PERSONNEL D’ADF
L’intervention du Tchad dans le Nord du Mali est un véritable exemple de détermination et du sens du sacrifice.
Une colonne d’environ 100 véhicules légers tchadiens, pour la plupart des Toyota Land Cruisers, a quitté N’Djamena, la capitale du Tchad, le 20 janvier 2013. Le convoi a contourné le bassin du lac Tchad avant d’atteindre la frontière du Niger. Plusieurs jours auparavant, près de 200 véhicules blindés, dont 90 Eland et 17 chars BMP, ont été transportés par avion jusqu’à Niamey, la capitale du Niger.
Au poste-frontière du Niger, le général de brigade Abdraman Youssouf Mery, qui commande le groupement spécial anti-terroriste (SATG), une unité d’élite du Tchad, a fait arrêter le convoi et a réuni ses officiers autour de lui.
« À présent, nous allons hors de notre territoire », se rappelle-t-il avoir dit à ses hommes. « Nous allons aider la population, des Africains qui sont nos amis, donc il faut que nous respections les lois et les règles de ces pays étrangers, en respectant les droits de l’homme. N’oubliez pas que nous allons là-bas pour amener la paix chez nos voisins. »
Il s’agissait d’une mission ambitieuse. Quatre jours auparavant, l’Assemblée nationale tchadienne avait voté, à l’unanimité, en faveur du soutien à l’engagement militaire au Mali. Bien que le Tchad ait des moyens modestes et n’ait pas de frontière commune avec le Mali, le pays a puisé dans ses ressources en consacrant 121 millions de dollars à l’envoi de 2.000 soldats de son armée pour participer à ce combat.
Pour le président Idriss Déby Itno, il s’agissait d’une « cause juste » et d’un « devoir » pour le Tchad.
« Les Africains doivent savoir qu’ils ont un rôle à jouer vis-à-vis de la stabilité et de la paix dans le continent », a déclaré Idriss Déby Itno le 16 janvier 2013. « Il est temps que les Africains se mettent au-devant de la scène. »
Il n’y avait pas de temps à perdre. Les groupes ayant prêté allégeance à Al-Qaida s’étaient déjà emparés de plus des deux tiers du Mali. En avançant vers le sud, ils ont pris Konna, une ville de grande importance stratégique, et paraissaient se diriger vers Bamako, la capitale.
Faisant preuve d’une incroyable arrogance, Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a présenté à ses combattants un manifeste de 10 pages indiquant ce à quoi ressemblerait un État gouverné par Al-Qaida au cours des décennies à venir. Les combattants islamistes ont commencé à rendre une justice sévère dans de nombreuses villes placées sous leur coupe, y compris en administrant des coups de fouet en public. Plus de 250.000 Maliens ont fui le pays.
LES RENARDS DU DÉSERT
Le convoi du général Mery a poursuivi sa route, couvrant plus de 1.500 km en trois jours, même en faisant des arrêts fréquents pour saluer les dignitaires locaux dans les villages nigériens. Les Tchadiens sont réputés pour leur aptitude à traverser de vastes espaces en un court laps de temps. C’est une nécessité dans un pays d’une superficie de près de 1,3 million de km2, dont les centres de population sont très dispersés. Dans les années 1980, lors des guerres contre la Libye, l’armée tchadienne a également acquis une réputation pour son style d’attaques éclair qui lui a permis de surprendre des soldats Libyens bien armés et de déjouer leurs plans. Les Français l’appelaient la méthode du « rezzou TGV ». Il s’agit d’une double référence, d’une part aux anciennes tactiques de raids utilisées par les nomades sahariens qui étaient appelées razzias et, d’autre part, au TGV, le sigle français signifiant « train à grande vitesse ».
