Les pirates attaquent les navires en Somalie et dans le Golfe de Guinée, et les nations côtières devront coopérer pour les arrêter.
PERSONNEL D’ADF
En février 2016, 14 pirates nigérians et ghanéens ont détourné le Maximus, navire pétrolier sous pavillon panaméen, à environ 100 kilomètres du littoral de la Côte d’Ivoire. Dix-huit membres d’équipage provenant de six pays étaient à bord. Les pirates projetaient de vendre les 4.700 tonnes de carburant diesel du navire sur le marché noir. Les pirates changèrent même le nom du navire et l’appelèrent Elvis 3 pour éviter d’être traqués.
Les marines de plusieurs pays de la région, y compris la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, ont traqué le Maximus pendant une semaine et, lors d’une attaque nocturne audacieuse, des marins nigérians ont abordé le navire. Un pirate fut tué, six furent capturés et les autres s’échappèrent en emmenant deux membres d’équipage avec eux. Ces deux membres d’équipage furent secourus ultérieurement.
Les autorités déclarent qu’il s’agit du meilleur exemple du pouvoir potentiel de la structure maritime inter-régionale coopérative de sécurité créée en juin 2013. Autrement dit, les marines nationales de la région ont mis en commun leur expertise, leurs renseignements et leurs navires pour secourir le navire et son équipage.
L’ONG (organisation non gouvernementale) américaine Oceans Beyond Piracy indique qu’il y a eu 95 attaques de piraterie dans le Golfe de Guinée en 2016, comparé à 54 l’année précédente. Les pirates recherchent les cargaisons et kidnappent pour rançonner. En 2016, 96 membres d’équipage ont été pris en otage, comparé à 44 en 2015.
DefenceWeb note que l’Afrique de l’Ouest a un littoral relativement peu profond, ce qui facilite l’extraction du pétrole et du gaz, mais aussi le ciblage des pétroliers par les pirates. Les réserves de pétrole et de gaz au large des côtes d’Afrique de l’Est sont plus profondes et plus éloignées en mer, ce qui rend les pétroliers qui y naviguent moins accessibles aux pirates. Malgré cela, la piraterie augmente dans la corne de l’Afrique.
Au cours des trois premiers mois de 2017, des pirates armés ont détourné deux navires au large des côtes de la Somalie, où aucun navire n’avait été détourné depuis 2012. À leur apogée en 2011, les pirates somaliens avaient attaqué plus de 200 navires et capturé des centaines d’otages. Les attaques se sont arrêtées lorsque les armateurs ont commencé à placer des gardes armés sur les navires et ont évité la côte somalienne. Le retour des pirates en Somalie en 2017 a été partiellement causé par la forte sécheresse dans ce pays. « La recrudescence qui se produit au moment du ralentissement économique dû à la sécheresse n’est pas une coïncidence », déclare à ADF Raymond Gilpin, responsable d’études au Centre africain pour les études stratégiques, « Les investissements socio-économiques et en gouvernance sont à la fois urgents et vitaux. »
Alors que les pirates continuent à agir dans le Golfe de Guinée et au large des côtes de Somalie, la coopération entre les marines africaines est plus cruciale que jamais. Le Dr Andre Wessels, chef du département d’histoire à l’université de l’État-Libre en Afrique du Sud, déclare que la piraterie est seulement l’un des défis auxquels font face les marines d’Afrique.
« La piraterie est devenue un problème dans plusieurs régions, déclare-t-il. Le trafic de stupéfiants et d’autres formes de criminalité se sont propagés sur les océans et, dans plusieurs endroits, les réfugiés utilisent des embarcations pour fuir les zones de conflit et chercher une meilleure vie dans un autre pays. »
Il existe d’autres raisons pour améliorer les marines d’Afrique. La pêche illégale est toujours un problème majeur. Et Hein van den Ende, de la société de défense Saab, déclare que les nouvelles découvertes de pétrole et de gaz au large des côtes accroissent la nécessité d’une meilleure sécurité maritime, alors que la baisse des prix du pétrole signifie que la protection des livraisons est plus importante que jamais parce que « la marge de perte a diminué ».
