Les opérations de maintien de la paix de l’ONU en Côte d’Ivoire et au Liberia offrent des leçons pour faire face aux défis
La Côte d’Ivoire et le Liberia ont plus qu’une frontière en commun. Ces deux pays d’Afrique de l’Ouest ont de récents antécédents de guerre civile et de bouleversement. Ils ont aussi accueilli tous les deux des missions des Nations unies pour le maintien de la paix afin de les aider à se rétablir après les conflits.
La mission des Nations unies au Liberia (UNMIL) a commencé le 19 septembre 2003, immédiatement après la fin de la deuxième guerre civile libérienne, laquelle avait commencé en 1999. La première guerre civile avait fait rage de 1989 à 1996. Le mandat de l’UNMIL consistait à soutenir l’accord de cessez-le-feu, protéger le personnel de l’ONU, les civils et l’infrastructure, protéger le personnel humanitaire et aider à former les officiers de la police nationale et à restructurer les forces armées. Ce mandat était un grand défi pour un pays affecté pendant si longtemps par la violence et l’instabilité.
Les conditions étaient similaires dans le pays voisin à l’Est du Liberia. L’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (UNOCI) avait commencé le 27 février 2004. Son mandat principal consistait à aider les belligérants à mettre en œuvre l’accord de paix qu’ils avaient signé en janvier 2003.
Chacune des missions fut sujette à des problèmes majeurs pendant son existence. En Côte d’Ivoire, la violence éclata après l’élection nationale de novembre 2010 dans laquelle Alassane Ouattara avait battu le président sortant Laurent Gbagbo, lequel refusait d’abandonner le pouvoir. M. Gbagbo résista à la transition pendant 5 mois en 2011, en employant des soldats et des mercenaires. Les autorités l’arrêtèrent finalement et M. Ouattara fut inauguré le 21 mai 2011.
Le grand défi de l’UNMIL est survenu moins de trois ans plus tard lorsque l’Ebola est apparu en Afrique de l’Ouest, en semant la terreur et la mort au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone. La première épidémie régionale de cette maladie mortelle a affecté 28.600 personnes et tué 11.325. Le Liberia fut le pays le plus touché, avec près de 11.000 cas et 4.810 morts, selon les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies
Ces facteurs ont assuré que les deux missions soient difficiles, mais elles se sont achevées, d’abord en Côte d’Ivoire le 30 juin 2017, puis au Liberia le 30 mars 2018, après avoir enregistré d’importants succès. On peut beaucoup apprendre de ces deux missions.
L’UNOCI CONFRONTE LA CRISE ÉLECTORALE
En 2002, des soldats ivoiriens avaient essayé de renverser M. Gbagbo, le président de l’époque qui était entré en fonction deux ans auparavant. Le coup d’état avait échoué mais il fut suivi par une rébellion. Les rebelles prirent le nom de « Forces nouvelles ». Ils contrôlaient le Nord de la Côte d’Ivoire et le gouvernement contrôlait le Sud. Le pays fut divisé en deux et les affrontements se transformèrent en guerre civile.
« Entre septembre 2002 et janvier 2003, la guerre civile s’est traduite par des confrontations entre les forces gouvernementales et les rebelles, la capture des villes suivie par les massacres des civils, des attaques d’hélicoptères à l’Ouest, des enlèvements et des assassinats ciblés, et une violence sexuelle à grande échelle », écrit Alexandra Novosseloff pour l’Institut international de la paix (IPI). Des mercenaires du Liberia et de la Sierra Leone, qui combattaient pour les deux côtés, ont donné au conflit une dynamique régionale.
La France est intervenue avec l’opération Licorne au nom des milliers de ses ressortissants qui habitaient dans le pays, et la communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (ECOWAS) est aussi intervenue militairement. En février 2004, l’ONU a créé l’UNOCI et l’ECOWAS a intégré ses forces au sein de la mission de maintien de la paix.
