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LA VOIE À SUIVRE

UN OFFICIER DE LA MARINE NIGÉRIANE DÉFINIT LES MESURES CLÉS NÉCESSAIRES POUR METTRE FIN À LA PIRATERIE

CONTRE-AMIRAL ADENIYI ADEJIMI OSINOWO

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LE CONTRE-AMIRAL ADENIYI ADEJIMI OSINOWO

Le contre-amiral Adeniyi Adejimi Osinowo sert dans la Marine nigériane depuis plus de 30 ans. Au cours de sa carrière, il a occupé les postes de chef des formations et des opérations et directeur de la transformation de la marine. Il a aussi fait partie du Collège de défense nationale à Abuja. En 2011, il a reçu la médaille du service méritoire des États-Unis pour son service de sept mois en tant que commandant adjoint de la Station Partenariat Afrique. Il a aussi contribué au développement de la Stratégie maritime intégrée pour l’Afrique 2050, qui expose les grandes lignes de la stratégie du continent pour sécuriser son domaine maritime. Cet article a été adapté à partir d’un briefing sur la sécurité, rédigé par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

La lutte contre la piraterie et les attaques armées contre les navires dans le golfe de Guinée demande une approche globale du cycle de piraterie. Il convient alors d’aborder les causes à terre, les faiblesses du transit en mer et les débouchés de la piraterie. Pour endiguer la vague d’attaques, il faut aussi mener des actions délibérées transversales qui incluent des mesures préventives, dissuasives et une coopération entre les acteurs nationaux et régionaux. Les domaines suivants méritent que les professionnels de la sécurité y concentrent leurs efforts afin d’optimiser les résultats.

Gestion de l’espace maritime : l’amélioration de la sécurité concerne plus la gestion stratégique de l’espace maritime que la flotte et les patrouilleurs. Les pays d’Afrique centrale et de l’Ouest doivent définir des couloirs de transit et des sites de mouillage plus clairs afin de protéger les navires marchands dans leurs eaux territoriales et zones économiques exclusives, qui s’étendent à 200 milles nautiques de la côte d’un pays, à l’instar du couloir de transit international recommandé, qui a bien fonctionné dans le golfe d’Aden et a été reproduit en tant que zone de signalement volontaire dans le golfe de Guinée. Ce type d’arrangement demande une collaboration à la fois régionale et nationale, qui pourrait être facilitée par le Centre inter-régional de coordination pour la sûreté maritime (CIC) à Yaoundé, au Cameroun.

Au vu du succès de la zone de mouillage sécurisé au port de Lagos, un partenariat de sécurité public-privé offrant une protection 24 heures sur 24 aux navires souhaitant mouiller en toute sécurité près du chenal du port de Lagos, des concepts similaires pourraient être établis autour des approches de tous les ports de la région, incluant aussi la répression et des sanctions pour les infractions commises envers des navires. De telles procédures amélioreront la sécurité des navires et simplifieront les interventions de patrouille et de surveillance des autorités maritimes.

Pour promouvoir la gestion de l’espace maritime régional, il est nécessaire d’accélérer la mise en service du CIC et des centres de coordination maritime multinationaux, y compris la zone E qui se compose du Bénin, du Niger, du Nigeria et du Togo (cf. carte page 13). Cela facilitera le partage d’informations entre les agences de répression, les acteurs du commerce maritime et les partenaires internationaux. Plus particulièrement, la création de centres nationaux d’opérations maritimes permettrait de résoudre certains problèmes de coopération inter-agences entre les marines et les autorités de contrôle des ports et des États du pavillon.

Harmonisation des sanctions : le nombre limité de procès pour piraterie met en évidence la nécessité d’une plus grande harmonisation des actions judiciaires dans la région, comme le recommande le protocole d’accord signé entre les États de la Communauté économique d’Afrique centrale (CEDEAC), les États de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Commission du golfe de Guinée. À cette fin, il conviendrait de mener une étude approfondie du cadre judiciaire de chaque pays, pour permettre à chacun d’engager effectivement des poursuites pénales contre les pirates. Des mesures visant à accélérer les extraditions et à synchroniser les sanctions pour les actes criminels perpétrés en mer, entre les juridictions, éviteraient que les criminels bénéficient d’un traitement plus clément, dans un autre pays côtier.

Les membres du système judiciaire devraient être formés, en coordination avec les agences de répression maritimes, à accélérer et à standardiser la collecte et la conservation des preuves, afin de faciliter la tenue de procès efficaces et équitables. La mise en place de tribunaux spéciaux pour les actes de piraterie et de vols maritimes pourrait contribuer à réduire les délais.

Coopération entre les marines : l’autorisation par le comité des chefs d’état-major de la défense de la CEDEAO, d’un forum permanent pour les directeurs régionaux des marines, pourrait fournir la synergie indispensable à la coordination. Cela a été fait pour la Zone E et doit se répéter dans les autres zones ressortant de la CEDEAO. Le Département des affaires politiques, paix et sécurité de la CEDEAO a pour tâche, à cet égard, de promouvoir la mise en service de la coordination des zones pour tous les États membres, y compris des approches communes et la poursuite de crimes transfrontières et extraterritoriaux.

