LA CONFÉRENCE AFRICAINE DES COMMANDANTS ENCOURAGE LES ARMÉES À APPRENDRE LES UNES DES AUTRES
Les changements spectaculaires au sein de la société étaient autrefois des événements uniques. La fin de la seconde guerre mondiale. L’effondrement de l’Union soviétique. La crise financière mondiale. L’écrivain Joshua Cooper Ramo a résumé les événements du 21e siècle par l’expression « une avalanche de changement sans fin ».
Comme c’est presque toujours le cas, l’armée est appelée à aider à gérer les changements. Désormais, plus que jamais, une armée bien formée est essentielle. Or c’est là qu’entrent en jeu les écoles d’état-major, ou écoles de guerre, des pays africains. Elles forment les officiers de l’armée à la science de la guerre et à la gestion des crises.
En règle générale, la formation de l’officier commence avec l’école militaire, ou école des aspirants à devenir officiers. Cependant, la formation de l’officier s’achève trop souvent à la remise de diplômes. Les écoles d’état-major incorporent cette formation militaire de base et la développent, allant au-delà des compétences fondamentales relatives au combat. Comme l’écrivain Milan Vego l’a suggéré, une éducation militaire professionnelle « devrait encourager le développement de l’initiative, de la flexibilité, de l’esprit de décision et de la disposition à assumer des responsabilités ».
Les écoles d’état-major de l’Afrique ont une longue tradition d’échange d’élèves, d’instructeurs et d’administrateurs. Historiquement, de tels échanges étaient généralement limités aux sous-régions. Les représentants des écoles d’état-major aspiraient à aller plus loin et ont formé la Conférence africaine des Commandants (ACoC) en Afrique du Sud en novembre 2007.
Les organisateurs de la conférence ont étudié le fonctionnement d’organisations similaires telles que la Conférence des Commandants de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, le Collège de défense de l’OTAN et le Centre d’études stratégiques de l’Afrique aux États-Unis.
La conférence s’est régulièrement étoffée. Des représentants de neuf écoles d’état-major ont participé à la première réunion en 2007 en Afrique du Sud, et neuf écoles participeront à la réunion de l’an prochain au Ghana. La troisième réunion, organisée par l’Égypte en 2009, a vu la participation de représentants de 18 des 25 écoles d’état-major de l’Afrique. Les réunions annuelles se sont également tenues au Botswana, en Éthiopie, au Nigeria, en Ouganda et en Zambie.
La liste actuelle des membres actifs inclut des représentants des armées du Botswana, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de l’Égypte, du Ghana, du Kenya, de la Libye, du Malawi, de la Namibie, du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de l’Ouganda et de la Zambie. La composition des membres évolue et peut inclure des représentants d’organisations non gouvernementales. Certains pays, comme l’Égypte et la Libye, ont systématiquement participé à la conférence, en dépit des soubresauts politiques.
Bob Janssen, secrétaire de l’ACoC, colonel à la retraite qui a servi dans la Force de défense nationale sud-africaine, a indiqué que lors de la réunion de planification de 2015, les sujets comportaient la recherche opérationnelle, les simulations de guerre, l’élaboration des programmes d’études, la réflexion critique, les scénarios, les futures méthodologies et l’analyse coûts-avantages.
« L’ACoC estime que le fait d’avoir des officiers de grand professionnalisme permet d’atteindre la masse critique nécessaire qui incite les sociétés à respecter les valeurs sociétales et à contribuer au développement d’une culture aux normes morales et éthiques rigoureuses », a observé Bob Janssen. « Le développement d’une éthique d’excellence dans le corps d’officiers d’une nation se traduira par une meilleure qualité de missions militaires de maintien de la paix, ce qui est dans l’intérêt de tous les partenaires. La valeur de spécialisation de l’ACoC réside dans la diversité des nombreuses nations et cultures africaines et les diverses histoires militaires qu’elles représentent, qu’elles peuvent partager et dont elles peuvent tirer des enseignements ».