M. Gbagbo s’accrocha obstinément au pouvoir jusqu’à l’élection présidentielle de 2010, où il fut battu par M. Ouattara. Alors que ces deux hommes commençaient chacun à former leur propre administration à Abidjan, le conflit éclata à nouveau, causant 3.000 morts et un demi-million de personnes déplacées internes ou forcées à s’enfuir du pays, et M. Gbagbo fut enfin arrêté le 11 avril 2011, écrit Mme Novosseloff.
Pendant cette crise post-électorale, les loyalistes de M. Gbagbo ont attaqué les civils de la capitale ainsi que les patrouilles et le quartier général de l’UNOCI. L’UNOCI a travaillé de concert avec les forces de Licorne pour mettre fin à la violence. Deux hélicoptères de l’ONU se sont joints aux hélicoptères d’attaque français pour cibler les entrepôts de munitions de M. Gbagbo. En avril 2011, les forces ivoiriennes ont saisi M. Gbagbo et son épouse, qui ont été transportés à La Haye pour faire face à la justice. Il était le premier ex-chef d’état à être détenu par la Cour pénale internationale. Tous les deux ont été finalement acquittés.
Alors que la mission de l’UNOCI commençait à perdre des effectifs en 2013, son mandat fut prolongé jusqu’en 2017 parce qu’elle devait soutenir une série d’élections en 2015 et 2016.
L’UNMIL et l’UNOCI COOPÈRENT
Les bouleversements en Côte d’Ivoire et au Liberia, et la proximité de ces deux pays, rendaient pratiquement inévitable la coopération entre les deux missions. La frontière commune était un lieu de coopération lors des phases finales de la mission de l’UNOCI. Les deux efforts ont soutenu les gouvernements nationaux pour assurer la sécurité de la frontière, et ont renforcé le partage des informations entre leurs composantes civiles et militaires respectives, selon un rapport de 2013 de Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU de l’époque, au Conseil de sécurité. Il écrit que ces efforts ont eu « un impact positif sur les opérations et l’analyse ».
En fait, à partir de 2005 lorsque la mission voisine des Nations unies en Sierra Leone (UNAMSIL) prenait fin, Kofi Annan, secrétaire général de l’époque, avait demandé au Conseil de sécurité d’autoriser la coopération entre les missions de la Côte d’Ivoire, du Liberia et de la Sierra Leone. Selon l’ONU, cette demande constituait à l’époque une innovation importante pour de telles missions. Après le départ des gardiens de la paix de l’UNAMSIL, un petit contingent de l’UNMIL s’est rendu à Freetown (Sierra Leone) pour assurer la sécurité des tribunaux saisis des crimes commis pendant la guerre civile de ce pays. Cette mission a duré jusqu’en 2012.
Pour maintenir un nombre adéquat de soldats au Liberia, le Conseil de sécurité a légèrement augmenté la limite des effectifs de l’UNMIL.
L’UNOCI et l’UNMIL se sont concentrées sur la sécurité et le contrôle des frontières, en renforçant l’autorité de l’état et en assurant le retour et la réintégration durables des personnes déplacées. Les troupes de l’UNMIL ont conduit des patrouilles terrestres et aériennes aux frontières de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et de la Sierra Leone. Ces patrouilles, appelées respectivement opérations Mayo, Seskin et Loko, ont servi de modèle pour les opérations conjointes continues des forces armées des trois pays, selon un article de 2007 du site ReliefWeb.
L’UNOCI et l’UNMIL ont aussi tendu le bras aux réfugiés et aux communautés de l’Ouest de la Côte d’Ivoire et de l’Est du Liberia avec des émissions radio.
La radio de l’UNMIL était notamment l’un des meilleurs atouts de la mission, selon un article des analystes de politique Daniel Forti et Lesley Connolly pour l’IPI. À son apogée, la radio de l’UNMIL émettait 24 heures sur 24 en plusieurs langues et atteignait environ les trois quarts du pays et 80 % de la population. Son succès était tel que, après la mission, l’ECOWAS reprit ultérieurement le contrôle de la station pour continuer les émissions. Ce type de diffusion médiatique s’avèrerait crucial pour le défi le plus difficile affronté par l’UNMIL : l’Ebola.
