Africa Defense Forum

C’est Le Moment de se Parler

REPENSER LE DIALOGUE CIVILO-MILITAIRE AU NIGERIA

IDAMWENHOR NAPOLEON ENAYABA
IDAMWENHOR NAPOLEON ENAYABA

Au Nigeria, la longue crise nationale liée à Boko Haram a été dévastatrice pour de nombreuses raisons. Elle a coûté des milliers de vies innocentes, elle a poussé 1,4 million de personnes à fuir leur foyer, et elle a abîmé l’image de la nation dans le monde entier. Elle a également aggravé la méfiance entre les civils et les forces armées.

La confiance de la population dans l’armée nigériane est passée de 78 pour cent à 57 pour cent entre 2011 et 2014, d’après un sondage Gallup auprès des Nigérians. La confiance dans la police est passée de 49 pour cent à 33 pour cent.

Restaurer cette confiance sera un long processus et pourrait exiger une réforme du secteur de la sécurité (RSS) englobant tous ses aspects. L’une des facettes importantes du processus de reconstruction ne doit pas être sous-estimée : le dialogue. Le Nigeria a besoin d’un dialogue civilo-militaire à l’échelle de tout le pays, dans lequel les civils et les membres des forces armées peuvent librement et ouvertement s’exprimer pour instaurer une compréhension mutuelle.

UNE HISTOIRE DIFFICILE
Avec l’émergence des groupes terroristes et d’autres acteurs violents non étatiques dans de nombreuses régions de l’Afrique, les forces de sécurité civiles traditionnelles telles que la police se sont trouvées démunies de ressources et dépassées. De nombreux pays ont réagi en déployant des forces militaires au milieu de la population civile dans le but de rétablir la sécurité. Au Nigeria, on peut régulièrement apercevoir les troupes gouvernementales dans pratiquement toutes les régions du pays. Les résultats de l’armée, dans cet environnement, dépendent de la coopération civile.

Le problème est que la méfiance s’est installée entre l’armée et la société civile. Dans plusieurs régions de l’Afrique, cette méfiance est la résultante d’années de domination militaire, qui s’est accompagnée d’une culture d’intimidation et d’un mépris flagrant à l’égard des droits de l’homme. Dans de nombreuses jeunes démocraties, on considère que l’armée agit davantage en tant que force d’occupation qu’en tant que corps apportant la sécurité. Les civils sont las de la culture de l’impunité de la conduite de l’armée et de l’absence véritable de responsabilité et de transparence dans l’action des hauts gradés, sous le prétexte de sécurité nationale.

Au Nigeria, cette méfiance a une longue histoire. Durant l’ère coloniale, les forces armées, formées par les Britanniques, n’étaient pas destinées à être au service des Nigérians. La violence et les tactiques consistant à diviser pour régner ont été employées pour subjuguer la population. Sir Ahmadu Bello, un premier ministre de la région nord du pays, et une figure majeure de l’histoire du Nigeria, s’exprimait au nom de nombreux civils lorsqu’il évoquait les forces de l’époque coloniale : « Nous n’aimons pas les soldats ; issus de notre peuple, ils nous ont conquis pour le compte d’étrangers ». Le système militaire qui a fait son apparition au Nigeria après l’indépendance a suivi un modèle similaire. De 1966 à 1999, le pays a été en proie à une série de coups et contrecoups d’État militaires.

Le traumatisme psychologique dont les Nigérians ont une expérience commune ne s’est pas effacé. Il n’est guère surprenant que, lors du déclenchement de la crise impliquant Boko Haram, de nombreux habitants du nord, y compris les souverains traditionnels de l’État de Borno, étaient contre le déploiement militaire. Ils craignaient que l’armée ne fasse plus de mal que de bien. Ce sentiment n’a été que renforcé par des signalements de conduite arbitraire de l’armée et de violations des droits de l’homme.

