LE DIRECTEUR DE FLINTLOCK 2015 PARLE DE LA CONDUITE D’UN EXERCICE MILITAIRE RÉUNISSANT DE NOMBREUSES ARMÉES ET DES TECHNOLOGIES MODERNES.
Le général de brigade tchadien Zakaria Ngobongue était le directeur de l’exercice Flintlock 2015, dont le Tchad était le pays organisateur. Il commande les écoles militaires de son pays. Bien qu’il ait participé à plusieurs exercices militaires multinationaux, c’était son premier Flintlock. Africa Defense Forum a interviewé le général à deux reprises dans un camp près de N’Djamena, dans les derniers jours de l’exercice, en mars 2015. Cette interview s’est déroulée à l’origine en anglais avec l’aide d’un traducteur.
Q : IL EST INTÉRESSANT QUE BIEN QUE CE SOIT VOTRE PREMIER FLINTLOCK, VOUS SOYEZ AUX COMMANDES.
R : Oui, en tant que directeur principal de Flintlock 2015, je joue le rôle de coordinateur. C’est la première fois que je participe à Flintlock, mais j’ai déjà participé à de nombreux exercices multinationaux et multidimensionnels. En Angola, lors de l’exercice Kwanza en 2010, je commandais les forces multinationales. Dans le cadre de cet exercice, j’avais 4.000 hommes sous mes ordres. En 2014, j’ai assuré le commandement et le contrôle d’un exercice en Tanzanie. En 2014, j’ai également participé à un autre exercice, Loango, en République du Congo.
Tous ces différents exercices avaient des caractéristiques diverses. Flintlock est très orienté vers la communication et l’échange. C’est quelque chose qui ressort de cet exercice — être capable d’exploiter la haute technologie et le matériel de communication. Dans le cadre de beaucoup d’autres exercices, les équipements de communication ne sont pas interopérables entre les pays participants. Ceci crée toujours une difficulté en ce qui concerne le déroulement de l’exercice. Cet exercice est davantage axé sur l’interopérabilité. Mais en fin de compte, les manœuvres sont les manœuvres, elles sont les mêmes.
Pour le reste, il y a toujours des parachutes, des largages d’approvisionnement et de réapprovisionnement, des postes de contrôle et la sécurisation des zones. Tout cela se met en place pour constituer un exercice final et une démonstration. C’est la même chose dans le cadre de chaque exercice.
Q : DANS LE CADRE DES EXERCICES MILITAIRES DES ANNÉES PASSÉES, LA PRÉOCCUPATION CONSTANTE ÉTAIT QUE LES PAYS PARTICIPANTS DISPOSAIENT SOUVENT DE SYSTÈMES RADIO INCOMPATIBLES ENTRE EUX. CETTE ANNÉE, L’UTILISATION DES TÉLÉPHONES PORTABLES A-T-ELLE FAIT UNE DIFFÉRENCE ?
R : Regardez les réalités sur le théâtre de l’exercice.Nous avons effectivement des antennes et aussi différentes manières de transmettre les informations. Et assurément, le portable est désormais un outil tout à fait utile. Mais au bout du compte, c’est finalement, d’une certaine manière, une question de contact humain. En tant qu’homme de terrain, je sais que lorsque nous butons sur un problème, il nous faut le résoudre avec les moyens dont nous disposons.
Q : ON SAIT QUE LES COMBATTANTS DE BOKO HARAM SONT À PROXIMITÉ D’ICI. LA PRÉSENCE DE BOKO HARAM A-T-ELLE CHANGÉ L’EXERCICE D’UNE MANIÈRE OU D’UNE AUTRE ?
R : Non, cela n’a pas eu d’effet. L’exercice était planifié depuis longtemps. Les participants ont élaboré le concept des opérations que nous avons planifiées pour cet exercice. C’est donc une simple coïncidence.