« Ils sont intrépides, efficaces et esthétique (treillis turbans et lunettes noires) », a observé Géraud Magrin, un chercheur. « Ils conduisent des attaques avec une colonne de Toyota équipées de matériel militaire, lancées à très grande vitesse. »
Les Tchadiens savaient qu’ils étaient particulièrement doués pour mener des combats dans les montagnes du Mali. La caractéristique la plus frappante du Tchad septentrional est le massif volcanique du Tibesti, l’un des endroits les plus déserts de la planète et un pôle d’attraction pour les terroristes et les trafiquants. En 2004, lorsque les extrémistes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) ont établi leurs quartiers dans le massif du Tibesti, l’armée tchadienne les en a chassés en arrêtant l’un de ses principaux commandants.
« Le Mali est très similaire au Tchad : c’est à peu près le même type d’environnement », a fait remarquer le général Mahamat Déby Itno, fils du président tchadien et commandant en second des forces tchadiennes au Mali. « Nous avons [les montagnes du] Tibesti au Tchad. Les soldats sont aguerris à ce type de reliefs. Ils sont entraînés pour tout type de terrain, que ce soit le désert, la montagne ou la forêt. Pour nous, cela ne fait pas beaucoup de différence. »
UNE EXPÉDITION DE 3.000 KILOMÈTRES
Le 25 janvier, les forces d’intervention du Tchad, appelées Forces armées tchadiennes d’intervention au Mali (FATIM), ont franchi la frontière du Mali et ont mis le cap sur Menaka, une ville composée de maisons ramassées bâties en briques d’argile qui est située à une centaine de kilomètres de la frontière.
Le convoi géant a progressé lentement, formant des détachements espacés de 5 à 6 km. « Nous avons envoyé des éclaireurs en reconnaissance et nous nous sommes divisés en trois colonnes, a ajouté le général Mery. Nous étions attentifs au fait qu’à tout moment pendant le trajet, on pouvait tomber sur des terroristes. Nous ne voulions pas prendre de risques. »
Au crépuscule, le convoi a atteint Menaka et encerclé le village afin de bloquer tous les points d’entrée et de sortie. Le lendemain matin, les officiers tchadiens sont entrés pour rencontrer les anciens du village. Ils ont découvert que les occupants précédents, des membres du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), avaient fui en laissant des traces du pouvoir qu’ils avaient exercé pendant trois mois. Des drapeaux noirs étaient suspendus aux murs et des illustrations rudimentaires de sabres avaient été peintes sur les portes du village. Les écoles et les échoppes des marchés étaient fermées et verrouillées.
Voyant les soldats arriver, des enfants enthousiastes sont montés sur les toits en les acclamant et ont commencé à arracher les drapeaux noirs. « Ils ont crié pour la liberté », a observé le général Oumar Bikimo, qui commande les FATIM. Il a à son acquis plus de 30 années d’expérience et a commandé une force multinationale de maintien de la paix dans la République centrafricaine. « C’était pour eux une renaissance, si vous voulez. »
Une délégation d’anciens du village s’est rassemblée à l’ombre d’un bosquet d’acacia et a offert un troupeau de chèvres aux soldats qui arrivaient. Cette contribution, offerte par un peuple soumis à d’importantes privations, avait une valeur de plus de 1 million de francs CFA. « Ils ont dit qu’ils allaient organiser un festin en notre honneur, a expliqué le général Mery. J’ai rétorqué que nous étions trop nombreux et que nous avions nos propres vivres. Je leur ai expliqué que nous étions venus les aider et que ce n’était pas à eux de nous apporter de l’aide. »
Les villageois ont raconté que, dans le cadre du contrôle exercé par le MUJAO, ils n’étaient pas autorisés à fumer des cigarettes, à mâcher du tabac ni même à manger des noix de kola. La petite station de radio communautaire, Radio Aadar, a été obligée d’arrêter de diffuser de la musique pour la remplacer par des sermons. Les hommes ont été obligés de se laisser pousser la barbe, et les femmes surprises en train de parler à un homme en public risquaient de recevoir des coups de fouet.