Ces perceptions et ces suspicions sont parfois mutuelles. Les militaires considèrent que la société civile n’accueille pas toujours favorablement leur mission et pensent que certaines organisations de la société civile (OSC) n’attendent que l’occasion de critiquer l’armée.

Des soldats nigérians défilent pendant la cérémonie d’investiture du président Muhammadu Buhari le 29 mai 2015. AFP/GETTY IMAGES
Des soldats nigérians défilent pendant la cérémonie d’investiture du président Muhammadu Buhari le 29 mai 2015. AFP/GETTY IMAGES

L’IMPORTANCE DU DIALOGUE
Le dialogue est une forme de communication entre des personnes qui recherchent la vérité ensemble. Le dialogue implique clairement qu’aucun des deux camps n’a le monopole de la vérité, et qu’ils doivent s’efforcer de la trouver ensemble. En résumé, le dialogue est une conversation à deux sens entre des personnes ou des groupes dont les vues diffèrent sensiblement, mais qui veulent apprendre les uns des autres. C’est l’une des manières permettant à des parties en désaccord de trouver la paix.

Le dialogue ne doit pas être confondu avec le débat, étant donné que le principe sous-jacent du débat est que l’un des deux camps pense qu’il peut persuader l’autre d’adopter une nouvelle position. Le dialogue doit être un processus partagé. Par ailleurs, le dialogue est profondément enraciné dans l’histoire africaine. Les assemblées villageoises et la discussion ouverte et publique font partie depuis longtemps de la résolution des conflits dans les sociétés africaines traditionnelles. Un symbole de ce dialogue est le baobab, qui est parfois l’emplacement des discussions du village.

Dans de nombreux pays, les OSC sont à l’avant-garde de la valorisation du dialogue pour développer des relations de travail entre l’armée et les civils. Les OSC sont devenues une source permettant d’établir un lien entre le gouvernement, ses institutions et la population civile. Ceci les place dans une situation privilégiée pour promouvoir le dialogue entre les divers groupes concernés du secteur de la sécurité et de la société civile.

FAIRE EN SORTE QUE LA DISCUSSION S’ENGAGE
Une façon importante de s’assurer de la réussite du dialogue est d’organiser des réunions préalables. Ces réunions peuvent être utilisées pour informer les partenaires de la société civile avant les dialogues directs, afin d’examiner des questions axées sur les principes de la sécurité des citoyens, la gestion de la sécurité et les RSS. Ces consultations améliorent la sophistication de la contribution des OSC à ces dialogues. La coordination entre les divers acteurs de la RSS est cruciale pour la crédibilité et la viabilité des programmes de RSS. Les interventions coordonnées de RSS contribuent par ailleurs à accroître la rentabilité, éviter les doubles emplois, gérer les interactions avec divers groupes concernés et à placer au cœur du débat des questions transversales telles que l’égalité entre les sexes et les droits de l’homme.

Le dialogue avec les dirigeants des organismes de sécurité représente un autre niveau de consultation. Eu égard à l’influence déterminante des responsables des organismes de sécurité, les OSC doivent mobiliser l’adhésion de ces dirigeants d’une manière évitant la confrontation. Les responsables de ces organismes doivent approuver le dialogue. Le fait de commencer lentement en se concentrant sur le développement de relations, plutôt que de se lancer immédiatement dans des sujets se prêtant à des divergences de compréhension, peut atténuer l’inflexibilité des opinions de chaque côté. Les dialogues ne sont pas fructueux dans une atmosphère tendue ou inégale. Les parties doivent être toutes disposées à chercher un terrain d’entente.

Le dialogue entre l’armée, les corps de l’État et les groupes concernés de la société civile constitue un mécanisme permettant de surmonter les méfiances. Pour ancrer durablement les principes de la responsabilité et de la transparence dans l’armée et d’autres institutions du secteur de la sécurité, il convient d’établir un dialogue où chacun a sa place et qui aboutit à une relation entre la société civile et l’armée.

