LORSQU’UN COUP D’ARRÊT EST DONNÉ AUX CRIMINELS DANS LES EAUX D’UN PAYS, ILS TRANSFÈRENT LEURS ACTIVITÉS DANS UN AUTRE
Les pirates du golfe de Guinée ne paraissent pas forcément impressionnants. Bien qu’ils soient durs et musclés, les pirates capturés sont souvent habillés comme des mendiants — nu-pieds et vêtus de vêtements élimés paraissant faits pour des hommes de plus petite taille. Ils semblent être le genre de voleurs qui feraient main basse sur des portables ou de l’argent, mais guère plus.
Les apparences peuvent être trompeuses.
En janvier 2014, des pirates ont volé un remorqueur pour l’utiliser comme vaisseau mère et ont entrepris un périple de plusieurs jours pour s’emparer du Kerala, un pétrolier grec battant pavillon libérien, au large de l’Angola. Bien qu’il y eût 30 navires dans les environs, ils ont mis le cap directement sur le Kerala, qu’ils ont pris à l’abordage avant de désactiver ses systèmes de communication et d’identification. Ils ont aussi recouvert de peinture les marquages du navire, selon un rapport de l’U.S. Naval Institute.
Les pirates ont mis le cap au nord, parcourant 1.300 milles nautiques en un peu plus d’une semaine. Ils se sont tout d’abord arrêtés au large des côtes de la République démocratique du Congo, où ils ont transbordé du fioul dans un autre navire. Ils se sont ensuite dirigés vers le Nigeria pour deux autres transbordements entre navires. Après avoir vendu près de 15 millions de litres de gazole, ils ont abandonné le navire au large du Nigeria.
Un tel acte criminel n’a pas pu être accompli au hasard. Il a nécessité une planification, des informations privilégiées et une organisation. Les pirates qui ont ciblé le navire connaissaient sa cargaison, son emplacement et son itinéraire — tout autant de détails fournis par quelqu’un travaillant dans l’industrie pétrolière ou dans l’administration. Les acheteurs devaient être également au courant du plan. Comme le Naval Institute l’a observé, si les pirates ont vendu le carburant à seulement la moitié de sa valeur marchande, ils ont tout de même empoché environ cinq millions de dollars.
Parmi ceux qui sont soupçonnés de se livrer à la piraterie, on trouve des gangs nigérians, des « initiés » au sein de l’industrie pétrolière, des agents de sécurité corrompus et des réseaux criminels organisés constitués en Europe de l’Est et en Asie.
ENLÈVEMENTS ET RANÇONS
Les pirates du golfe ne limitent pas leurs actes criminels au détournement de pétrole. Certains sont impliqués dans les enlèvements et les demandes de rançons. En particulier, les ravisseurs, habituellement originaires du Nigeria, ciblent généralement les navires de l’industrie pétrolière. Après que les pirates montent à bord des navires et les mettent à sac, ils enlèvent les membres les plus essentiels de l’équipage, après les avoir souvent identifiés grâce à des informations fournies par les initiés. Les pirates retournent alors à leurs campements pour négocier les rançons.
Le Naval Institute rapporte que les négociations sur les rançons prennent généralement moins d’un mois. Les sociétés versent habituellement entre 50.000 et 100.000 dollars par personne. La rançon la plus importante connue, de 2 millions de dollars, aurait été payée fin 2013 pour la libération de deux Américains.
L’enlèvement est l’une des formes les plus rentables de piraterie, mais c’est aussi la plus difficile. Elle nécessite de procéder à la collecte de renseignements, par exemple pour localiser un navire spécifique naviguant au loin en haute mer. Les ravisseurs doivent posséder de l’armement lourd pour arraisonner le navire et venir à bout des tentatives de sauvetage. L’enlèvement exige également un engagement à long terme et un appui à terre pour soutenir des négociations souvent de longue durée. Il nécessite également le blanchiment d’argent pour faciliter l’utilisation de la rançon.
