L’attaque de l’État islamique (Daech) contre les Forces de défense du Pount au début 2025 représente une évolution cruciale des tactiques et de la technologie comparé aux attaques précédentes. Celles-ci avaient été exécutées avec des engins explosifs improvisés, mais les deux assauts de janvier ont employé des drones aériens.
Ils marquent la première fois que Daech utilise avec succès des drones en Somalie contre des forces gouvernementales, lesquelles essayaient de chasser le groupe de la chaîne de montagnes Cal Miskaat. Les attaques par drone du 20 et du 23 janvier ont ciblé la base des Forces de défense du Pount et de la Force de police maritime du Pount à Buuraha Cal Miskaat ; elles ont tué deux soldats au moins, et d’autres ont été blessés.
L’attaque contre les forces du Pount s’est produite une semaine environ après un assaut pendant l’opération Lightning, lorsque les forces gouvernementales ont tué 26 terroristes et abattu neuf drones. Certains de ces drones étaient utilisés à des fins de surveillance alors que d’autres étaient équipés d’explosifs.
Les images affichées sur les réseaux sociaux par le ministère de la Défense de Somalie montrent que les drones abattus de Daech étaient du type quadrirotor, peu coûteux et disponibles sur le marché, qui ont permis aux groupes terroristes d’obtenir une puissance aérienne sur le continent.
Depuis les montagnes du Nord de la Somalie jusqu’aux plaines arides du Mali et aux forêts du Nord du Mozambique, les groupes terroristes tels que la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (PAOEI), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et les Chebabs de la province du Cabo Delgado au Mozambique ajoutent des drones à leur arsenal.

Au début, les terroristes employaient les drones surtout à des fins de surveillance et de collecte de renseignements. Certains groupes les ont utilisés pour filmer des batailles, en ajoutant les films obtenus aux vidéos de propagande en ligne. Plus récemment, les terroristes ont commencé à équiper les drones avec des explosifs simples et de les utiliser contre les forces gouvernementales.
Combinés aux réseaux sociaux, aux engins explosifs improvisés (EEI) et à d’autres techniques de guerre irrégulière, les drones sont devenus un multiplicateur de force crucial pour les terroristes contre les forces gouvernementales mieux armées et équipées.
Pour les pays africains qui confrontent les groupes terroristes, les experts déclarent que l’adoption rapide et généralisée des drones par les terroristes offre une leçon précieuse sur la guerre irrégulière. La technologie peut créer un avantage à court terme pour les forces armées mais les insurgés se mettent à niveau en adoptant leurs propres tactiques irrégulières.
L’expert de la guerre irrégulière et analyste de la sécurité nationale Salvador Artiaga déclare à ADF : « Nous avons tendance à croire que le nouveau jouet va résoudre tous les problèmes. Ce que nous constatons dans des lieux différents, c’est que celui qui a les plus grosses armes ou la toute dernière technologie n’est pas toujours vainqueur. »
LES ADVERSAIRES S’ADAPTENT
L’emploi des drones et d’autres technologies peut offrir aux forces armées un avantage éphémère, mais les insurgés s’adaptent rapidement.
« Il ne s’agit pas toujours de celui qui progresse. Il s’agit toujours de celui qui s’adapte le mieux », déclare M. Artiaga.
Les insurgés sahéliens ont dit au quotidien français Le Monde qu’au début, les attaques par drones les avaient pris par surprise, mais ils ont rapidement appris à identifier leur bourdonnement, à se dissimuler et à éviter de se mettre en groupes. Les insurgés développent leurs propres entrepôts de drones et les modifient pour la guerre irrégulière.
Selon l’analyste Francis Okpaleke, plusieurs facteurs contribuent à l’emploi et la propagation des drones parmi les extrémistes du Sahel : accessibilité commerciale, faible coût, frontières poreuses, utilité technique et propagande.
Le Dr Okpaleke écrit dans une analyse de 2024 pour le Global Network on Extremism & Technology : « La prolifération des drones parmi les VNSA [acteurs non étatiques violents] introduit une nouvelle dimension dans les efforts de contre-terrorisme, qui pourrait faire évoluer l’équilibre des forces en faveur de ces groupes. »
Bien que la génération précédente d’insurgés ait employé des téléphones portables pour faire détoner les EEI, les insurgés d’aujourd’hui peuvent attacher un explosif à un quadrirotor en vente libre pour créer une bombe volante qui peut être employée contre des cibles militaires.
M. Artiaga écrit pour l’Irregular Warfare Institute : « Les insurgés peuvent faire quoi que ce soit et il n’y a rien qui puisse vraiment les préoccuper. Dans la guerre irrégulière, la force la plus efficace n’est pas nécessairement celle qui détient la meilleure technologie ; c’est plutôt celle qui utilise la technologie de la façon la plus intelligente. Avec 20.000 dollars [pour acheter des drones modifiés], je peux créer le chaos. »
Au Mali par exemple, le Cadre stratégique permanent des Touaregs a utilisé des drones contre les bases des mercenaires russes à Goundam et Léré. Dans chaque attaque, des drones quadrirotors disponibles sur le marché ont lancé de petits explosifs sur leur cible, puis ils se sont retirés. La coalition a affirmé que ses attaques avaient tué au moins neuf mercenaires. Des drones armés de façon semblable ont fait partie de l’embuscade contre les forces maliennes et les combattants russes près de Tin Zaouatine en juillet 2024. Cette attaque a tué 84 mercenaires et 47 soldats maliens.
Les attaques par drone des insurgés forcent les gouvernements sahéliens et leurs alliés russes à réagir, en les mettant en position désavantageuse, déclare M. Artiaga.
Les journalistes Benjamin Roger et Emmanuel Grynszpan du Monde ont écrit en octobre 2024 : « Le message sous-jacent est le fait que les insurgés détiennent aujourd’hui des capacités de frappe aérienne, tout comme leurs ennemis. »

