La police et les soldats de l’ONU peuvent améliorer le maintien de la paix avec des outils standards
PERSONNEL D’ADF
Alors que la chaleur de l’été consumait la République centrafricaine (RCA), les tensions entre les forces ex-seleka et anti-balaka dégénéraient près de la ville de Kaga-Bandoro en août 2016. Les affrontements ont continué en septembre, avec quatre morts et plus de 3.000 personnes déplacées dans le village voisin de Ndomété. En octobre, la région est devenue une poudrière.
Les gardiens de la paix ont démantelé des postes de contrôle illégaux autour de Kaga-Bandoro, ce qui a suscité la colère des forces ex-seleka qui les avaient utilisés comme sources de revenus. La sécurité a commencé à se détériorer et le personnel des ONG (organisations non gouvernementales) est devenu la cible d’actes de violence. Le 11 octobre, environ 2.000 musulmans ont manifesté pacifiquement en dénonçant le mauvais traitement infligé par les forces armées de la RCA.
Le lendemain, le corps d’un homme musulman a été découvert dans la communauté voisine des Travaux Publics. Des hommes armés bloquèrent l’accès aux gardiens de la paix des Nations unies et transportèrent le corps de l’homme vers un pont de Kaga-Bandoro. « Par la suite, de jeunes musulmans et des ex-seleka armés sortirent de divers quartiers et se dirigèrent vers le camp des IDP (déplacés internes) de l’Évêché et vers le bureau du préfet, où ils affrontèrent les anti-balaka et les forces de la MINUSCA », selon un rapport de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA).
Ces affrontements violents ont conduit à la mort de 37 civils, à de nombreux blessés et à l’incendie des maisons, des biens des ONG et des églises. La violence a aussi forcé les IDP à se rendre à la base de la MINUSCA pour demander protection. Les gardiens de la paix, et notamment les forces de police de l’ONU, ont utilisé une technologie standard simple pour les aider à contrôler la crise en cours.
Ces forces ont déployé un petit UAV (véhicule aérien sans humain à bord) quadrirotor de 2.000 dollars pour obtenir une vue étendue de la zone. Le quadrirotor est monté à environ 70 mètres et a donné aux autorités une vue qui s’étendait sur 2 kilomètres dans toutes les directions. Les gardiens de la paix ont évalué la foule, ils ont vu combien de gens cherchaient un refuge, d’où ils venaient et combien de maisons étaient incendiées. Cette sensibilisation situationnelle leur a permis de prévoir où positionner les forces policières et militaires. « Nous avons pu envoyer sur les lieux notre FPU (unité de police constituée) basée dans cette zone en vue de protéger les personnes et d’agir pour disperser ou détourner ceux qui poursuivaient en fait les IDP », déclare Widmark J. Valme, ancien chef de la section de la technologie géospatiale, des informations et des télécommunications de la MINUSCA.
Lors d’un incident, la police a appris qu’un groupe armé se trouvait dans une maison près du camp de la mission. « Nous avons envoyé le quadrirotor pour jeter un coup d’œil », déclare M. Valme. « Alors que nous observions du haut, nos FPU sont arrivées et ont encerclé le lieu, et il y avait en fait des gens armés et mal intentionnés. Ils ont été très surpris que nous soyons venus en si grand nombre et nous avons pu les appréhender, ce qui a réduit la probabilité d’aggravation de la situation existante. »
UN LEADER DE LA TECHNOLOGIE DU MAINTIEN DE LA PAIX
L’histoire de Kaga-Bandoro est l’un des nombreux exemples d’utilisation efficace de la technologie en Afrique au cours des dernières années. Mais les missions de maintien de la paix de l’ONU n’ont pas toujours employé la technologie. Le Dr Walter Dorn, professeur des études de défense au Collège des Forces canadiennes, est affecté temporairement à l’ONU pour travailler sur la technologie du maintien de la paix. Son livre de 2011 intitulé Keeping Watch: Monitoring, Technology & Innovation in UN Peace Operations [Être aux aguets : la surveillance, la technologie et l’innovation dans les opérations de paix de l’ONU] explique clairement que l’emploi de la technologie – même des appareils peu onéreux et facilement disponibles – est une approche assez récente pour l’ONU.