Au cœur de tous les programmes d’études des écoles d’état-major s’inscrivent des principes militaires fondamentaux, notamment :
- Les structures de défense nationale
- Les rôles et les missions de tous les services
- Les opérations militaires et la conduite de la guerre en commun
- Le leadership militaire
- Les connaissances et études régionales
- L’histoire militaire
- La stratégie
Les écoles d’état-major modernes incluent la formation à la guerre conventionnelle, les opérations de maintien de la paix, la maîtrise des problèmes internes et, de façon progressive parmi les nations africaines, le recours à l’armée pour faire face aux problèmes provoqués par les catastrophes environnementales.
Outre ces principes militaires, l’ACoC a des objectifs spécifiques, parmi lesquels :
- Contribuer à la sécurité africaine en développant la formation et l’éducation militaires.
- Améliorer la compréhension et la coordination entre les écoles d’état-major africaines, en vue de renforcer la Force africaine en attente (FAA).
- Développer la coopération entre les écoles en améliorant l’évaluation comparative des performances, l’adoption des meilleures pratiques au regard des programmes d’études, les accréditations relatives au cursus et au corps enseignant et les programmes d’échange.
La FAA revêt un intérêt particulier pour la conférence et a été au centre des travaux de la réunion consacrée à la charte en 2007. Elle reste un élément important des délibérations régulières de la conférence. L’École d’état-major et de commandement interarmes de l’Ouganda, par exemple, offre une formation aux opérations de maintien de la paix, en tenant compte spécifiquement des besoins prioritaires de la FAA.
ENSEIGNER LA RÉFLEXION
Les armées africaines, en ce 21e siècle, sont davantage confrontées à la guerre asymétrique qu’aux formes de combat conventionnelles. Ce type de conduite de la guerre et d’ennemi exige une réflexion et une formation nouvelles. Dans leur ouvrage intitulé Transforming Strategic Leader Education for the 21st Century (Transformer l’éducation des responsables de la stratégie pour le 21e siècle), Jeffrey McCausland et Gregg Martin ont fait valoir qu’une éducation militaire moderne enseigne la réflexion disciplinée et la résolution des problèmes.
« L’éducation consiste davantage en la manière de réfléchir aux problèmes et en la manière d’aborder des questions qui pourraient ne pas se prêter naturellement à des solutions indiscutables », ont-ils écrit. « C’est une question d’intellect, de réflexion, d’aptitudes au commandement indirect, de conseils et d’instauration d’un consensus ».
Maren Leed et David Sokolow, dans leur ouvrage intitulé The Ingenuity Gap: Officer Management for the 21st Century (Le déficit d’ingéniosité : l’encadrement des officiers pour le 21e siècle), affirment que la mission des officiers modernes est « en partie la lutte anti-terroriste, en partie la lutte anti-insurrectionnelle, et en partie les activités de stabilité et de soutien ».
« Cette diversité, bien qu’elle ne soit pas sans précédent, est apparue de manière relativement soudaine et est survenue dans une période de temps réduite », ont avancé Maren Leed et David Sokolow. Ils ont suggéré que les officiers allaient devoir être formés avec de nouvelles méthodes plus élaborées.
« Tout d’abord, les responsabilités des officiers subalternes continueront à s’étendre au-delà des limites de leurs ensembles de compétences fondamentales traditionnelles. Ensuite, les officiers de tous grades vont être de plus en plus confrontés à des problèmes mal structurés. Ils vont être pris au dépourvu par des informations incomplètes et avec un éventail d’implications si large que les modèles traditionnels de prise de décision ne s’appliqueront plus ».
Les enseignants militaires chevronnés observent qu’une technique uniforme pour l’éducation des officiers n’existe probablement déjà plus, car différentes écoles d’état-major nécessitent différents cours à différents moments. Assurément, la situation actuelle de conflit en Afrique exige de mettre davantage l’accent sur la manière de procéder face à la conduite de la guerre asymétrique. Wendell C. King, de l’École de commandement et d’état-major de l’armée américaine, a affirmé que quiconque conçoit un programme de formation d’une école d’état-major doit se poser trois questions fondamentales :
- Qu’est-ce que les diplômés doivent être capables de faire dans l’exécution de leurs tâches en tant qu’officiers supérieurs ?