« À présent, nous essayons de rétablir la vie sociale, a expliqué un ancien du village. La population était réellement traumatisée. Certains de ses droits avaient été restreints. Aujourd’hui vous pouvez observer que les droits ont été rétablis. Si vous écoutez la radio et si vous voyez des jeunes gens se promener dans la rue avec leurs portables, vous savez que la liberté est revenue. »
L’interception des messages a révélé aux forces tchadiennes que leur ennemi avait effectué une retraite tactique. Les généraux Mery, Bikimo et Mahamat Déby ainsi que les autres responsables militaires tchadiens savaient qu’il leur fallait avancer plus au Nord, où les combattants les attendaient.
Le jour suivant, les FATIM ont mis le cap sur des bastions rebelles dans la région montagneuse limitrophe de l’Algérie, qui est située à 3.000 km de leur point de départ au Tchad. En l’absence de liaison routière directe de Menaka à Kidal, la capitale régionale du Nord-Est du Mali, le convoi a dû progresser dans un terrain sablonneux et broussailleux, malgré les risques d’embuscades. La couverture GPS était aléatoire dans cette zone. En outre, les camions étaient lourdement chargés : ils transportaient le plus souvent des barils de 250 litres contenant de l’eau, du carburant, des vivres et du matériel de couchage ainsi que dix hommes de troupe au maximum. Par conséquent, ils se retrouvaient parfois bloqués dans le sable.
Le général Mery et les autres officiers restaient en communication régulière avec le centre opérationnel tchadien à N’Djamena, lequel transmettait les tout derniers renseignements. Au même moment, les forces françaises déployées dans le cadre de l’Opération Serval effectuaient des bombardements aériens sur les cibles terroristes à proximité des villes maliennes de Mopti, Konna et Gao, et coordonnaient leur activité avec les Tchadiens.
« Nous ne connaissions pas la région, et nous n’avions pas de représentant local auprès de nous ; nous étions seuls, a précisé le général Mery. Nous avions à nos côtés une équipe de 15 officiers de liaison français. Ils communiquaient avec [l’Opération] Serval et apportaient leur aide logistique. En particulier, s’il y avait des soldats blessés ou malades, ils faisaient le nécessaire pour assurer leur transport aérien. »
Les forces tchadiennes sont arrivées à Kidal le 30 janvier dans l’après-midi. La nuit précédente, les forces françaises avaient atterri à l’aéroport avec des chasseurs et des hélicoptères. Des contingents tchadiens ont encerclé la ville et ont occupé les voies d’accès et les casernes militaires abandonnées. Un troisième contingent est entré dans la ville.
Le premier jour, de nombreux résidents de Kidal sont restés enfermés chez eux, car ils avaient peur. Dans cet avant-poste commercial peuplé de 25.000 habitants, peut-être un tiers des résidents était resté. Une équipe de tournage lui a donné le nom de « village de fantômes ». Des bombardements effectués pendant plusieurs jours par l’armée de l’air française pour détruire les dépôts logistiques et les camps d’entraînement de cette zone avaient mis à vif les nerfs des habitants de la localité.
Les FATIM ont immédiatement perçu que la situation était différente de celle de Menaka. Kidal avait été un bastion de la résistance du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le mouvement indépendantiste dirigé par les Touaregs. Pendant des mois, il y avait eu une alliance précaire entre le MNLA et divers groupes extrémistes, parmi lesquels Ansar el-Dine (Défenseurs de la Foi), dont le fondateur tristement célèbre, Iyad Ag Gali, est originaire de Kidal. Le MNLA a fini par chasser les groupes extrémistes. Or, ses militants ont refusé de laisser entrer des éléments de l’armée malienne dans la ville, quels qu’ils soient.