Un rapport des Nations Unies intitulé « Piraterie maritime dans le golfe de Guinée » a conclu que les enlèvements perpétrés dans le golfe de Guinée ont été moins courants que le vol de pétrole, avec tous les détournements se produisant dans les eaux territoriales du Nigeria. En 2014, le nombre d’attaques de pirates dans le golfe de Guinée a baissé de 18 pour cent, selon un rapport publié par le groupe d’information sur le transport maritime Dryad Maritime. Dans leur grande majorité, les attaques se sont produites en haute mer plutôt que près des côtes, ce qui semble indiquer la présence d’opérateurs avertis. Les experts s’inquiétaient également du fait que les pirates développent des réseaux transfrontaliers, les pirates francophones et anglophones collaborant dans certains cas. Les réseaux de piraterie paraissent s’investir dans quelques spécialités telles que le détournement de pétrole de navire à navire, d’après le capitaine de frégate Kamal-Deen Ali, de la Marine ghanéenne.
« Bien que nous ayons eu affaire à moins d’incidents en 2014, des éléments sont à l’œuvre qui semblent indiquer que les pirates en réalité s’enracinent et consolident leurs positions plutôt que de disparaître », observe Kamal-Deen Ali. « Il est notable qu’en 2014, par exemple, nous ayons enregistré une attaque majeure dans les eaux angolaises. Avant cela, nous n’avions jamais connu de détournement de navires dans les eaux de l’Angola ».
UN PROBLÈME MONDIAL
La piraterie n’est pas uniquement le problème de l’Afrique de l’Ouest. Le détournement de pétrole et d’autres formes de criminalité se répercutent dans le monde entier. Au moins 28 organisations ont agi pour empêcher des attaques de pirates dans le golfe. Parmi celles-ci, l’OTAN, les Nations Unies, la Banque mondiale, Interpol, la Commission européenne et le Bureau maritime international.
Les actes de piraterie dans le golfe représentent 20 pour cent de tous les actes criminels maritimes enregistrés dans le monde. Les pertes subies en cours d’expédition ont des répercussions de grande ampleur, en particulier sur les tarifs des assurances. Les assureurs ont désigné les eaux territoriales du Nigeria, du Togo et du Bénin comme une « zone de risque de guerre », ce qui renchérit le coût des assurances.
Le Bénin dépend de ses 121 kilomètres de littoral pour sa subsistance, les taxes sur le commerce constituant la moitié des revenus de l’État. De ce total, 80 pour cent provient du port de Cotonou. Les Nations Unies indiquent que les actes de piraterie en 2011 ont forcé les experts internationaux des assurances à classer le Bénin dans la même catégorie que le Nigeria. Cette classification a augmenté les tarifs des assurances et a porté atteinte à l’activité de Cotonou. Les responsables béninois affirment que le port a perdu 70 pour cent de son activité au troisième trimestre 2011. Depuis, les actes de piraterie au Bénin ont diminué, mais les tarifs d’assurance demeurent élevés.
Lorsque les eaux deviennent trop dangereuses, l’industrie privée tend à rester à l’écart. Par exemple, l’Association des armateurs norvégiens indique que le nombre des escales de ses navires dans les ports nigérians a diminué de 37 pour cent entre 2011 et 2013, du fait de la menace d’attaques, bien que les escales dans le reste de l’Afrique aient augmenté de 20 pour cent.
Les marines et les garde-côtes des pays du golfe de Guinée sont sous-équipés pour les patrouilles et les poursuites de grande ampleur, ce qui laisse les ports vulnérables. Bien que neuf des pays du golfe projettent d’acquérir davantage de patrouilleurs, et des plus gros, ces plans sont souvent à des échéances de plusieurs années.
Les aires de mouillage et les approches des ports de Bonny et de Lagos au Nigeria, de Cotonou au Bénin, de Lomé au Togo, de Tema au Ghana et d’Abidjan en Côte d’Ivoire sont particulièrement vulnérables aux actes de piraterie, du fait du grand nombre de navires marchands au mouillage ou naviguant dans ces eaux.
À Lagos, des centaines de bateaux et de navires s’attardent pendant des jours dans les eaux calmes à l’approche des ports encombrés, attendant leur tour d’y mouiller. Une tempête de deux heures sur le littoral de Lagos en 2010 a montré jusqu’à quel point certains des ports étaient vulnérables. Au cours de cette tempête, 25 navires se sont échoués, ce qui a exposé combien d’entre eux étaient sans équipage ou sans surveillance. Les autorités pensent à présent que certains de ces navires ont pu servir de repaires de pirates.
