Africa Defense Forum

Dans les moments difficiles

L’armée kenyane adopte résolument son rôle d’intervenant en cas de catastrophes

Des soldats kenyans faisant partie de l’Unité de réponse aux catastrophes se servent d’outils fournis par l’armée allemande en 2012. [FORCES DE DÉFENSE DU KENYA ]
Des soldats kenyans faisant partie de l’Unité de réponse aux catastrophes se servent d’outils fournis par l’armée allemande en 2012. [FORCES DE DÉFENSE DU KENYA ]
Le Forces de défense du Kenya (KDF) ont retenu l’attention du monde entier au cours du terrible attentat terroriste dévastateur du centre commercial Westgate à Nairobi qui a fait plus de 60 victimes en septembre 2013. Cette crise a mis à l’épreuve la capacité de l’armée à prendre en charge et à contrôler un incident de sécurité de cette envergure sur le territoire national, comme peu d’autres événements l’ont fait dans l’histoire du pays. Et pourtant, chaque année, les KDF engagent un combat contre des calamités qui sont également meurtrières, les catastrophes naturelles. Ces catastrophes ne retiennent pas autant l’attention internationale, mais elles témoignent du rôle que jouent les KDF dans la société kenyane.

L’Unité de réponse aux catastrophes (DRU) du Kenya a été créée en 2006 peu après l’effondrement d’un immeuble de cinq étages dans le centre-ville de Nairobi. « Il y a eu des attentes croissantes de la part du public quant au rôle de l’armée dans la réponse aux catastrophes, a déclaré le lieutenant-colonel Joseph Maritim, commandant la DRU. Après cet incident, le public s’est posé des questions sur les raisons pour lesquelles nous faisons appel à la communauté internationale pour nous porter assistance alors que nous disposons de notre armée. Pourquoi ne nous formerions-nous pas afin de pouvoir être indépendants ? »

Des plans relatifs à une unité de réponse rapide sont en place depuis 1998 après l’attentat terroriste d’Al-Qaida contre l’ambassade des États-Unis à Nairobi. Cet incident a abouti à la création du Centre national d’opérations en cas de catastrophe (NDOC), qui est responsable de la coordination des opérations de secours et de sauvetage dans tout le pays. Huit années plus tard, la DRU a été constituée en tant qu’unité des KDF, avec pour mission d’« intervenir en cas de catastrophe afin de sauver des vies et d’atténuer au maximum les dommages aux biens lorsqu’on fait appel à elle ».

Des membres de la Croix Rouge kenyane récupèrent les corps de personnes tuées pendant les crues éclair dans une gorge du parc national Hell’s Gate à Naivasha en avril 2012.  [REUTERS]
Des membres de la Croix Rouge kenyane récupèrent les corps de personnes tuées pendant les crues éclair dans une gorge du parc national Hell’s Gate à Naivasha en avril 2012. [REUTERS]
Le NDOC est une institution gouvernementale, mais il a une dimension résolument militaire. Son directeur, le colonel Nathan Kigotho, est un officier à la retraite, avec à son acquis plus de 30 ans d’expérience militaire. « Traditionnellement, le centre a été dirigé par un officier de l’armée parce que le gouvernement s’est rendu compte qu’une personne ayant une formation militaire convient le mieux à la tâche de coordination de telles opérations », a-t-il indiqué.

Avant sa création, selon le commandant K.K. Yaa de la DRU, la réponse en situation de crise manquait souvent de coordination. « Par leur nature même, de tels événements sont chaotiques, a-t-il ajouté. Les bénévoles non qualifiés désirent sauver des vies. [Or,] ils finissent pas se mettre eux-mêmes en situation de danger, en plus de risquer de blesser ceux qui sont prisonniers des décombres, parce que les modalités de leur opération de recherche et de sauvetage ne sont pas mises en œuvre méthodiquement. Nous mettons de l’ordre dans ces initiatives d’intervention. »

Pour illustrer ce propos, K.K. Yaa s’est remémoré une opération de sauvetage conduite en 2012 par son unité, suite à l’effondrement d’un bâtiment à Mlolongo, une banlieue de Nairobi. Quand bien même cet immeuble de trois étages était en construction, certains Kenyans entreprenants avaient ouvert un restaurant au rez-de-chaussée. Les clients ont été enterrés vivants lorsque le bâtiment s’est effondré à six heures de l’après-midi un samedi de juin.

