAfrica.com.

Un ami non identifié d’Alema a confié à Joy FM, à Accra, en août 2015, qu’Alema avait tenté de le persuader de rejoindre aussi l’EI. « Dans nos contacts, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses qui clochaient dans sa compréhension du Coran », a déclaré cet ami à StarFMOnline.com. « Il citait toujours le Coran hors contexte et il était évident qu’il avait subi un véritable lavage de cerveau par le groupe ».

Après son départ, Alema a pris contact avec sa famille au Ghana, par l’application de messagerie en ligne WhatsApp, le 16 août 2015. C’est à ce moment-là qu’il a fait part de son opinion négative du gouvernement.

Un jeune homme traverse le village de pêcheurs de Jamestown, à Accra, au Ghana. [PERSONNEL D’ADF]
Un jeune homme traverse le village de pêcheurs de Jamestown, à Accra, au Ghana. [PERSONNEL D’ADF]
« Priez pour moi, car je ne vous oublierai jamais dans mes prières, et j’espère et je prie pour que nous nous retrouvions, si ce n’est dans ce monde alors dans le Jannah (paradis). Je vous aime tous. Puisse Allah nous accorder la compréhension et nous guider tous vers le droit chemin. Asalaamu alaikum », a-t-il écrit selon StarFMOnline.com.

« Je vous ai raconté un mensonge pour contenter mon Allah. J’ai dit que j’allais faire des recherches dans la ville éloignée de Prestea [une ville du sud-ouest du Ghana], alors que mon intention était de partir loin de vous tous pour rejoindre l’État islamique. Je sais que cela vous paraîtra incroyable, mais votre fils doit vraiment prendre cette décision audacieuse pour sortir du système corrompu du Ghana qui place la démocratie au-dessus de tout  ».

CONSTRUIRE DES DISCOURS EN PARTANT DE LA BASE

L’expérience montre que la voix des gouvernements n’est pas toujours la plus crédible lorsqu’il s’agit de contredire le discours des extrémistes. À WACCE, Mutaru Mumuni Muqthar déplore qu’en dépit des encouragements de la part des communautés avec lesquelles son groupe dialogue, certains restent sceptiques. « Il y en a beaucoup d’autres qui mettent notre démarche en doute, qui nous demandent pour qui ou avec qui nous travaillons, avec l’État ou un groupe religieux ? D’autres rejettent l’existence de toute vulnérabilité envers l’extrémisme radical et rabaissent le discours à des sentiments anti-occidentaux, une propagande à laquelle nous sommes habitués », a-t-il dit.

Mutaru Mumuni Muqthar et certains de ses collègues sont musulmans, ce qui ajoute à leur crédibilité lorsqu’ils démolissent les discours extrémistes au Ghana, où près d’un cinquième des 27 millions d’habitants que compte le pays sont des musulmans. Le public auquel s’adresse WACCE est principalement, mais pas exclusivement, musulman. Les programmes de sensibilisation ont pour but d’aider les gens à comprendre « le caractère de l’extrémisme et les bases de la radicalisation », a-t-il précisé.

Bien qu’il existe une bonne collaboration entre WACCE et différentes organisations gouvernementales et de la société civile, la contre-propagande est souvent plus puissante et efficace lorsqu’elle émane des chefs de communauté et des civils plutôt que d’organisations ou de l’État. WACCE contacte des imams dans les mosquées locales pour accéder à la communauté locale. « Ils nous ont beaucoup encouragés et merveilleusement aidés dans notre cause. Nous les considérons comme des partenaires clés et des agents de notre cause et nous avons l’intention de faire davantage appel à eux et d’en faire un pivot de nos travaux », a-t-il assuré.

LE POUVOIR DES DISCOURS

En juin 2014, Hedayah, le Centre d’excellence international pour la lutte contre l’extrémisme violent et le Centre international de la lutte contre le terrorisme (ICCT), à La Haye, ont organisé un atelier sur « l’Élaboration de contre-discours pour lutter contre l’extrémisme violent ».

Selon un rapport de la réunion, les participants ont examiné une large gamme de contre-discours possibles :

•  Discours différents/positifs : ceux-ci se concentrent sur l’élaboration de discours « proactifs, positifs et alternatifs ».

•  Les contre-discours stratégiques : ceux-ci peuvent être utilisés par les gouvernements et les grandes organisations, mais il est possible qu’ils ne soient pas aussi efficaces auprès de personnes déjà acquises à des organisations extrémistes.

•  Les contre-discours éthiques : ceux-ci montrent le manque de moralité des actions violentes et peuvent être utiles aux messagers qui ont une influence morale sur le public.

•  Les contre-discours idéologiques et religieux : cette approche sera la plus utile aux messagers qui ont une autorité religieuse sur le public, tel que les imams, les penseurs musulmans et d’autres personnages religieux.

•  Les contre-discours tactiques : ceux-ci enseignent que la violence est, à la longue, moins efficace que les méthodes plus pacifiques. Le gouvernement et les organisations communautaires qui utilisent ces contre-discours devraient aussi proposer des idées sur la manière d’atteindre un objectif sans avoir recours à la violence.

•  L’humour et le sarcasme : cette approche peut aider à délégitimer les discours violents des extrémistes, mais elle peut ne pas atteindre le public cible, et ne renforcer que « l’absurdité du terrorisme pour le grand public », qui est déjà hostile aux organisations extrémistes.

Les participants à la réunion ont recommandé que le secteur privé collabore avec les décideurs politiques et la communauté pour créer des contre-discours efficaces.

Selon un rapport de la réunion, « les participants ont convenu qu’il était nécessaire que des voix crédibles s’élèvent au niveau local pour lutter contre les messages quotidiens des organisations extrémistes violentes. Les participants ont rappelé que les interactions en personne sont toujours très importantes, même dans une société où Internet est accessible à tous ».

Parmi ses multiples suggestions, le rapport de la réunion d’Hedayah et de l’ICCT, souligne qu’il est important que les discours positifs émanent de la communauté même.

« Des contre-discours attrayants peuvent contribuer à prévenir la radicalisation et le recrutement s’ils sont transmis au public cible par des sources de confiance », énonce le rapport. « Il a été convenu qu’il était primordial d’agir au niveau de la communauté ; les chefs de communautés informés de la radicalisation potentielle et du recrutement par les extrémistes violents dans leur communauté sont de meilleurs partenaires dans la lutte contre l’extrémisme violent au sein de ces communautés. »

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