« Nous avons été bien reçus. La différence à Kidal était la présence de terroristes, a expliqué le général Bikimo. Leur base n’était pas loin de là où nous étions. Plus tard, [à Kidal,] nous avons étés frappés par un attentat suicide, en plein marché. Nous avons perdu quatre de nos soldats, et d’autres ont été blessés. C’est pourquoi j’ai mentionné une différence entre Meneka et Kidal. »
Partout à Kidal, on pouvait observer des traces de luttes récentes. Les murs étaient couverts de graffitis appliqués à la bombe aérosol, qui dénonçaient à la fois le gouvernement du Mali et l’AQMI. Le drapeau séparatiste de l’Azawad était déployé à l’extérieur de certaines maisons et de certains magasins. Dans la ville, nombre d’habitants craignaient des représailles et des conflits interethniques. Par conséquent, une partie de la responsabilité du Tchad a été de mener des patrouilles pour empêcher l’effusion de sang entre les civils. Les Français et les Tchadiens ont négocié un accord de collaboration avec le MNLA afin de sécuriser la région.
Dans une succession de mouvements rapides, les 4 et 6 février, les forces tchadiennes et françaises se sont dirigées vers le Nord pour libérer Aguelhok et Tessalit, deux villes situées en contrebas du massif de l’Adrar des Ifoghas. À Tessalit, les FATIM sont restées en attente plusieurs jours, pendant que les Français procédaient au transport aérien du matériel lourd, tels que des chars et des Caesar, des camions équipés d’un système d’artillerie avec canon de 155 millimètres.
DANS LE MASSIF DE L’ADRAR
Le 11 février, les FATIM ont obtenu le feu vert pour avancer vers le repaire des extrémistes dans le massif. Pendant 10 jours, des unités tchadiennes se sont déployées autour du massif de l’Adrar des Ifoghas, en se déplaçant le long de la frontière algérienne. Méthodiquement, elles ont bouclé le périmètre nord pour empêcher les combattants de s’enfuir en traversant les lignes vers l’Algérie. Un autre détachement des FATIM a quitté Aguelhok, progressant sur le pourtour de l’Adrar. Les deux détachements se sont rejoints près d’Abébera, une petite localité au nord-est du massif montagneux. Ces forces resserraient ainsi l’étau autour du sanctuaire de l’AQMI. « Nous voulions savoir si des individus tentaient de traverser, qui pénétrait dans cette zone et qui en sortait », a déclaré le général Mery.
Le matin du 22 février, les forces tchadiennes se sont regroupées sur le flanc est du massif montagneux. Les forces françaises leur avaient donné les coordonnées GPS de certains endroits où les terroristes étaient susceptibles de se cacher, notamment des puits ou des points d’eau. Cependant, les Tchadiens savaient que le combat n’allait pas être facile. Dans cette zone, les bombardements aériens n’avaient eu que peu d’impact, et le réseau complexe de grottes, de tunnels et de repaires abrités utilisé par AQMI ne pouvait être découvert que sur le terrain. Des résidents locaux ont affirmé aux soldats des FATIM que le gouvernement central avait été absent de la région depuis au moins 10 ans.
Le convoi composé de centaines de soldats tchadiens a progressé à travers une seule voie d’accès à l’est de l’Adrar, un oued asséché du nom de « Tigharghâr Wadi ». Il a avancé sur environ 30 kilomètres à l’intérieur avant d’atteindre la base logistique d’AQMI, dans laquelle les combattants avaient anticipé une attaque à partir du front ouest, mais étaient préparés à combattre les Tchadiens venant de l’est.
« Je pense bien qu’ils s’attendaient à notre arrivée, a précisé le général Bikimo. Si on dit qu’ils n’étaient pas au courant, ce n’était pas possible, parce qu’ils étaient déjà positionnés. Bon, cela veut dire qu’ils s’attendaient à quelque chose. »
Le combat a duré de 10 h à 17 h environ. C’était une bataille au corps à corps : les extrémistes d’AQMI tiraient des rafales avec leurs Kalachnikovs et faisaient exploser des grenades propulsées par roquette. Lorsque les combattants étaient acculés, ils se repliaient à l’intérieur des grottes, mais pour se faire exploser au lieu de se rendre. « Ils ont vraiment pris des positions de combat qu’on ne pouvait pas imaginer, a expliqué le général Bikimo. Ils ont utilisé tout ce qui était en leur capacité. »
Les Tchadiens, initialement pris par surprise, ont redoublé d’efforts. Escaladant des monticules rocheux pour s’assurer des positions sur les lignes de crête et combattant mètre après mètre et « roche après roche », ils ont fini par faire pencher la balance de leur côté.
