DES SOLDATS PAS DES CHIFFRES
L’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES ARMÉES AFRICAINES DOIT ALLER AU-DELÀ DES QUOTAS ET DES RÔLES TRADITIONNELS
PERSONNEL D’ADF PHOTOS DE REUTERS
À une époque, certains des soldats les plus redoutables et les plus expérimentés de l’Afrique étaient des femmes : les guerrières amazones du Royaume du Dahomey. Cette force combattante entièrement féminine, recrutée à partir de captives et de la population autochtone, a également servi en qualité de gardes du corps du roi.
Cette force a été constituée au XVIIe siècle, à partir d’une unité créée pour la chasse à l’éléphant. Vers le milieu du XIXe siècle, leur nombre s’était accru et on comptait entre 1.000 et 6.000 combattantes, soit environ un tiers de l’armée du Dahomey. Le royaume, qui s’étendait dans ce qui est à présent le sud du Bénin, était assez progressiste pour son époque ; les femmes y avaient des droits que nombre d’autres sociétés ne leur conféraient pas.
Les amazones ont combattu vaillamment tout au long des guerres entre la France et le Dahomey, en 1890 et 1892, jusqu’à leur conclusion. Au moment de la conquête française en 1892, la plupart des amazones avaient été décimées. C’est avec fierté que l’on se remémore les guerrières du Dahomey dans le Bénin d’aujourd’hui. En 2010, le Bénin était l’une des treize anciennes colonies françaises ayant envoyé un contingent à Paris pour le défilé militaire commémorant la prise de la Bastille. Ce pays a choisi d’envoyer son unité d’élite de femmes soldats connue sous le nom des Amazones du Bénin.
PLUS QUE SIMPLEMENT DES CHIFFRES
Au XXIe siècle, les femmes continuent à servir avec distinction dans les forces de sécurité africaines. Les experts conviennent que le fait d’avoir des femmes dans l’armée, la police et les forces de sécurité africaines est une chose positive, car elles sont les représentantes de plus de la moitié de la population d’un pays. À cette fin, plusieurs nations, en particulier dans l’Afrique australe, ont fait progresser l’intégration des femmes dans les forces de sécurité.
Selon le Baromètre 2014 du Protocole de la Communauté de développement de l’Afrique australe sur l’égalité des sexes et le développement (Southern African Development Community Protocol on Gender and Development), les femmes constituent jusqu’à 28 pour cent des forces de défense de l’Afrique du Sud, 38 pour cent de la police des Seychelles et 52 pour cent des services pénitentiaires des Seychelles. Le Zimbabwe compte la proportion la plus élevée (35 pour cent) de femmes servant dans les forces de maintien de la paix. En 2013, la Namibie était en tête de cette catégorie avec 46 pour cent. L’objectif pour chacune de ces catégories en 2015 est de 50 pour cent.
La Somalie, un pays qui sort de plus de vingt ans de déliquescence de l’état de droit et d’attentats terroristes, a commencé à intégrer des femmes dans son armée nationale naissante. À la mi-2014, on comptait environ 1.500 femmes parmi les 20.000 soldats du pays. Naeemo Abdi, âgée de vingt-cinq ans, est l’une d’entre elles. « Cela a été difficile, mais je dois le faire pour servir mon pays sans réserve », déclare-t-elle à The Associated Press. Le genre n’est pas une frontière. Si elles sont déterminées, les femmes peuvent travailler bien mieux que les hommes. »
Malgré cela, son choix de quitter la vie familiale en 2012 pour rejoindre l’armée a été accueilli avec scepticisme et parfois avec hostilité. Son mari et sa famille s’opposaient à cette décision. Une fois, alors qu’elle fouillait un homme qui s’apprêtait à entrer dans un poste de police somalien, il lui a dit d’un ton cassant : « Femme et soldat ? »
D’autres se plaignent de discrimination, expliquant qu’elles sont piégées dans des emplois subalternes. Nombre d’entre elles assurent la sécurité dans les postes de police. « Le seul problème est que les femmes sont reléguées dans ce type d’emplois et ne sont pas promues à des fonctions plus importantes », indique la femme soldat Shukri Hassan à AP.