Depuis le début du 21ème siècle, la plupart des gardiens de la paix en uniforme, soit environ 70 % d’entre eux, sont originaires du monde en développement et ont souvent peu de technologie à contribuer aux missions. L’ONU manque souvent de fonds et de ressources, notamment pour les missions multidimensionnelles qui sont fréquentes en Afrique. Mais depuis la publication de Keeping Watch, l’ONU a mis en priorité la technologie et l’innovation. « Il y a des améliorations structurelles et des améliorations culturelles, et il y a aussi des améliorations vraiment pratiques, pragmatiques, dans lesquelles l’ONU emploie désormais la technologie sur le terrain à un niveau jamais atteint auparavant », déclare le Dr Dorn, qui a parlé à ADF dans son rôle de professeur, et non pas au nom de l’ONU.
« La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique est un leader de l’emploi de la technologie pour le maintien de la paix », déclare le Dr Dorn. « En Centrafrique et au Mali, notre mission consiste à employer la technologie d’avant-garde sur le terrain. Nous avons de ce fait constaté le déploiement de nouvelles technologies dans la RCA et au Mali, y compris les aérostats et les UAV. Au Congo, l’ONU a reçu son premier UAV de mission, qui a été déployé en 2013. Et aujourd’hui, l’ONU a plus de 50 UAV au Mali. »
Les aérostats sont des ballons captifs équipés de caméras. Ils sont utilisés dans la RCA et au Mali. La MINUSCA a utilisé un UAV quadrirotor mini appelé HoverMast. Il est attaché à un camion et peut être déployé à une hauteur maximale de 50 mètres, puis il peut être orienté lentement pour donner au personnel une vue d’ensemble d’une zone opérationnelle.
La technologie des aérostats et des HoverMast a été cruciale pour assurer un environnement sécuritaire lorsque le pape François avait visité la RCA en 2015.
Un incident survenu le 8 juin 2017 dans la ville de Kidal au Nord du Mali a souligné l’importance de la technologie dans les missions de maintien de la paix, lorsque des insurgés lancèrent une attaque nocturne au mortier et au lance-roquettes sur le camp de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Un système d’alerte par radar au sol détecta les tirs de lance-roquettes et de mortier, ce qui donna au personnel l’opportunité de se précipiter dans les bunkers.
La filiale malienne d’al-Qaïda a revendiqué la responsabilité de cette attaque, laquelle a tué trois gardiens de la paix guinéens et en a blessé huit, selon Voice of America. Mais sans le système d’alerte, le résultat aurait pu être catastrophique. « Ce barrage au mortier aurait causé un grand nombre de morts », déclare le Dr Dorn.
LA POLICE DE L’ONU EST BÉNÉFICIAIRE DE LA TECHNOLOGIE
Les officiers de l’UNPOL (police des Nations unies) protègent en général le personnel et les installations de l’ONU, et assurent parfois le maintien de l’ordre public en renforçant et en rétablissant la mise en application des lois nationales. Les officiers de l’UNPOL conseillent, forment et soutiennent aussi les forces de police locales. Les officiers de l’UNPOL sont en général déployés à titre individuel ou sous forme de FPU, qui sont des forces cohésives de 140 personnes.
Selon M. Valme, l’UNPOL pourrait bénéficier d’un certain nombre d’appareils techniques peu onéreux. Par exemple, les caméras mobiles fixées sur les casques ou les uniformes pourraient aider les officiers à scanner leur environnement et seraient utiles pendant la formation. Il en est de même des caméras montées sur tableau de bord pour les véhicules de police.
Les jumelles de vision nocturne sont utiles, et la fourniture de tablettes aux officiers leur permet de saisir immédiatement les données de site. Les informations pourraient être transmises à une base de données centrale pour qu’elles soient analysées au quartier général. Des radios UHF multifonctions seraient aussi idéales.