« Sincèrement, ils n’étaient pas prêts à se rendre, a affirmé le général Bikimo à propos de l’ennemi. Nous avons fait des prisonniers, en dépit de leur résistance, sinon ils se seraient eux-mêmes donné la mort. Tous les chefs ont refusé de se rendre. »
Le tribut à payer a été lourd. Au nombre des tués se trouvait le commandant des Forces Spéciales tchadiennes, Abdel Aziz Hassane Adam, un vétéran qui avait commandé des missions de maintien de la paix au Burundi, en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo. Au total, 26 soldats tchadiens ont été tués au combat, et 53 autres ont été blessés. Du côté des ennemis, le total des pertes était de 100 tués.
L’opération a toutefois été très fructueuse. Les Tchadiens ont saisi une radio et, à compter de ce jour, ont été en mesure d’écouter les conversations des éléments d’AQMI. Un interprète local les a aidés à décoder les mouvements de l’ennemi et à adapter leur stratégie.
Les Tchadiens ont également fait 24 prisonniers. Avec ce groupe, il a été possible de faire un peu la lumière sur la diversité des militants opérant dans le massif montagneux. Parmi eux figuraient des Nigérians parlant le haoussa, un Tunisien, un Burkinabé et un combattant du Sahara occidental qui a peut-être été auparavant associé au mouvement indépendantiste du Front Polasario. Le combattant tunisien qui venait juste d’essayer de tuer des Tchadiens avait été mis sous perfusion et des pansements lui étaient appliqués par des auxiliaires médicaux tchadiens.
La zone était lourdement minée, avec des engins explosifs improvisés. Les sept jours suivants, les Tchadiens ont perdu trois véhicules qui ont sauté sur des mines terrestres. Toutefois, d’après le général Mery, ces pertes auraient été bien pires sans le travail des démineurs tchadiens qui ont dégagé sans relâche les voies d’accès, en déterrant les mines à la pelle.
Du 22 février au 3 mars, les Tchadiens se sont déployés sur le pourtour du massif de Tigharghâr, une formation rocheuse haute de 790 mètres, et ont nettoyé une bande de 70 km dans la vallée d’Ametettaï, un bastion des terroristes. La responsabilité du détachement était de chasser les combattants hors de la vallée, vers l’ouest où les chars de la 1ère unité française d’Infanterie de marine étaient déployés.
Il était souvent difficile de se déplacer, dans ce relief accidenté où les roches crevaient les pneus et où il fallait utiliser les détecteurs de mines pour déjouer des menaces potentielles, ce qui ralentissait la progression. Dans certains endroits, la voie praticable ne faisait que 5 m de large et le vent fouettant les visages projetait du sable à des vitesses perçantes. À cause de l’extrême chaleur, il fallait 10 litres d’eau par jour pour empêcher la déshydratation des soldats. Les visiteurs ont même donné le surnom de Mars à ce terrain, du fait de son apparence extraterrestre.
« Les conditions climatiques étaient réellement éprouvantes », s’est rappelé le général français Bernard Barrera, commandant de l’Opération Serval. « Il faisait 45 °C tous les jours avec des pointes à plus de 50 °C. Nos soldats portaient chacun plus de trente kilos d’équipement. Honnêtement, c’est un sport de jeune ! Ces conditions provoquent des tendinites, on a les mains qui gonflent et nous avons été très touchés par la gastroentérite. »
Au cours de la mission de nettoyage, les forces françaises et tchadiennes ont trouvé un véritable trésor de matériels utilisés par des terroristes. Elles ont découvert un bulldozer Caterpillar stationné sous un arbre et recouvert de branches. Le véhicule avait été utilisé pour creuser des fosses permettant d’enterrer des armes, des véhicules et des mines terrestres. Il y avait des tas de tubes en acier pour les RPG et des petits laboratoires appelés « garages » où pouvaient être fabriqués des engins explosifs. Ils ont trouvé du nitrate, un générateur en état de marche et même des gilets explosifs prêts à être déclenchés. Éparpillés aux alentours se trouvaient des véhicules abandonnés piégés pour déclencher leur explosion au contact.