Moyens nécessaires : un mécanisme de dissuasion à différents niveaux, caractérisé par des patrouilles aériennes maritimes, le déploiement de patrouilleurs hauturiers (OPV) et de navires de défense côtière (SDB), ainsi que des installations de surveillance terrestre et par satellite, seront nécessaires pour contrôler et sécuriser le golfe de Guinée. Une couverture radar et un rayon de patrouille théoriques de 100 milles nautiques doivent être considérés pour chaque patrouilleur.

Pour chaque bâtiment en mer, il doit y en avoir un en attente, pendant qu’un autre subit une révision de routine. Partant de cette hypothèse et considérant que le littoral ouest-africain couvre environ 3.000 milles nautiques, il faudrait au minimum 90 OPV pour une dissuasion et une réponse efficaces. Comparé à la flotte actuelle de 32 OPV/unités équivalentes (frégates, corvettes et grands patrouilleurs), les gouvernements devraient prendre en compte le déficit de 58 bâtiments lorsqu’ils envisageront de futurs investissements. Dans les eaux relativement calmes et libres de la région, des OPV d’un déplacement inférieur à 1.000 tonnes, avec un armement minimum, seraient suffisants. Les SDB permettraient d’avoir une présence efficace dans les voies d’approche de tous les ports régionaux, à la même condition qu’il y ait deux SDB supplémentaires disponibles pour chaque bâtiment déployé. Les pays ayant un long littoral ou des foyers de piraterie devraient envisager d’acquérir des aéronefs de patrouille à voilure fixe et à voilure tournante. Bien qu’ambitieuses, ces prévisions fournissent un guide de planification aux gouvernements, marines, partenaires étrangers et investisseurs.

Profilage des réseaux de piraterie : pour briser la chaîne cyclique des attaques de navires marchands de manière rentable, il faut disposer d’une solide capacité de profilage de criminalité maritime et de partage des informations entre les acteurs dans la région. Une telle capacité permettrait le contrôle des navires en transit, de leur équipage et de leurs propriétaires dans le but de dresser le profil des navires et des individus suspects, y compris dans les villages côtiers. Il faudrait dresser, mettre à jour et partager une liste de surveillance de navires et de complices suspects.

Une campagne internationale visant à fermer les marchés et les centres financiers au pétrole de contrebande et au produit des activités criminelles ferait augmenter le prix du pillage dans le golfe de Guinée. Cela nécessiterait davantage d’actions concertées de la part des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest et de leurs partenaires internationaux pour identifier et pénaliser les réseaux criminels impliqués dans le blanchiment des produits de la piraterie et d’activités criminelles associées. Il serait extrêmement utile de sanctionner les propriétaires de navires et les organisations connus pour être les bénéficiaires du produit des attaques et des vols de pétrole, mais c’est encore une lacune importante dans la collaboration entre l’Union européenne, l’Asie et les pays africains.

Engagement de partenariat : il est nécessaire d’intensifier la collaboration entre les partenaires internationaux et les gouvernements africains dans les eaux internationales autour du golfe de Guinée. Les opérations Atalanta, Ocean Shield, et Combined Task Force 150/151 dans le golfe d’Aden et l’océan Indien fournissent un modèle adaptable. Il serait aussi utile que les partenaires américains, européens et asiatiques renforcent la capacité de la garde côtière et navale dans la région par le biais d’une collaboration efficace.

Développement économique ciblé sur la côte : la situation dans le delta du Niger et la pauvreté endémique dans la région soulignent la nécessité de prendre des mesures concertées pour développer l’infrastructure, créer des emplois pour les jeunes et protéger l’environnement côtier. Si l’on considère que plus de la moitié des actes de piraterie enregistrés ces dernières années ont été commis dans les eaux au large du delta du Niger, il est nécessaire d’améliorer les perspectives économiques des villages côtiers de cette région. De même, compte tenu de l’impact socio-économique de la pêche illicite, de la pollution et de la dégradation environnementale, les États et les autorités locales dans la région doivent mettre l’accent sur des politiques maritimes qui ont un effet direct sur les habitants du littoral. Cela signifie faire respecter les lois gouvernant le commerce maritime international des sociétés étrangères, appliquer adéquatement les lois environnementales et étendre la construction navale, la pêche et d’autres industries où il existe encore des carences de production. De tels avancements réduiraient les motifs qui poussent les jeunes à la piraterie et fourniraient aux villages, à l’État et au secteur privé l’occasion de partager des intérêts dans une économie maritime dynamique.

CONCLUSION
Alors que la prospérité économique des pays du golfe de Guinée dépend de plus en plus de la mer, l’évolution des attaques violentes prenant des dimensions internationales, demande des solutions multilatérales. Certaines d’entre elles, comme la Zone maritime E et le CIC sont déjà en cours de réalisation. Les gouvernements doivent aussi éradiquer les causes de la piraterie et étendre les ressources et les intérêts partagés dans un domaine maritime sécurisé. Aucune de ces recommandations ne gagnera suffisamment de terrain pour être autosuffisante tant que la question de la sécurité maritime ne sera pas portée du niveau opérationnel au niveau ministériel, où sont tenus les cordons de la bourse. Tant que chaque pays d’Afrique centrale et de l’Ouest ne montrera pas la volonté de protéger les eaux de la région, le golfe de Guinée continuera de représenter un risque sécuritaire.

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