Le Dr Dorn déclare que l’emploi de la technologie portative augmente, mais qu’il pourrait être meilleur. « En ce qui concerne les caméras mobiles, l’ONU commence à peine à penser à leur emploi », déclare-t-il. Le pistage au GPS est très utilisé aujourd’hui et peut être utile dans les zones désertiques où les routes et les points de repère sont absents. L’ONU étudie aussi certaines armes non létales telles que les pistolets Taser, qui seraient plus probablement utilisées par les officiers de l’UNPOL.
Les systèmes LPR (reconnaissance de plaque d’immatriculation) peuvent être situés dans des endroits fixes ou montés sur les véhicules de police. Les systèmes fixes peuvent détecter et signaler individuellement les véhicules qui traversent des zones spécifiques, telles que des aires sécurisées. Les données peuvent être sauvegardées et sont utiles pour détecter les véhicules volés. Dans Keeping Watch, le Dr Dorn écrit que les officiers de l’UNPOL pourraient tirer profit des LPR parce que « les véhicules qui s’approchent des points de contrôle ou des points sensibles connus seraient sujets à l’enregistrement de leur plaque d’immatriculation et à une recherche pour révéler toute action judiciaire contre le propriétaire du véhicule, ou simplement pour identifier les véhicules qui fréquentent des zones sensibles particulières à des fins de collecte de renseignements ».
Le système pourrait aussi aider la police à lutter contre le terrorisme. « Dans les zones urbaines, si vous savez que certains véhicules sont utilisés par les terroristes, vous pouvez définitivement repérer leur position grâce à leur plaque d’immatriculation de ville et vous pouvez agir, ce qui pourrait être très utile », déclare le Dr Dorn à ADF.
RESTONS SIMPLES
L’opération conjointe de l’Union africaine et des Nations unies au Darfour (MINUAD) est l’une des plus grandes missions de maintien de la paix au monde. Elle se distingue aussi parce qu’elle est située au Soudan, pays qui n’a pas toujours soutenu son mandat. Étant donné le vaste territoire de la mission avec plus de 50 sites de déploiement, le manque de surveillance est un problème. Pourtant, le gouvernement soudanais interdit les UAV.
Ce sont tout de même des appareils simples et économiques qui pourraient être utiles pour la mission. Le Dr Dorn déclare qu’il recommande l’emploi de lampes de nuit actionnées par mouvement, dont certaines sont alimentées par l’énergie solaire. Elles coûtent moins de 20 dollars et pourraient être achetées en gros et placées à l’extérieur des tentes et des logements des réfugiés pour leur donner un sentiment de sécurité.
Les téléphones portables et intelligents pourraient fournir un éventail de fonctionnalités aux soldats et aux policiers du maintien de la paix. Les e-mails, l’Internet, les caméras, les magnétophones, le GPS et les diverses applications de réseaux sociaux fournissent une fonctionnalité de supervision et de communication. « Les téléphones intelligents peuvent transmettre instantanément les images, les enregistrements sonores ou la messagerie vidéo à des serveurs sécurisés et ces informations peuvent être horodatées et “estampillées” avec les coordonnées GPS », écrit le Dr Dorn dans Keeping Watch. « Cela peut être utilisé pour connaître le lieu des violations des droits humains et permettre aux informations d’être placées dans une base de données à référence spatiale. »
La disponibilité de la technologie multifonctions a augmenté énormément au cours des dernières années et les missions de maintien de la paix se préparent à en bénéficier. M. Valme déclare que les responsables envisagent que la technologie de consommation fera la différence sur le terrain. « Je pense qu’on peut affirmer qu’il s’agit du nouveau domaine d’innovation. »
Le maintien de la paix et la technologie
Point de vue du commandant adjoint des forces de la MINUSCA
PERSONNEL D’ADF
Au cours de ses 16 années passées dans les missions de maintien de la paix dans l’ensemble de l’Afrique, le major-général Sidiki Daniel Traoré a vu beaucoup de changements.
