Africa Defense Forum

Le Courage d’un capitaine

Il a agi guidé par son cœur

PERSONNEL D’ADF

En 1994, après l’assassinat du président du Rwanda, les soldats de la garde présidentielle ont torturé et tué le Premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana, son mari et 10 Casques bleus belges. Les extrémistes hutus ont pris le pouvoir et ont entrepris le tristement célèbre génocide rwandais, tuant des centaines de milliers de membres de la minorité tutsie ainsi que certains Hutus politiquement modérés.

Ce matin-là, Mbaye Diagne, Casque bleu des Nations Unies, a été informé des meurtres. Ce capitaine sénégalais est venu enquêter et a trouvé les cinq enfants du Premier ministre, qui se cachaient. Les renforts n’arrivant pas, Mbaye Diagne a dissimulé les enfants sous des couvertures dans son véhicule et les a conduits en lieu sûr dans un hôtel de Kigali, qui était utilisé comme complexe des Nations Unies.

Le génocide, qui a duré 100 jours, s’est traduit par le massacre de 1 million de Rwandais.

De son propre chef et avec pour seules armes des vivres, des cigarettes et de l’alcool pour les pots-de-vin, Mbaye Diagne a commencé à porter secours à des Rwandais qui étaient la cible de tueurs rôdant aux alentours, en les cachant dans son véhicule à peu près de la même façon qu’il avait caché les enfants du Premier ministre. En tant qu’observateur des Nations Unies, il se déplaçait toujours sans armes.

Les Nations Unies avaient institué des règles interdisant à ses observateurs de participer à des actions visant à secourir les civils, mais Mbaye Diagne n’était pas disposé à suivre ces ordres. Ses supérieurs des Nations Unies ont choisi de fermer les yeux parce que, de leur propre aveu, Mbaye Diagne accomplissait une action honorable et courageuse.

Il a toujours été un homme singulier. Des neuf enfants de sa famille, il a été le premier à faire des études supérieures. Après avoir obtenu son diplôme, il s’est engagé dans l’armée sénégalaise, et, en 1993, a rejoint une force de maintien de la paix au Rwanda.

Mbaye Diagne avait recours à des pots-de-vin pour distraire les gardes lors des contrôles routiers, mais sa meilleure arme a peut-être été sa personnalité très sociable. Ce pieux musulman, de stature imposante, était drôle, savait utiliser le sarcasme et souriait constamment.

Dans le cadre de ses missions, il pouvait transporter jusqu’à cinq personnes dissimulées sous des couvertures à l’arrière de son véhicule. Il a traversé des dizaines de postes de contrôle à chaque voyage.

À une occasion, il a aidé à organiser un convoi de camions pour emmener des réfugiés tutsis à un aéroport pour qu’ils puissent quitter le pays. Des miliciens ont arrêté les camions et ont commencé à essayer d’en faire sortir les réfugiés. Un médecin qui était parmi les réfugiés a affirmé à la BBC que Mbaye Diagne s’était dressé entre les camions et l’attroupement.

« Le capitaine Mbaye Diagne a accouru », a expliqué le médecin. « Et il s’est interposé entre le camion et les miliciens en écartant les bras. Il s’est écrié, « Vous ne pouvez pas tuer ces gens ; ils sont de ma responsabilité. Je ne vous permettrai pas de leur faire du mal — il vous faudra me tuer d’abord » » .

Bien que le convoi ait dû faire demi-tour, les actions de Mbaye Diagne ont sauvé les passagers.

Gregory Alex, responsable de l’équipe d’aide humanitaire des Nations Unies à cette époque, a affirmé à la chaîne américaine Public Broadcasting System que Mbaye Diagne était toujours en déplacement, cherchant à sauver des personnes.

« Nous parlons ici du sauvetage de centaines de personnes, trois ou quatre à la fois », a-t-il précisé. « Alors, vous imaginez ce que cela représente, quand on parle de 23 postes de contrôle et de 200 personnes divisées par groupes de cinq maximum — cela veut dire qu’il [aurait] mis cinq personnes dans un véhicule, ce qui est trop visible. Donc il l’a fait en plus petits nombres, afin de ne pas trop attirer l’attention. Et il traversait tous ces postes de contrôle, et à chaque poste de contrôle il lui fallait s’expliquer. »

Il n’a jamais été pris. Deux semaines avant son retour prévu au Sénégal, il se dirigeait au volant de sa jeep vers le siège des Nations Unies, lorsqu’un obus de mortier a atterri juste derrière son véhicule. Des éclats d’obus l’ont atteint derrière la tête, le tuant sur le coup. Il avait 36 ans.

Le courage de Mbaye Diagne n’a pas été oublié. En 2014, les Nations Unies ont institué la « médaille capitaine Mbaye Diagne pour acte de courage exceptionnel » en son honneur. Dix personnes ont été prises en considération par les Nations Unies pour l’attribution de cette distinction, et il a finalement été décidé que la première reviendrait à la famille de Mbaye Diagne.

Le 19 mai 2016, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a donc décerné la médaille inaugurale à Yacine Mar Diop, la veuve de Mbaye Diagne, et à leurs deux enfants.

« Il n’a ni fermé les yeux ni fait la sourde oreille », a déclaré Ban Ki-moon lors de la cérémonie aux Nations Unies. « Il n’est pas resté indifférent à sa conscience et il n’a pas laissé la peur du danger le détourner de son chemin. Il a agi guidé par son cœur. »

C’est avec simplicité que le journaliste Mark Doyle a décrit Mbaye Diagne. En effet, à ses yeux, l’imposant soldat sénégalais a été « l’homme le plus courageux que j’aie jamais rencontré ».

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