« La présence de femmes parmi les hauts gradés inciterait davantage de femmes à s’engager dans l’armée », observe la femme soldat Halimo Maalin.
TRANSFORMER LES STRUCTURES DIRIGEANTES
L’exercice des responsabilités par les femmes fait partie des défis les plus importants à relever pour l’intégration des femmes dans les forces armées et la police. L’un des thèmes majeurs évoqués lors d’une conférence régionale sur le genre qui s’est tenue à Windhoek, en Namibie, en juin 2014, était que les chiffres en eux-mêmes ne constituaient pas un objectif suffisant. Les nations auraient plutôt intérêt à axer leurs efforts sur la participation active des femmes aux questions d’égalité entre les sexes au niveau de la prise de décision.
Les nations africaines manifestent de l’intérêt pour le sujet. Des représentantes du Botswana, du Malawi, du Mozambique, de la Namibie, du Sénégal, de la Sierra Leone et de la Zambie ont assisté à la conférence et ont partagé les stratégies et les meilleures pratiques.
Certaines femmes servent déjà aux échelons supérieurs des structures du commandement militaire dans l’ensemble du continent. Une fois de plus, l’Afrique australe se distingue. La générale de division Nontsikelelo Memela-Motumi, des Forces de défense nationale sud-africaines, est chef adjointe des ressources humaines et elle est la femme au grade le plus élevé au sein de l’armée sud-africaine. Elle a publié un article traitant de la nécessaire présence des femmes à des postes de responsabilité dans le numéro de septembre 2013 du magazine South African Soldier.
« Il faut qu’il y ait davantage de femmes à des fonctions dirigeantes non seulement pour qu’elles puissent être des exemples à suivre, mais également pour qu’elles puissent donner l’impulsion à un programme de transformation allant dans le sens du « non sexisme », fait-elle valoir. « Il est révélateur qu’il existe entre les hommes et les femmes des disparités systématiques en matière de représentation des femmes, tant sur le fond qu’à titre symbolique, dans les structures de commandement militaire. »
C’est également l’avis de Cheryl Hendricks, professeure de science politique à l’Université de Johannesburg. Toutefois, il faudra du temps pour que les femmes se hissent à des niveaux leur permettant d’exercer une influence de fond. Pour elle, on doit donner aux femmes qui rejoignent les forces de sécurité des raisons de rester, sous la forme de formations et de possibilités de promotion. La promotion rend possible la présence de femmes à des postes de responsabilité pouvant introduire des réformes dans le secteur de la sécurité.
« Nous nous sommes tellement focalisées sur le processus à faire accéder les femmes à ces postes, et ce que l’on constate est que les femmes y accèdent effectivement, mais qu’elles n’y restent pas très longtemps non plus », indique Cheryl Hendricks à ADF. « Donc après trois ou quatre années, elles se dirigent vers d’autres activités. Par conséquent, c’est le maintien des femmes à leur poste, pas simplement le recrutement, mais leur maintien en fonction qui est un problème important dans le secteur de sécurité. »
Les forces de sécurité doivent trouver un juste équilibre entre une formation adéquate et un engagement à l’égard de la promotion des femmes. « Il faut éviter de mettre des personnes à des postes pour lesquels elles ne sont pas en mesure d’accomplir leur mission », ajoute Cheryl Hendricks. « Cela revient à se tirer une balle dans le pied. Aussi devez-vous donner aux personnes la formation requise pour réussir dans leurs fonctions. En revanche, vous pouvez également accélérer la formation, de telle sorte qu’au lieu que cela vous prenne 20 ans, cela pourrait ne vous prendre que 10 ans si des efforts concertés sont faits pour que vous y parveniez. Il vous faut donc rechercher des femmes ayant des capacités, les identifier et vous assurer que vous leur faites suivre un programme accéléré. »
ÉVITER LE PIÈGE DU GENRE