Le dialogue permet à la société civile de formuler un programme de RSS en collaboration avec les forces de sécurité. Au Nigeria, aujourd’hui, des voix s’élèvent pour une réforme inclusive, la responsabilité et la transparence des institutions du secteur de la sécurité. Par exemple, la Commission nationale des droits de l’homme du Nigeria a enquêté sur des méfaits allégués de l’armée dans la ville de Baga et le quartier d’Apo à Abuja. De même, plusieurs organisations de la société civile suivent et contrôlent les dépenses engagées pour le secteur de la sécurité. L’armée devrait se rallier à ces initiatives entreprises par les OSC et collaborer avec elles pour élaborer une marche à suivre en vue d’une réforme visant à améliorer la transparence et mettant l’accent sur les droits de l’homme. Le succès ne sera possible que si les groupes concernés au sein de l’armée affichent leur engagement.

La Fondation CLEEN, une organisation non gouvernementale promouvant la sûreté, la sécurité et la justice, a pris l’initiative en matière de dialogue civilo-militaire. Avec l’appui de National Endowment for Democracy, la Fondation CLEEN cherche à renforcer les relations civilo-militaires en encourageant un dialogue et une compréhension durables en vue d’améliorer la responsabilité, la sécurité et les droits de l’homme. Une liste de questions à aborder sera développée conjointement. Dans chacune des six régions géopolitiques du Nigeria, un État a été sélectionné pour que les OSC locales organisent des rencontres de dialogue et pour que les formations militaires dans ces États mettent en œuvre les mesures décidées. Par le dialogue, la société civile doit comprendre que la méfiance est mutuelle. Dans certains cas dans lesquels l’armée est confrontée à une guérilla interne et externe, elle a accusé les civils de s’efforcer délibérément de saper ses efforts. La société civile a également accusé l’armée de faire excessivement usage de la force, de pratiquer la corruption et de manquer de transparence. La sécurité du pays exige que les deux camps viennent à la table des discussions et développent une compréhension mutuelle.

Il s’agit d’un processus permanent. Pour obtenir une large adhésion et promouvoir une appropriation locale, nous devons coordonner une série d’événements de diffusion stratégique publique pour informer le public. Cette coordination pourrait être effectuée à travers des groupes à plusieurs niveaux afin de mettre en place des mécanismes de contrôle de la conformité et de l’exécution du plan. Elle donne également au public l’occasion de poser des questions et de recevoir des réponses immédiates. La sensibilisation du public à un plan d’action donne aux parties l’occasion de recueillir des informations pour examiner ce plan et l’améliorer.

Le Nigeria peut compter sur une économie en plein essor, une démocratie florissante et un avenir prometteur. Nous pouvons tous contribuer à assurer la sécurité du pays en nous rejoignant à travers le dialogue.

Un groupe de civils et d’officiers supérieurs des Forces armées nigérianes discutent lors d’un dialogue organisé par Partners for Democratic Change et la Fondation CLEEN. PARTNERS FOR DEMOCRATIC CHANGE
Un groupe de civils et d’officiers supérieurs des Forces armées nigérianes discutent lors d’un dialogue organisé par Partners for Democratic Change et la Fondation CLEEN. PARTNERS FOR DEMOCRATIC CHANGE

Idamwenhor Napoleon Enayaba est un praticien du développement expert en résolution des conflits, bonne gouvernance, contrôle public, responsabilité, sûreté et sécurité. Il est titulaire d’un diplôme d’histoire de l’Université du Bénin et d’un diplôme en conflit, sécurité et développement de l’Académie de défense du Nigeria. Idamwenhor Napoleon Enayaba a auparavant travaillé à la Fondation CLEEN en tant que responsable de programme pour la sûreté et la sécurité publiques. Il a activement participé à la réforme du secteur de la sécurité au Nigeria et a mis en place à la Fondation CLEEN un domaine programmatique axé sur les relations civilo-militaires.

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