ÉCHOS DE LA SOMALIE
Les comparaisons avec les tristement célèbres pirates somaliens sont inévitables. Les pirates du golfe ont adopté certaines des tactiques des Somaliens, telles que l’utilisation de navires-mères servant de quartier général, ainsi que des méthodes d’abordage des navires. Les deux groupes ont enlevé des particuliers pour obtenir des rançons.
Les marchands et les entreprises opérant dans le golfe de Guinée ont adopté quelques-unes des techniques et pratiques de protection utilisées par leurs homologues du golfe d’Aden, notamment l’installation sur les navires de barrières physiques telles que des grillages, dans le but d’arrêter les assaillants. Des citadelles, ou pièces sécurisées ont également été ajoutées à bord. Dans le cas d’attaques, les équipages se rendent dans les citadelles lourdement blindées, où les pirates ne peuvent pas les atteindre. Les équipages se servent alors de radios pour appeler à l’aide. Toutefois, aucune des mesures préventives n’est infaillible.
Les desseins des pirates somaliens ont été contrecarrés, en partie, par l’emploi de gardes armés privés à bord des navires. En revanche, dans les eaux territoriales du golfe de Guinée, il est illégal pour le personnel des sociétés de sécurité privée de porter des armes à feu. Il est également illégal de transporter des armes à feu dans les eaux territoriales de ces pays.
Certains des pays du golfe, notamment le Nigeria, ont réussi à réduire dans une certaine mesure les détournements en mettant en place des « zones de sécurité » où sont effectuées des patrouilles autour des aires de mouillage vulnérables. Toutefois, de telles mesures ne sont pas efficaces pour faire cesser les enlèvements. La région à haut risque d’enlèvement, d’une superficie de plus de 78.000 kilomètres carrés, est trop vaste pour y mener des patrouilles. D’autre part, le littoral abrite trop de jungles, de rivières et d’anses pour que les autorités puissent les ratisser efficacement. À la mi-2015, la zone située au large de la côte du Nigeria était la plus dangereuse en termes d’activités de piraterie. Toutefois, les pirates ont élargi leur territoire aux frontières du Cameroun et de la Guinée équatoriale. Les attaques en haute mer sont devenues la norme en 2014, 58 pour cent des attaques concernant l’Afrique de l’Ouest se produisant dans les eaux internationales.
Donner un coup d’arrêt aux activités des pirates dans le golfe d’Aden a nécessité la mise en place d’une voie maritime élaborée et de patrouilles, en encourageant également les navires à se regrouper et à naviguer en flottilles. Il sera beaucoup plus difficile de protéger les navires au mouillage dans le golfe de Guinée.
Pourtant, la région présente quelques avantages pour la lutte contre la piraterie. Dans une étude de Chatham House parue en 2013, la région a été décrite comme étant « l’un des blocs de l’Afrique subsaharienne les plus politiquement cohérents, englobant des communautés régionales qui reconnaissent les répercussions de l’insécurité maritime sur l’économie ». Les groupes économiques de la région, en particulier la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, ont été actifs dans les questions de sécurité maritime. Ils ont appelé à un accroissement du nombre des patrouilles militaires et à la mise en œuvre d’une stratégie maritime intégrée.
COMMENT METTRE UN TERME À LA PIRATERIE
Dans un rapport paru début 2013, l’International Crisis Group a recommandé des mesures visant à s’attaquer à la piraterie dans le golfe de Guinée. Le rapport était destiné aux pays suivants : Angola, Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Guinée équatoriale, Gabon, Ghana, Nigeria, République du Congo, Sao Tomé et Príncipe et Togo. Elles incluaient les recommandations suivantes :
- Étudier le commerce illégal des carburants afin d’identifier les compagnies pétrolières et de navigation impliquées dans les activités illégales.
- Favoriser la création d’emplois dans les zones côtières en protégeant la pêche artisanale, en stimulant la transformation locale du poisson et en réinvestissant les actifs saisis aux contrebandiers de carburant.