Cheryl Hendricks dit qu’elle commence toujours en partant du principe que les femmes sont des citoyennes ayant les mêmes droits que les hommes dans la société, et qu’elles méritent d’avoir l’opportunité de rechercher toute forme de service ou d’emploi qui les intéresse, du moment qu’elles sont qualifiées pour le faire. Un secteur de la sécurité plus représentatif tiendra compte des besoins de tout le monde dans la société. Des arguments semblables ont été avancés et ont été suivis d’effet dans tout le continent concernant l’intégration des groupes raciaux et ethniques dans les forces de sécurité. Les mêmes types d’arguments devraient donc s’appliquer pour les femmes. Pour Cheryl Hendricks, l’intégration des femmes comme des groupes ethniques atteint l’objectif fondamental de la réforme du secteur de la sécurité, à savoir « un secteur de la sécurité plus représentatif, plus légitime, plus responsable et plus apte à faire face à diverses situations. »
Là où les militaires doivent être prudents, ajoute-t-elle, c’est lorsqu’ils tiennent pour acquis que les femmes apportent des qualités uniques relevant du genre dans leurs fonctions dans l’armée et dans la police. Par exemple, certains présupposent que les femmes sont meilleures pour la communication, manifestent plus d’empathie et sont plus susceptibles de rechercher la paix. Parfois on part du principe qu’elles sont meilleures dans leurs interactions avec les femmes et les enfants civils ou plus susceptibles de s’opposer à la violence à caractère sexiste. Il arrive que ces hypothèses s’avèrent exactes, mais il existe également des hommes qui excellent dans ces domaines. « Nous ne pouvons donc pas avancer un argument aussi uniforme de cette manière », suggère Cheryl Hendricks. « Ce que nous devons faire est de déterminer quelles compétences sont nécessaires pour un secteur de la sécurité d’une société particulière ou une mission de paix particulière, etc., et ensuite examiner de quelle manière nous pouvons former chaque personne à exercer ces compétences. »
Cheryl Hendricks appelle ceci le « piège du genre ». Si les responsables tiennent pour acquis que la valeur des femmes réside dans leur apport d’un ensemble particulier de compétences, alors seules les femmes devront assumer la charge de transformer les relations entre les hommes et les femmes dans le secteur de la sécurité. « C’est pourquoi j’ai tendance à mettre l’accent sur une discussion fondée sur les droits », précise-t-elle. « Pour tout autre secteur, on ne voit pas la nécessité d’aller chercher les qualités uniques des femmes qui vont aller travailler, par exemple, dans les affaires ou dans l’administration. Il va de soi qu’elles y ont leur place. Toutefois, d’une certaine façon, lorsqu’il s’agit du secteur de la sécurité, il nous faut trouver ces justifications à la présence des femmes dans ce secteur particulier. »
Boubacar N’Diaye, président du Réseau africain pour le secteur de la sécurité, avance qu’il s’agit d’une question d’équilibre. Les femmes doivent être incluses, bienvenues et à des postes d’autorité. Boubacar N’Diaye, dans le cadre de son travail sur les réformes dans tout le continent, indique qu’il lui a fallu maintes fois répondre à des fonctionnaires africains lui demandant pourquoi il était important pour les femmes d’avoir une présence dans le secteur de la sécurité.
« Je leur dis de ne pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, à l’époque du colonialisme, les Européens pensaient que les hommes africains n’étaient pas capable de faire partie de l’armée et ne pouvaient être ni à des postes de combat, ni à des postes de commandement », explique-t-il. « Quel serait alors votre sentiment si cela devait encore exister à l’heure actuelle ? Et je pense que cela illustre bien qu’il est injustifiable de continuer à avoir des appareils de sécurité excluant plus de la moitié de la population, et donc de se priver ce faisant de tant de talents et de tant d’énergie. »
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