Le Dr Wessels déclare que les marines des pays africains nécessitent un type particulier de navire. Dans une étude intitulée « Building Right-sized Navy Capacity » [Construire une capacité navale de taille appropriée], le Dr Wessels décrit la direction que l’Afrique devrait suivre pour améliorer sa capacité navale.
« Bien que les croiseurs, les destroyers, les frégates et les navires de soutien (et même les sous-marins) puissent être utilisés pour les patrouilles anti-piraterie afin d’intercepter les contrebandiers et les immigrants illégaux, et de porter assistance aux réfugiés en mer, l’exploitation de ces navires sophistiqués est très coûteuse, écrit-il. Des navires plus petits et moins sophistiqués peuvent en fait être déployés avec le même succès. En conséquence, l’accent a été mis sur la conception et la construction d’un grand nombre de nouveaux types de patrouilleurs dans le monde entier, et de nombreuses marines nationales accroissent le nombre de leurs vaisseaux patrouilleurs du large ou, pour la première fois, obtiennent ce type de vaisseau. »
DES FLOTTES HISTORIQUEMENT RÉDUITES
En 1998, le colonel Louis du Plessis, qui était à l’époque directeur du Centre pour les études militaires à l’université de Stellenbosch en Afrique du Sud, a déclaré qu’il y avait des raisons légitimes et explicables pour la taille réduite des marines africaines.
« Le maintien d’une marine, du fait de sa nature, est une entreprise exigeant un niveau élevé de capital et de technologie, a-t-il déclaré à DefenceWeb. Les troubles sociaux intenses des sociétés africaines, qui menacent la sécurité des états, ont des causes économiques. Les armées de terre et de l’air sont nécessaires pour le maintien de l’ordre dans le pays, tandis que la non-pertinence de la marine dans ce contexte en fait une priorité nationale qui semble un peu moins urgente aux yeux de beaucoup de décideurs politiques. »
Le Dr Wessels remarque que, lorsque la plupart des pays africains gagnèrent leur indépendance dans les années 1960, ils investirent dans leurs forces terrestres. À cause de ses liens étroits avec l’ex-Union soviétique, l’Égypte développa une force navale substantielle dans les années 60 et 70, et elle obtint plus tard des navires des États-Unis. L’Union soviétique fournit des navires et des sous-marins, en général d’occasion, à l’Algérie, à l’Éthiopie et à la Libye. La plupart de ces vaisseaux étaient des patrouilleurs.
Les patrouilleurs ont une longueur d’au moins 9,8 mètres et sont classés généralement comme vaisseaux d’attaque rapide : ce sont des navires de guerre petits, agiles et armés de missiles, de canons ou de torpilles. Ils sont en général utilisés près de la côte car ils n’ont pas de fonctionnalité en haute mer. Les patrouilleurs conçus pour naviguer dans les eaux océaniques s’appellent des patrouilleurs du large. Vers le milieu des années 1990, les marines africaines avaient environ 200 patrouilleurs, dont aucun ne possédait de fonctionnalité en haute mer.
L’accroissement de la piraterie a servi de coup de semonce pour les forces armées africaines, en particulier celles du Nigeria. Depuis 2004 environ, déclare le Dr Wessels, le Nigeria a acquis 15 petits navires d’intervention « Defender », 20 petits patrouilleurs, deux grosses (mais vieilles) vedettes et au moins 14 autres patrouilleurs, dont deux construits au Nigeria. Le Kenya et le Mozambique ont aussi développé considérablement leur marine au 21ème siècle.
Pendant des décennies, remarque le Dr Wessels, la marine d’Afrique du Sud était sous-financée comparé aux autres services des forces armées. À la suite d’un accord d’armement en 1998, la marine a acquis trois nouveaux sous-marins et quatre nouvelles frégates, le tout auprès de l’Allemagne. Les frégates ont restauré la fonctionnalité en eau océanique de la marine, mais il est devenu clair que les patrouilleurs vieillissants du pays devaient être remplacés.
L’Afrique du Sud essaie de devenir un centre d’entretien et de réparation des navires pour promouvoir son industrie portuaire. Elle a investi fortement dans ses ports, ce qui exige une bonne sécurité portuaire et une capacité de traquer les mouvements des navires le long des côtes.