Pour réduire au maximum les risques encourus par les sauveteurs et coordonner efficacement la tâche des diverses agences participant à l’opération, la DRU a commencé par envoyer son équipe chargée d’effectuer l’évaluation initiale. « Ils ont remarqué qu’il y avait de l’eau dans le sous-sol et que certaines des pièces avaient des locataires car il y avait encore de l’électricité, a expliqué K.K Yaa. Ceci pouvait constituer un risque pour les sauveteurs, par exemple ceux de la Croix Rouge et de la police à mesure qu’ils arrivaient sur les lieux. Il nous a fallu faire appel à notre brigade du génie pour apporter l’équipement lourd nécessaire pour progresser dans les décombres et dégager les voies d’accès au sous-sol. »
Nathan Kigotho a fait valoir que l’autre avantage de l’armée est son effectif et sa capacité de déploiement rapide. « L’armée dispose par rapport aux civils d’un gros avantage, parce qu’elle est en mesure de mobiliser un important groupe de soldats très rapidement, et les militaires sont capables de venir sur place et de se mettre au travail de manière organisée et ordonnée, alors que les civils que l’on fait venir se pressent sur les lieux et font les choses de manière très désordonnée. »

Pendant l’effondrement du bâtiment en 2006, les passants ont essayé d’enlever les décombres à la main, en envoyant souvent des débris sur la tête des survivants enterrés dessous. Ceci ne devrait pas se produire à l’avenir, de l’avis des militaires, grâce à l’équipement ultramoderne que la DRU a reçu de l’armée allemande dans le cadre de la formation aux opérations de recherche et de sauvetage en milieu urbain. Ce nouvel équipement comporte des foreuses hydrauliques, des marteaux pneumatiques et des sacs gonflables, des supports, des cisailles à métaux et des coupe-béton, des pompes, des lampes et des caméras, ainsi que des générateurs d’alimentation de ces équipements et trois camions pour leur transport.

Les KDF utilisent également leurs capacités de transport aérien dans la réponse aux catastrophes, ce qui s’est avéré une aide très précieuse dans un pays aussi vaste que le Kenya. Ces capacités de transport aérien sont particulièrement nécessaires dans les provinces reculées et arides du nord et du nord-est du pays, où les villages sont rarement reliés entre eux par autre chose qu’une piste poussiéreuse. Il n’existe pas de couverture téléphonique mobile à part dans quelques centres urbains de ces régions, et l’électricité y est un luxe. La sécheresse est une menace permanente, et si les pluies sont trop tardives, ou inexistantes, il ne reste alors pas grand chose pour assurer la subsistance des populations. 800.000 personnes nécessitent des vivres dans ces zones arides, selon le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (BCAH).

Cette région est également très durement affectée par de graves crues. Les pluies bi-annuelles apportent de la vie et un certain répit à ces paysages écrasés par une chaleur étouffante, mais si les pluies sont trop abondantes, les terres brûlées et les oueds étroits du désert (lits de rivière desséchés) ne peuvent pas absorber cet apport hydrique excédentaire. Les rivières débordent alors sur les rives, et des vagues de boues brunâtres sont précipitées sur les plaines sans relief, chassant les habitants de leurs logis. Selon le BCAH, chaque année, environ 60.000 personnes sont déplacées en raison des crues dans tout le pays.

C’est l’une de ces catastrophes qui a frappé en avril 2013. Des pluies diluviennes sont tombées près de la ville provinciale de Garissa et ont fait déborder le Tana, le plus important fleuve du Kenya, affectant plus de 1.000 personnes. « Les communautés locales qui se livrent à l’agriculture dans les plaines inondables en amont du fleuve ont été les plus durement touchées, a indiqué Abdikadir Bare Musa, qui enseigne au collège local. Parfois on avertit les habitants qu’ils doivent quitter les lieux, mais ils n’ont nulle part où aller. Il y a eu de terribles pertes de biens, des familles ont été séparées, la situation était très traumatisante et confuse. »

À cause du déversement des eaux torrentielles, de nombreuses personnes ont été coupées de l’aide extérieure. Certaines ont cherché refuge sur les hauteurs, et d’autres ont grimpé sur les grands acacias et baobabs. À bords des embarcations à flotteurs de la marine kenyane et des hélicoptères de l’armée de l’air du Kenya, des soldats se sont précipités à leur secours, embarquant des dizaines de personnes juchées sur la cime des arbres. « Il y a avait des hélicoptères militaires survolant le fleuve en amont et en aval, à la recherche des habitants juchés sur les arbres, organisant leur sauvetage, a ajouté Abdikadir Bare Musa. Ici, les gens n’ont pas d’embarcations, aussi doivent-ils grimper sur les arbres en emportant quelques possessions. »

C’est la même longue saison humide qui a affecté les villes de tout le nord du pays, notamment à Isiolo et à Merti. La plupart des personnes résidant dans ces régions vivent avec moins de 1 dollar par jour, et ne disposent pas de systèmes de sécurité en place — et les vivres et l’aide devaient leur être distribués dans les plus brefs délais. Suite à un ordre spécial d’Uhuru Kenyatta, le président alors nouvellement élu, les KDF ont acheminé les fournitures. Elles ont livré du maïs et des haricots, des couvertures, des toiles de tente et du savon à 2.000 victimes des pluies diluviennes.