Tous ces événements se sont produits entre février et mars. Traditionnellement, c’est la période à laquelle Flintlock est programmé. Le fait que c’est à ce moment-là que Boko Haram a commencé à se manifester à nouveau est une simple coïncidence. Cela n’a pas eu d’impact sur la façon dont nous avons conduit notre exercice. Sauf, naturellement, le fait que cet exercice se déroule dans un contexte plus particulier. Oui, nous avons le contexte d’une visibilité élevée de certaines actions menées par Boko Haram. Ils ont semé la terreur. Ils ont semé le désordre partout, en particulier dans la sous-région. Toutefois, cet exercice nous a encore donné une bonne occasion de nous réunir et de nous préparer ensemble.
Q : IL SEMBLE QUE L’ACCENT A RÉELLEMENT ÉTÉ MIS SUR LA COLLABORATION ENTRE LES PAYS PARTICIPANTS.
R : Flintlock nous a rassemblés, en nous faisant passer du temps ensemble. Pourquoi est-ce important ? C’est un échauffement, dans le but de faire face à une réalité à laquelle nous devons faire face. L’exercice n’a pas changé, c’est le contexte de l’exercice qui a changé. C’était un échauffement idéal pour des opérations effectives, réelles.
Q : PAR « OPÉRATIONS RÉELLES », VOULEZ-VOUS DIRE FAIRE FACE AUX EXTRÉMISTES ?
R : Le terrorisme — il ne concerne pas un pays seul. Le terrorisme n’a pas de visage ; il n’a pas de territoire. Il n’a pas de frontières. Il n’a pas d’amis. Cette situation oblige tout le monde à partager les ressources. Il nous faut regrouper nos efforts. Nous pouvons combattre ceci ensemble. Seuls, nous ne pourrons jamais parvenir à la situation que nous souhaitons. Cela va nous obliger à travailler ensemble.
Il s’agit de notre mission fondamentale. La mission fondamentale d’un pays et de ses forces armées est de protéger les civils sur le long terme, d’instaurer un climat de sécurité. Elle est d’assurer la stabilité de nos frontières et de ce qui se passe à l’intérieur de ces frontières. Si Boko Haram, ou tout autre groupe, affecte l’intégrité de notre nation, de notre sécurité, comment pouvons-nous l’ignorer ? Si quelqu’un vient et attaque notre population, notre réaction sera proportionnée et appropriée à cette menace.
Q : EN 2013, VOTRE PAYS A ÉTÉ À LA UNE DE L’ACTUALITÉ DANS LE MONDE ENTIER EN ENVOYANT UN CONTINGENT AU MALI POUR AIDER À AFFRONTER LES COMBATTANTS LIÉS À AL-QAIDA. EST-CE LE GENRE DE COOPÉRATION INTERNATIONALE QUE VOUS ÉVOQUEZ ?
R : Notre but est de parvenir à la stabilité sur l’ensemble du continent africain. Il ne s’agit pas seulement du Tchad, mais de tout notre continent. Effectivement, nous sommes engagés à envoyer nos soldats pour aider nos frères. Qu’il s’agisse du Mali ou d’un autre pays, cela ne change pas les enjeux. Le terrorisme n’a pas de visage ; il n’a pas de frontières. Cette question n’est pas limitée à un seul pays. Nous ne sommes pas une superpuissance. Nous travaillons parmi nos frères.
Q : L’ENTRAÎNEMENT DE FLINTLOCK VISE-T-IL ESSENTIELLEMENT À SE PRÉPARER À LA GUERRE
ASYMÉTRIQUE ?
R : Flintlock a des objectifs définis. Le premier est de partager mutuellement les ressources et de parvenir ensemble à une synergie. Ces ressources mutuelles avaient pour but d’activer, de mettre en œuvre, d’améliorer et de renforcer l’interopérabilité. Comme vous le savez, lorsque vous rassemblez un aussi grand nombre de participants, ils viennent tous avec différentes perspectives et différentes expériences. Et vous les faites travailler ensemble dans le partage mutuel des ressources. Ce sont ces différences, principes et valeurs dont nous disposons, notre savoir-faire, notre culture et notre identité, tous ces éléments sont regroupés. Et il faut bien se rappeler que nous avons évoqué des éléments de cet exercice, mais il y a un autre aspect de Flintlock que l’on ne peut pas oublier : l’élément humanitaire et médical, les interactions entre civils et militaires. C’était un autre aspect sur lequel nous avons concentré nos efforts.