AMÉLIORATION DE LA SÉCURITÉ MARITIME
M. Gilpin est l’auteur d’une étude de 2016 intitulée « Examining Maritime Insecurity in Eastern Africa » [Examen de l’insécurité maritime en Afrique orientale]. Dans cette étude, il fournit des recommandations pour améliorer les marines de la région, et il a déclaré à ADF que ces suggestions étaient aussi applicables à d’autres régions du continent. Elles incluent :
Renforcer la capacité régionale pour prévenir et dissuader le crime maritime : « La capacité de la marine et de la garde-côtes devrait être renforcée en se concentrant sur la formation, la doctrine, l’équipement et les ressources humaines, écrit M. Gilpin. Les approches actuelles se focalisent sur le modèle “former et équiper” qui est souvent à courte vue et à court-terme. Les gouvernements nationaux et leurs partenaires internationaux devraient s’engager dans une longue transformation de la capacité navale qui assurerait l’efficacité, l’efficience, la polyvalence, la responsabilité et la durabilité à tous les niveaux. » Il ajoute aussi que la stratégie « accélérerait le partage des informations, des doctrines et des ressources ».
Soutenir les organisations et les initiatives régionales : L’Union africaine et les organisations régionales du continent, telles que l’Autorité inter-gouvernementale sur le développement en Afrique orientale, ont pris des « mesures audacieuses » pour guider la réforme maritime en Afrique orientale, écrit M. Gilpin. « Il est important de comprendre la différence entre le crime maritime et la piraterie, déclare M. Gilpin. Ils nécessitent des solutions différentes. Le crime maritime exige de faire beaucoup plus attention au maintien de l’ordre sur la terre et en mer, et pas seulement à la sécurité navale. »
Les pays africains devraient assurer la compatibilité et la mise en application de leurs codes et leurs règlements : Les pays d’Afrique orientale sont signataires de la plupart des codes et des conventions maritimes pertinents, mais ils nécessitent la volonté politique de les adopter. « L’harmonisation est une première étape utile qui assurera que toutes les parties sont sur la même longueur d’onde », écrit M. Gilpin.
Le soutien international doit être suffisant, coordonné et limité dans le temps : Le soutien international pour la sécurité maritime en Afrique orientale inclut une aide pour développer les capacités, des programmes de développement économique, une assistance pour la sécurité et des déploiements navals. Mais certains partenaires internationaux pourraient avoir des objectifs contradictoires. La coordination du soutien international aiderait à réduire au minimum les écarts et à assurer que les fonctions essentielles soient maintenues pendant la période nécessaire. M. Gilpin recommande l’établissement d’une cellule de coordination et de communication, de préférence au sein d’un organisme régional. Il ajoute que « les partenaires externes devraient envisager de formuler une stratégie de sortie, pour ne pas être soupçonnés de vouloir s’installer en permanence ».
Par nécessité, l’Afrique partage déjà ses ressources navales, comme le prouvent les patrouilles du Golfe de Guinée. Dans l’ensemble de 2016, Oceans Beyond Piracy signale qu’au moins 60 navires de la marine nigériane ont été déployés dans le golfe, et ont été rejoints par des navires du Bénin, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo. À tout moment, déclare l’ONG, il y avait six navires régionaux en service. Bien que le coût réel des opérations anti-piraterie ne puisse pas être connu, l’ONG déclare que le coût des opérations était au minimum d’environ 20 millions de dollars par an.
Mais l’argent et les navires n’ouvriront pas à eux seuls la porte de la coopération régionale. Les nations côtières de l’Afrique nécessiteront aussi la mise en place de lois et d’accords maritimes appropriés pour un vrai travail d’équipe.
Le contre-amiral Henry Babalola du Nigeria a dirigé le sauvetage du Maximus en 2016. À l’époque, il avait déclaré à l’Associated Press que l’opération avait été rendue possible grâce à un accord maritime permettant au Nigeria de patrouiller les eaux de Sao Tomé-et-Principe. Lorsque ses marins avaient intercepté les pirates, a-t-il déclaré, ceux-ci avaient répondu qu’ils se trouvaient dans les eaux internationales et que le droit de la mer était de leur côté. Mais l’accord permit aux Nigérians de donner l’assaut au navire après huit heures de négociation.
« La coopération internationale est le nouveau mantra de la sécurité maritime, déclare l’amiral Babalola. Nous ne pouvons pas rester seuls. »