- Comment concevoir et diriger un programme d’études pour préparer au mieux les jeunes membres de l’encadrement militaire, sachant que l’on ne sait pas vraiment ce qu’on leur demandera de faire à l’avenir ?
- Comment déterminer si les élèves ont accompli les objectifs de la formation ?
Dans un rapport de conférence de l’ACoC, Wendell C. King a indiqué que, à la différence d’une université civile, le changement est une constante dans les écoles militaires. « L’environnement opérationnel est évolutif et il nous appartient d’adapter nos objectifs d’apprentissage afin d’anticiper cette mutation ».
Lorsqu’une école conclut qu’elle n’atteint pas ses objectifs d’enseignement, Wendell C. King avance qu’elle doit changer son programme d’études, ses méthodes d’enseignement, ou prévoir des moyens supplémentaires de perfectionnement pour son corps enseignant.
Dans un rapport paru après la sixième réunion annuelle de l’ACoC, le général de division aérienne nigérian à la retraite, M.N. Umaru, a indiqué que les officiers doivent étudier la stratégie au début de leur carrière militaire et continuer de l’étudier au niveau de l’école d’état-major. En revanche, la formation des écoles d’état-major doit s’élargir pour inclure la stratégie de sécurité nationale et la stratégie militaire nationale. Il a également observé qu’une formation militaire avancée doit mettre l’accent sur les retombées de la technologie et des nouveaux développements à l’échelle mondiale.
« La technologie constitue une menace essentielle aujourd’hui, tout comme la guerre électronique », a-t-il précisé. « Les gens doivent être formés et éduqués en matière de défense contre toute attaque affectant une infrastructure électronique de sécurité. L’armée doit plaider en faveur de la cause du développement technologique et de son impact sur la sécurité nationale ».
UNE APPROCHE RÉGIONALE
L’ACoC a établi les fondements de la collaboration et de la coopération, mais les écoles d’état-major membres ont un calendrier, des ressources et des effectifs limités. Les membres de l’ACoC ont suggéré qu’une approche régionale pourrait surmonter certaines de ces limitations. Il y a quelques précédents à une telle coopération, avec le Kenya et l’Ouganda par exemple, qui collaborent sur des programmes d’échange d’élèves. L’École d’état-major et de commandement interarmes de l’Ouganda offre un exemple à cet égard, en ce sens qu’elle forme des élèves de 10 pays membres de la force de sécurité est-africaine, ainsi que des élèves d’autres pays de l’Union africaine.
La conférence a également examiné l’élargissement de la composition de ses membres pour y inclure d’autres institutions de catégorie supérieure ou inférieure. Au moins six pays ayant de telles institutions ne font pas partie de la conférence. L’apport de ces institutions pourrait permettre le perfectionnement professionnel tout au long de la carrière des officiers.
La conférence est intéressée de manière permanente par l’établissement d’un réseau informatique commun en vue de partager les ressources de la formation. L’établissement d’un réseau informatique joue un rôle clé dans l’exercice militaire conjoint interarmées africain (Combined Joint African Exercise) dirigé par la Communauté de développement de l’Afrique australe au nom de l’ACoC et de l’Union africaine. Bob Janssen a indiqué dans son rapport de 2015 que cet exercice est l’une des façons de développer la coopération entre les écoles d’état-major africaines, avec l’évaluation comparative des performances, l’adoption des meilleures pratiques au regard des programmes d’études, les programmes d’échange d’enseignants et les accréditations relatives au cursus et au corps enseignant.
« Le développement d’un militaire de carrière est un processus impliquant un apprentissage tout au long de la vie et un perfectionnement permanent », a affirmé Bob Janssen. « La finalité de l’ACoC est d’affiner les compétences de cette catégorie particulière d’individus qui possèdent les qualités de l’exercice des responsabilités leur permettant de contribuer à une Afrique plus sûre, plus stable et plus prospère ».
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