« Nous avons donné aux soldats l’ordre de ne toucher à rien », a expliqué le général Mery.
Les soldats ont également trouvé du matériel utilisé pour le renseignement, notamment des téléphones satellitaires et des ordinateurs. Les téléphones ont ultérieurement été analysés par les Français. Selon le général Mery, ils contenaient d’importantes coordonnées et des enregistrements d’appels. L’une des découvertes les plus perturbantes a été le passeport de Michel Germaneau, un ressortissant français pris en otage par AQMI et exécuté en 2010.
Le 1er mars, les forces tchadiennes ont annoncé la mort d’Abou Zeid, considéré comme le commandant d’une Katiba d’AQMI qui contrôlait les activités de trafic et d’enlèvements dans l’Adrar. Abou Zeid, un ressortissant algérien, était considéré comme l’un des commandants les plus violents de la hiérarchie d’AQMI. En effet, il a personnellement supervisé l’exécution d’au moins deux otages et l’enlèvement de plus de 20 personnes.
Le 4 mars, les Tchadiens ont quitté le massif montagneux. Même en ayant été à l’épreuve du feu pratiquement chaque jour et en ayant dormi dans des conditions difficiles, les hommes avaient un moral d’acier, a affirmé le général Mery. « Une fois que nous avons libéré l’Adrar, le moral était vraiment très bon, a-t-il précisé. Les soldats étaient bien déterminés à réussir leur mission, et c’était un succès. Nous avons perdu des hommes, quelques-uns de nos meilleurs éléments, en réalité. Cependant, on a amené la victoire au peuple malien. »
Du 11 au 28 mars, les forces tchadiennes et françaises ont à nouveau passé le massif montagneux au peigne fin lors d’une opération de « ratissage » ou de nettoyage, à la recherche d’éléments résiduels, en particulier autour de la vallée d’Ametettaï. Le 12 mars, il y a eu un accrochage avec les extrémistes, au cours duquel six d’entre eux ont été tués ainsi qu’un soldat tchadien.
Vers la fin du mois, les FATIM et les forces françaises ont été en mesure de déclarer avec assurance que les extrémistes avaient été expurgés de l’Adrar pour la première fois depuis des décennies.
À la suite de la mission, les Tchadiens ont été accueillis en héros à leur retour dans leur pays. Le président Déby a déclaré que le 13 mai serait une journée nationale « du souvenir et de la reconnaissance ». « Les valeurs de la paix et de la démocratie que vous avez incarnées et défendues ont triomphé du fondamentalisme », a déclaré le président Déby.
En ce qui concerne les retombées de l’intervention et de sa place dans l’histoire, le général Bikimo était plus modeste. « Nous, nous sommes des Soldats avec un grand S, a-t-il affirmé. C’était une décision politique [d’intervenir], et certes, nous en avons été les exécutants. »
Cependant, il s’est avéré satisfait de cette mission bien exécutée. « Nous sommes partis avec fierté et, Dieu merci, la mission s’est terminée aussi dans la fierté. »
Perspectives sur une Intervention
Le 21 février 2013, je me suis entretenu au téléphone avec le général Oumar Bikimo, commandant en chef des FATIM. Lors de cette discussion, je lui ai dit ceci : « Mon général, il faut y aller ! Nous ne devrions pas perdre de temps, sinon cette guerre risque d’être longue et difficile. »
Je l’ai dit pour la simple raison que ceux qui étaient engagés aux côtés du peuple malien, à part l’armée française, tardaient à se mettre en place et à nous rejoindre. C’est pourquoi j’ai pris le risque de vous envoyer au feu, tout en sachant que vous alliez perdre des hommes. Suivant cet adage africain, « Quand on veut tuer un lion, il faut aller droit sur lui et ne pas suivre seulement ses traces », vous êtes allés directement au contact de ces narcotrafiquants, organisés et aguerris. D’ailleurs, ils vous attendaient de pied ferme sur un terrain qu’ils avaient préparé à l’avance.