Nous sommes donc responsables de la protection de nos citoyens, et à cet égard ce qui est important c’est également de renforcer la connexion et les liens existant entre nous et les civils. Il faut que les civils sachent pourquoi nous sommes ici et qu’ils soient rassurés au sujet de la nature réelle de notre rôle.
Q : PARMI LES THÈMES DE L’EXERCICE FLINTLOCK DE CETTE ANNÉE, IL SEMBLE Y AVOIR LA PRATIQUE, COMME L’ENTRAÎNEMENT AU TIR, ET L’ADAPTABILITÉ, AVEC PAR EXEMPLE LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE COMMUNICATION.
R : Les soldats ont constamment besoin de s’exercer. C’est une exigence quotidienne. Flintlock constitue un remarquable cadre pour notre entraînement, pour que nous puissions nous rassembler, pour adapter de nouvelles techniques. La technologie progresse rapidement. Les terroristes modifient constamment leurs modes d’action. Il nous faut avoir de nouvelles actions opérationnelles. Cela devrait intéresser et impliquer l’ensemble des forces armées.
Q : POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DU TYPE D’EXTRÉMISTES QUE VOUS UTILISEZ DANS VOS SCÉNARIOS D’ENTRAÎNEMENT ?
R : Il s’agit de Boko Haram et d’autres terroristes. Leur source de recrutement est la population. De quelle sorte de population parlons-nous ? Les démunis. Les mineurs. Les gens qui ont eu une vie difficile. Oui, ce sont les gens qu’ils ciblent. Ils ont également tendance à rechercher des personnes d’une certaine tranche d’âge — toujours des jeunes. Pour quelle raison ? C’est une question de moyens financiers. Ces jeunes gens ne comprennent pas les enjeux. Ils ne comprennent pas les dangers. Tout ce qu’ils recherchent est devant leur nez dans des voies faciles.
Q : PENSEZ-VOUS QUE LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS LORS DE FLINTLOCK AMÉLIORERONT L’ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENTS DANS LA RÉGION ?
R : L’échange d’informations est en effet fondamental dans la lutte contre le terrorisme. C’est un élément essentiel. Si nous n’échangeons pas les informations, nous ne parviendrons jamais à atteindre notre phase finale. Flintlock est exactement ce dont nous avions besoin, à la fois au bon moment et au bon endroit. Nous échangeons les informations et nous mettons en pratique cet aspect de notre engagement. Comme vous l’avez remarqué, Boko Haram se trouve dans cette sous-région, et si nous devons combattre contre cette entité, le type d’exercice que nous venons juste de terminer est un exemple concret et parfait des domaines dans lesquels nous devons intensifier nos efforts.
Si vous considérez, dans le cadre de cet exercice, comment les choses se passent dans le centre de coordination, il y avait deux cellules : la cellule visant à faire face à Boko Haram, et celle axée sur al-Qaida au Maghreb islamique. Pour leurs tâches, ces deux cellules communiquent entre elles, mais pas uniquement. Il y avait également une connexion directe avec les centres nationaux de coordination, par exemple au Niger, en Tunisie et au Cameroun. Dans le cadre de l’exercice, la communication a été pratiquée, et concrètement. En même temps, elle était parfois exploitée pour la réalité de ce qui se produisait dans la sous-région. Pour vous donner un exemple concret, concernant les événements que vous avez vus à la télévision à propos de Dikwa au Nigeria [les forces nigérianes et tchadiennes ont repris la ville à Boko Haram], l’échange d’informations s’est produit en temps réel au cours de l’exercice lui-même.