L’initiative de la Nouvelle route de la soie se perd dans les sables d’Afrique
PERSONNEL D’ADF
L’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie (BRI) était censée relier ensemble de vastes régions du monde mais le programme pourrait bien s’effondrer en Afrique à cause de l’endettement, des projets mal conçus et mal approuvés, et des dommages du Covid-19.
« L’image que vous obtenez de la Nouvelle route de la soie dans les grands forums est différente de la réalité sur le terrain », déclare le chercheur Jonathan Hillman au Centre australien d’étude des États-Unis.
Hillman est associé principal et directeur du Projet de reconnexion de l’Asie au Centre pour les études stratégiques et internationales. Il a récemment publié un livre qui évalue la BRI.
Pour écrire son livre, M. Hillman a parcouru le monde pour observer les projets de la BRI. Ces voyages l’ont conduit à Djibouti, où les emprunts chinois prennent près de 35 % du revenu national brut, et au Kenya, où le Standard Gauge Railway [chemin de fer à écartement standard] entre Mombasa et Nairobi, financé par la BRI, symbolise le fardeau que certains des projets de la BRI ont imposé aux pays hôtes.
Cette entreprise de 3,6 milliards de dollars, qui est le plus grand projet d’infrastructure jamais construit au Kenya, était basée sur un transport du fret qui serait plus du double de la capacité réelle du chemin de fer. L’emprunt auprès de la Banque chinoise d’importation et d’exportation maintient secrètes un grand nombre de conditions du prêt. Et le projet oblige le Kenya à verser des paiements sur la dette qui atteindront 1 milliard de dollars cette année.
L’Angola, l’Éthiopie et le Kenya sont trois des cinq premiers pays débiteurs de la Chine. Les autres sont le Laos et le Pakistan.
« Il est certain que la Chine a été un prêteur irresponsable pour certains de ces projets, déclare M. Hillman. Je pense qu’il faut évaluer les projets en fonction de critères objectifs, ce qui est plus que ce qu’a fait la Nouvelle route de la soie jusqu’à présent. »
La Chine a commencé à limiter ses prêts liés à la BRI en 2018 et, avec les pays débiteurs d’Afrique et d’ailleurs, elle est entrée dans une période que M. Hillman appelle « la grande renégociation ». La pression financière exercée par la pandémie du Covid-19 rend plus urgente la renégociation des accords de prêt.
Agatha Kratz, directrice associée à Rhodium Group, a déclaré à Investment Monitor : « Nous voyons tant de pays entrer dans le mode de renégociation avec la Chine. Il existe un énorme nombre de cas comparé aux années précédentes. »
Si la Chine ne peut pas ou ne veut pas fournir suffisamment d’allègement à ses emprunteurs, elle pourrait se retrouver au milieu d’une crise d’endettement sur les marchés en voie de développement. Jusqu’à présent, la Chine a annulé moins de 2 % des dettes qu’elle détient dans le monde.
Le professeur Minxin Pei du collège Claremont McKenna écrit dans The EurAsian Times : « La Chine doit réaliser qu’elle pourrait bien ne jamais récupérer la majeure partie de ses investissements ou ses prêts à cause de la pandémie mondiale. La façon la plus intelligente de procéder serait d’annuler ses prêts comme geste de compassion et gagner le cœur des gens. »
Pour le moment, ce n’est pas le cas. En tant que membre du G20, la Chine a accepté un certain allègement des dettes pour les pays africains. Mais la plupart des prêts chinois sont détenus par la Banque chinoise d’importation et d’exportation ou la Banque de développement de Chine, lesquelles sont soutenues par l’état. Ces prêts ont des taux d’intérêt commerciaux et, jusqu’à présent, ils offrent peu d’allègement aux emprunteurs.
Les prêts chinois aux pays africains depuis une dizaine d’années se chiffrent entre 29,4 milliards de dollars en Angola et 25 millions de dollars en Gambie. La Banque d’importation et d’exportation est de loin le plus grand prêteur, selon une analyse des dépenses de la BRI chinoise par l’université de Boston (BU).
En tout, la Chine a financé des projets africains à concurrence de 100,6 milliards de dollars entre 2008 et 2019, selon l’analyse. C’est environ le cinquième de ce que les chercheurs de BU estiment que la Chine a dépensé sur les projets de la BRI dans le monde pendant cette période.
Mme Katz note que l’analyse de BU concerne seulement les prêts reconnus par la Chine et les pays bénéficiaires. Certains prêts chinois s’accompagnent d’accords de confidentialité qui forcent les emprunteurs à dissimuler la taille et les conditions du prêt, ce qui signifie qu’il est probable que l’endettement est encore plus important en Afrique.
Sujettes à la pression de la pandémie du Covid-19, les nations africaines ont déjà commencé à manquer les paiements sur une partie de leur dette. La Zambie fut la première lorsqu’elle manqua d’effectuer un versement sur des euro-obligations en automne dernier. Les analystes se préoccupent que l’Angola ou le Mozambique pourrait la suivre.
En essayant d’augmenter son pouvoir avec des investissements d’infrastructure douteux, déclare M. Hillman, la Chine apprend une leçon clé : « Historiquement, la plupart des flambées d’infrastructure font faillite ».
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