Votre engagement a duré sept heures. Vous étiez au cœur même des opérations. Vous aviez les moyens de faire des économies en vies humaines grâce à vos véhicules blindés. Or, sachant que vos blindés ne pouvaient pas escalader les collines, vous avez décidé de les laisser et de donner l’assaut final à pied. Cet assaut a été certes meurtrier, mais il a permis à toute la communauté internationale, à l’Afrique et au Mali de gagner en temps.
S’il n’y avait pas eu cet assaut, la guerre aurait duré au moins six mois. Grâce à cet assaut, vous avez décapité la horde de terroristes, vous les avez exterminés au prix de lourds sacrifices.
Les détachements tchadiens ont dépendu pendant près de six mois des fonds du gouvernement du Tchad. Qu’il s’agisse des aspects logistiques ou financiers, nous avons toujours bénéficié de contributions de la part de pays partenaires. Toutefois, l’effort principal a été engagé par le gouvernement tchadien.
Quelles leçons ont été tirées ? Il est difficile d’en faire la liste. Tout cela fait désormais partie de la vie de l’armée nationale tchadienne. C’est une véritable expérience que nous avons vécue. Maintenant, il nous faut effectivement en retirer ce qui est positif et laisser tomber ce qui est négatif. Nous espérons qu’il y aura beaucoup plus d’aspects positifs que négatifs. Avant toute chose, il s’agissait d’une mission nationale.
I l est bien vrai que les communautés économiques régionales, qu’il s’agisse de la CEDEAO, de la CEEAC en Afrique centrale, la SADC dans la zone de l’Afrique australe, essaient, avec l’Union africaine, d’apporter des solutions aux différentes crises. Au sein de l’Union africaine, il y a une architecture de paix dans le continent africain qui est en train de se mettre en place. Donc, vous l’avez vu, au Mali, il a fallu l’intervention de la France, il a fallu l’intervention du Tchad, qui n’est pas membre de la CEDEAO, pour que l’on puisse faire face au terrorisme dans le Nord du Mali. La CEDEAO, qui compte 15 membres, a été incapable de monter une force pour pouvoir faire face à la situation au Mali.
Donc, les institutions africaines sont en train de travailler, mais elles n’ont pas encore les capacités opérationnelles nécessaires pour pouvoir faire face à des menaces comme celles du terrorisme. Il y a une réflexion qui est en cours pour mettre en place une force d’intervention rapide, en demandant aux États qui en ont la capacité d’être volontaire pour participer à cela. Ce n’est encore qu’un projet qui est en gestation ; il n’est pas encore totalement réalisé.
Le Tchad est un pays qui a connu la guerre civile et les interventions étrangères dans ses affaires. Nous sommes un pays à moitié musulman, à moitié chrétien. Et nous sommes très vigilants sur la cohabitation pacifique entre les différentes communautés religieuses. Nous sommes un pays du Sahel, comme le Mali. Et les défis du terrorisme et de l’intégrisme n’ont pas de frontières, notamment dans cette zone où il n’y a pas de frontières naturelles. La guerre qui nous a été imposée a fait que notre armée est devenue très professionnelle, notamment dans ce genre de terrain. Donc, le Mali, la CEDEAO, la France et la communauté internationale nous ont vivement sollicités pour que nous intervenions au Mali. Par ailleurs, il existe au sein de l’ensemble de la classe politique un consensus national selon lequel il faut combattre le terrorisme et l’intégrisme là où ils se trouvent, parce qu’ils risquent de nous atteindre nous aussi. Effectivement, nous avons payé un prix qui est très lourd, nous avons eu plus de 30 morts, mais je pense que cela était absolument nécessaire.