L’UNMIL FAIT FACE À L’EBOLA
Le Liberia, comme la Côte d’Ivoire voisine, a fait face à des défis presque insurmontables après des années de guerre civile. En 2003, la mission UNMIL possédait 15.000 gardiens de la paix, plus de 1.100 officiers de police et près de 2.000 membres civils, ce qui en faisait la plus grande mission de maintien de la paix à l’époque. L’UNMIL était chargée de rétablir l’état de droit et d’assurer des élections libres et régulières. Mais ni les chefs de l’UNMIL, ni en fait le reste du monde, n’auraient pu prédire le défi qui surviendrait ensuite.
Début 2014, le Liberia fut frappé par l’Ebola, au moment même où l’UNMIL se préparait à partir. Le Liberia, qui possédait l’une des populations de médecins parmi les plus faibles du monde, soit 1,4 médecins pour 100.000 personnes ou une cinquantaine seulement pour ce pays de 4,8 millions d’habitants, devint rapidement victime d’une catastrophe. Mais la présence et la participation de l’UNMIL firent toute la différence alors que la région et le monde organisaient une réponse.
« L’ONU et les autres partenaires ont reconnu très vite qu’il s’agissait de quelque chose de plus grave qu’une simple crise de la santé publique », déclare en 2015 Karin Landgren, sous-secrétaire générale de l’ONU, selon The Story of UNMIL.
Les services de santé se sont effondrés et les prix des marchandises ont augmenté, déclare-t-elle, ce qui a conduit à des préoccupations sécuritaires. Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence et fait appel à l’armée.
« Je suis convaincue que la présence continue de l’UNMIL a rassuré la population, et le fait que nous avions des bureaux dans tout le pays a réellement contribué à regrouper les acteurs qui devaient travailler ensemble », déclare Mme Landgren. Le soutien de l’UNMIL à la réponse contre l’Ebola, notamment par l’intermédiaire de la mission des Nations unies pour l’action d’urgence contre l’Ebola (UNMEER), peut être considéré comme un modèle.
« Bien que l’UNMEER ait été la mission officielle contre l’Ebola, la structure de l’UNMIL a permis d’accomplir ce que nécessitait l’UNMEER », déclare David Penklis, directeur du soutien de mission, à The Story of UNMIL. « Si l’UNMIL n’avait pas fait son travail, l’UNMEER n’aurait pas pu faire le sien. »
La mission de maintien de la paix a été obligée de s’adapter aux exigences de la crise, notamment en abandonnant un exercice de réduction des effectifs. La logistique a été un secteur clé. L’UNMIL a transporté des marchandises expédiées au pays par avion et les a stockées dans des entrepôts sous contrat.
Les efforts de communication de l’UNMIL, notamment par des émissions radio, ont aussi fait une grande différence. La mission a lancé un programme de diffusion médiatique par radio, théâtre et médias visuels pour sensibiliser un public sceptique sur le virus et améliorer la prévention de ce dernier. Les animateurs radio de la mission ont consacré la plupart de leur temps de diffusion à l’éducation du public sur l’Ebola et à sa prévention, notamment avec des bulletins d’informations, des informations de sécurité et des tribunes téléphoniques au cours desquelles les auditeurs ont pu parler aux professionnels de la santé, aux leaders traditionnels et autres.
Ce développement de l’éducation s’est accompagné d’une augmentation de la prévention et du traitement précoce, ce qui a réduit le risque de propagation de la maladie.
Aujourd’hui, les conditions ne sont pas parfaites en Côte d’Ivoire ou au Liberia, mais les deux missions de maintien de la paix ont quitté ces deux pays qui sont prêts à bénéficier de leur potentiel et de leur succès. La Côte d’Ivoire est une puissance économique d’Afrique de l’Ouest qui a enregistré une croissance économique de 7,6 % en 2017, selon la Banque mondiale.
Au Liberia, Dee-Maxwell Saah Kemayah, Sr., ambassadeur du pays en fonction aux Nations unies, écrit pour United Nations Peacekeeping que l’UNMIL a soutenu son pays dans tous les secteurs, depuis le désarmement jusqu’à la réforme judiciaire et aux élections. « Le retrait de l’UNMIL signifie que le Liberia est très bien placé sur la voie de la stabilité durable, la démocratie et la prospérité. »