LES COMBATS PASSENT AU NUMÉRIQUE
Les réseaux sociaux sont une autre technologie intrusive en voie d’adoption par les insurgés : ils utilisent X et d’autres plateformes pour diffuser les vidéos des champs de bataille et de propagande. Dans ce but, les insurgés dont un grand nombre sont des « autochtones numériques » nés dans l’ère de l’Internet pourraient devancer de loin les responsables gouvernementaux, selon M. Artiaga. Les insurgés utilisent leurs liens avec les opérations médiatiques sophistiquées de Daech ou Al-Qaïda pour produire des clips qui défendent leurs victoires auprès des auditoires en ligne.
« Les vidéos de propagande diffusées grâce aux drones servent non seulement d’outil pour le recrutement : elles servent aussi à démontrer l’excellence technologique en améliorant la légitimité perçue et le pouvoir des groupes, écrit le Dr Okpaleke. Elles ont aussi des buts symboliques, en projetant la puissance aérienne, le statut et le progrès technologique, pour aider potentiellement les efforts de collecte de fonds. »
Le cyberespace donne aux insurgés tout ce dont ils ont besoin pour avoir des détails sur la fabrication des bombes, la modification des drones ou la gestion des campagnes de relations publiques, ajoute-t-il. Les systèmes axés sur l’intelligence artificielle peuvent même effectuer une partie du travail. Résultat : un avantage technologique qui alimente les insurrections, quelles que soient les ripostes des gouvernements, déclare M. Artiaga.
Il dit à ADF : « Vous avez des forces gouvernementales qui attendent que cette nouvelle technologie fasse tout pour elles. Pendant que le gouvernement compte sur cette nouvelle technologie, ses adversaires s’adaptent au sein de l’environnement. »

LA TECHNOLOGIE ET LA DYNAMIQUE HUMAINE
M. Artiaga note que les pays africains, même s’ils accumulent des drones et autre technologie pour combattre les insurgés, semblent ne pas avoir appris les leçons des autres pays pour affronter la guerre irrégulière persistante : le côté qui détient une meilleure technologie n’est pas toujours le côté gagnant.
Dans une analyse pour le site web Irregular Warfare, il écrit : « C’est fascinant d’observer l’interaction entre les forces équipées d’une technologie de pointe et celles qui en dépendent moins. L’emploi de techniques de communication rudimentaires et leur intégration avec les populations locales permettent souvent à ces forces de basse technologie d’échapper à la détection. »
La technologie offre des outils performants pour améliorer les stratégies de guerre irrégulière, mais elle s’accompagne aussi de vulnérabilités face à des insurgés adeptes dans les tactiques de guérilla, selon M. Artiaga. En outre, les insurgés qui ont le soutien de la population locale, grâce à leurs propres actes ou en réponse aux attaques gouvernementales, peuvent être presque impossibles à vaincre.
Une dépendance excessive sur la technologie par l’un des belligérants engagés dans la guerre irrégulière peut être une vulnérabilité, selon lui.
« Dans le domaine de la guerre irrégulière, l’essence de la victoire reste enracinée dans la compréhension de la dynamique humaine, la connaissance des courants géopolitiques locaux et la maîtrise de l’art intemporel de l’adaptabilité. Comme l’a articulé le stratégiste classique Sun Tzu, le point culminant de l’art de la guerre consiste à subjuguer l’ennemi sans confrontation directe. »