Le général Traoré, commandant adjoint des forces de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), déclare que les gardiens de la paix ne s’interposent plus entre deux groupes de belligérants clairement définis. Maintenant, les gardiens de la paix font plutôt face à des combattants qui se cachent parmi les civils et utilisent des tactiques asymétriques telles que les attentats suicides.
Pour s’adapter à ces défis, la formation et la technologie sont nécessaires.
« Les nouveaux défis concernant le maintien de la paix justifient l’emploi de nouvelles méthodes », déclare-t-il à ADF lors d’une interview par e-mail.
La MINUSCA est à l’avant-garde de la technologie du maintien de la paix en Afrique. La mission emploie sept quadrirotors, un UAV (véhicule aérien sans humain à bord) et la technologie de vigilance et de surveillance telle que les ballons aérostats, un quadrirotor attaché à un HoverMast et d’autres appareils. Cela permet à la MINUSCA d’évaluer l’environnement, d’identifier les lieux qui seront plus probablement visés par les attaques et d’y placer ses ressources.
« En fin de compte, cela aide à mieux protéger la population civile et à sauver les vies, à améliorer la sécurité des gardiens de la paix de l’ONU et de leurs camps, mais aussi à améliorer l’environnement des agences humanitaires, qui peuvent travailler en toute sécurité [et] parfaire leur sensibilisation situationnelle », déclare le général Traoré, originaire du Burkina Faso.
Les quadrirotors ont des antécédents de succès avec la MINUSCA. La mission les utilise pour identifier les menaces et les carences de sécurité dans les zones voisines de la MINUSCA et dans les camps pour déplacés internes. Deux quadrirotors aident les convois à déterminer les risques d’embuscades, les obstacles routiers et les dommages de l’infrastructure clé.
Une unité UAV française a aidé les forces de la MINUSCA à identifier les ponts endommagés et les lieux d’embuscade potentiels dans des zones clés, déclare le général Traoré. « Elle a aussi aidé à identifier les activités des groupes armés dans les sites miniers et à fournir une alerte précoce des activités malveillantes avant les visites des hauts responsables », déclare-t-il. « Lors d’une reconnaissance de zone, l’UAV a identifié une activité suspecte de la part d’éléments armés. Une patrouille effectuée par la suite dans ce site a découvert une pharmacie avec des liens à un groupe armé particulier, bien connu pour son utilisation de stupéfiants et de médicaments psychotropes. »
À Bangui, capitale de la République centrafricaine (RCA), les responsables ont utilisé un ballon aérostat, un quadrirotor attaché à un HoverMast et un système d’observation électronique fixe à moyenne portée pour identifier et disperser une manifestation de jeunes en octobre 2016 avant qu’elle ne devienne violente, déclare le général Traoré. Un mois auparavant, le système d’observation fixe avait aidé à secourir un membre du personnel de l’ONU qui risquait d’être attaqué par une foule hostile après un accident de circulation. Les autorités ont employé toutes ces technologies pour assurer la sécurité de la visite de deux jours du pape François en Centrafrique en novembre 2015.
L’établissement de normes technologiques pour des missions de maintien de la paix différentes de l’ONU est un défi parce que chaque mission est active dans un environnement différent, selon le général Traoré. « Toutefois, l’intégration des petits systèmes d’UAV dans les unités militaires offrirait des améliorations importantes », a-t-il déclaré à ADF. Pour chaque gardien de la paix, l’équipement permettant la vision nocturne est essentiel, ainsi que « tout outil qui pourrait améliorer la capacité de surveillance de jour et de nuit des soldats » .
La technologie, déclare-t-il, n’est pas un luxe ; c’est une nécessité. « On ne peut plus se passer de la technologie dans les missions de maintien de la paix d’aujourd’hui parce que ces outils ont prouvé leur importance partout où ils ont été utilisés. Ils ont notamment donné l’avantage à nos forces face aux groupes armés (ou aux organisations terroristes) et ils ont finalement aidé à mieux protéger les populations civiles, les gardiens de la paix eux-mêmes et l’ensemble du personnel de l’ONU. »