- Renforcer l’application du droit maritime en formant les marines nationales, les organismes chargés de l’application des lois et les autorités portuaires.
- Maintenir en permanence des patrouilles de la marine dans les zones de mouillage et les eaux territoriales, et effectuer des vols réguliers de surveillance.
- Mettre au point les meilleures pratiques de gestion anti-piraterie à l’usage des armateurs, des commandants de navires et des équipages.
- Établir une force opérationnelle nationale inter-agences de lutte contre la piraterie, afin d’enquêter sur les gangs de pirates, de les arrêter et de les poursuivre.
- Faire en sorte que les pays signent des accords visant à autoriser les extraditions, et favoriser la coopération entre les marines, les organismes d’administration maritime et la police.
- Organiser des opérations conjointes de surveillance dans les zones dangereuses.
- Coordonner le soutien international et s’assurer que les interventions étrangères concordent avec les stratégies nationales.
- Insister sur la nécessité de traiter la piraterie comme une forme de crime organisé transnational exigeant une réponse coordonnée.
Le Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix précise que « sans le développement d’institutions stables, une bonne gouvernance et des opportunités économiques, la piraterie continuera, les succès tactiques s’avérant non viables ». Pour mettre un terme à la piraterie, les forces de sécurité du golfe devront être organisées et recevoir une formation commune.
« L’efficacité des initiatives anti-piraterie dépendra également de la capacité des gouvernements régionaux à poursuivre les auteurs de ces actes », peut-on lire dans l’article de Matthew Fiorelli intitulé « Piraterie en Afrique : le cas du golfe de Guinée », publié en 2014 par le Centre Kofi Annan. « Les pays de la région doivent s’associer avec la communauté internationale pour assurer la mise en place d’institutions visant à poursuivre les pirates capturés, tout en encourageant simultanément la bonne gouvernance qui endiguera la corruption et promouvra la stabilité socioéconomique ».
L’étude conclut que « la solution réelle pour empêcher la piraterie est la bonne gouvernance à terre, l’état de droit, ainsi que des garde-côtes compétents et capables ».
SITUATION DE LA PIRATERIE MARITIME DANS LE GOLFE DE GUINÉE
- COÛT ÉCONOMIQUE 983 MILLIONS DE DOLLARS
- COÛT HUMAIN 1.035 MARINS ayant subi une attaque. 170 MARINS détenus ou pris en otage
- ACTIVITÉS DE PIRATERIE 58 % des attaques se sont produites dans les EAUX INTERNATIONALES
Source : Oceans Beyond Piracy, 2014
HISTORIQUE DE LA PIRATERIE
L’Organisation maritime internationale maintient des registres d’actes illégaux commis à l’encontre des navires et des bateaux. L’organisation a compilé ces chiffres pour le golfe de Guinée entre août 1995 et mars 2014 :
EMPLACEMENT DES INCIDENTS
- Eaux internationales 158
- Eaux territoriales 296
- Zone portuaire 389
SITUATION DU NAVIRE LORS DE L’ATTAQUE
- Voguant 236
- Au mouillage 457
- Non précisé 64
NOMBRE D’AGRESSEURS IMPLIQUÉS
- de 1 à 4 241
- de 5 à 10 208
- Plus de 10 85
- Non précisé 290
CONSÉQUENCES POUR L’ÉQUIPAGE
- Actes effectifs de violence 277
- Menaces de violence 110
- Navire disparu 1
- Navire détourné 36
- Aucun/Non précisé 223
ARMES UTILISÉES PAR LES ATTAQUANTS
- Armes à feu 236
- Couteaux 210
- Engins lanceurs de grenades (RPG) 2
- Autres 30
- Aucune/Non précisé 336
PARTIES DU NAVIRE AYANT FAIT L’OBJET D’UN RAID
- Cabines principales et cabines d’équipage 18
- Zone de cargaison 152
- Entrepôts 261
- Salle des machines 5
- Pont principal 9
- Les pirates ne sont pas montés à bord 166
- Non précisé 66
AUTRES
- Vies perdues 46
- Membres de l’équipage blessés 181
- Membres de l’équipage disparus 7
- Membres de l’équipage pris en otage 519
- Agressés 173