Ces opérations ne sont pas exemptes de difficultés internes. L’armée collabore avec plusieurs ministères gouvernementaux tels que ceux qui sont chargés des routes, de la santé, de l’agriculture et de l’environnement. La police et le corps des sapeurs-pompiers jouent des rôles importants, de même que diverses organisations non gouvernementales et internationales, au premier chef la Croix Rouge kenyane. L’atout majeur du NDOC est ses relations de travail étroites avec l’armée, mais Nathan Kigotho insiste sur le fait que les partenaires civils devraient eux aussi se sentir inclus dans la planification.

La DRU est à mi-chemin d’un plan de renforcement des capacités de six ans élaboré sous l’égide de la
« Combined Joined Task Force-Horn of Africa » (CJTF-HOA) la force opérationnelle interarmées combinée pour la Corne de l’Afrique, de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique. Bien que la CJTF-HOA assure une formation interarmées pour la région, l’un des objectifs principaux de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique est d’améliorer la coopération civilo-militaire. Elle vise à faire venir des partenaires pour leur assurer une formation permettant une mise en œuvre harmonieuse et efficace du système de commandement des interventions, que le Kenya s’efforce de mettre en place dans l’ensemble des agences à titre d’instrument normalisé pour les interventions en situation d’urgence.

Dans leur base d’Embakasi au sud de Nairobi, les KDF sont en train d’ajouter à l’Unité de réponse aux catastrophes, une nouvelle capacité, « Combat and Weapons of Mass Destruction and Hazardous Materials Mitigation » (atténuation des combats, des armes de destruction massive et des matériaux dangereux). Les KDF projettent par ailleurs d’unifier les procédures opérationnelles normalisées, les protocoles d’accord, ainsi que les conventions d’aide mutuelle entre l’armée et le NDOC.

Toutefois, l’armée ne souhaite pas devenir le premier intervenant pour toutes les catastrophes. Selon Joseph Maritim, l’assistance de l’armée ne devrait être sollicitée que dans des situations extrêmement précaires. « Notre rôle, en particulier, est de porter assistance aux autorités civiles lorsque leurs ressources ne leur permettent plus de faire face à la situation, a-t-il expliqué. Le NDOC a des discussions directes avec le DOD [Département de la Défense] au sujet des demandes. Après qu’il a été établi que toutes les ressources civiles disponibles ont été mises à contribution, […] nous sommes alors le dernier recours. »

Dans les dernières années, la réalité a été différente. L’armée a été régulièrement sollicitée pour porter assistance à l’occasion d’accidents de la circulation, d’accidents de terrain, du transport de biens ou même de forages. Un consensus semble se dégager sur le fait qu’à court terme, les KDF continueront de jouer un rôle central dans les interventions d’urgence en cas de catastrophe naturelle, jusqu’à ce que les autorités civiles renforcent leurs capacités.

« Nous sommes dans l’obligation de porter assistance, a reconnu Joseph Maritim. L’objectif des KDF est d’être au servir de l’intérêt du public, et nous avons une mission : la première est celle de la sécurité nationale, et la seconde est celle de la réponse aux catastrophes et aux situations d’urgence. En outre, lorsque surviennent des catastrophes, si elles affectent un secteur de la société, les répercussions en cascade affecteront également les militaires, soit en termes de stabilité des opérations, soit en termes de sécurité. J’estime que l’armée doit intervenir lorsque cela est nécessaire, parce que nous faisons partie intégrante de notre société. »

Le sergent-chef Roy G. Cheever III, qui est chargé au sein de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique d’organiser la formation de la DRU, a la conviction que le Kenya va dans la bonne direction. « Le Kenya sera un brillant exemple à suivre pour tous en matière de services en situation d’urgence, a-t-il affirmé. Je prévois, dans les 20 ou 25 prochaines années, que le Kenya obtiendra essentiellement les mêmes résultats dans les interventions en situation d’urgence que tout autre pays auquel vous pouvez penser en Europe ou dans les Amériques. »

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