Avant l’arrivée des terroristes, Dagodji était un village florissant sur la rive du fleuve Niger, dans la région centrale du Mali. Il avait une agriculture dynamique, une école, même un château d’eau.
Sur la rive opposée du fleuve, dans la localité de Niafunké où il s’est enfui, M. Soumaguel peut toujours distinguer les vestiges de Dagodji. À la fin avril, les combattants de l’organisation terroriste Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ordonnèrent à tous les villageois de partir, en les accusant de collaborer avec l’armée malienne.
Il déclare à l’Africa Report : « Nous n’avons plus de logis. La saison des pluies arrive et nous n’avons pas pu replâtrer nos maisons en briques crues. Elles vont toutes s’effondrer certainement. … Notre village ne sera jamais plus le même. »
Dagodji est l’un des nombreux villages maliens abandonnés à cause des activités terroristes généralisées ; c’est un triste symbole de l’échec des efforts de contre-terrorisme de la junte militaire au pouvoir. Le Mali est en proie à plusieurs insurrections extrémistes depuis plus de dix ans. Les deux groupes les plus proéminents sont le GSIM, coalition de groupes armés affiliée à Al-Qaïda, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), filiale régionale de Daech.
À la fin avril, environ 2.000 déplacés internes sont arrivés à Niafunké, selon l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) qui a établi une antenne de santé et distribué des vivres. En juin, leur nombre a augmenté à environ 4.000.
Un cultivateur de Dagodji âgé de 23 ans dit à MSF : « [Des hommes armés] sont venus recruter les jeunes et je les ai défiés en disant que je refusais de les joindre. Après ça, ils ont voulu m’éliminer. Ils ont pointé un fusil sur moi, j’ai eu peur et j’ai plongé dans l’eau pour nager jusqu’à Niafunké. Ils ont tiré mais, heureusement, je n’ai pas été touché. »
Dans le district de Koro, près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, deux villages ont été « vidés », selon un agent humanitaire qui demande à l’Africa Report de ne pas utiliser son nom.
« Il n’y a plus personne à Kassa Saou et Kassa Berda, dit-il. Ces villages existaient depuis des générations. Mais que peuvent faire les gens ? Ils ne peuvent pas vivre à la pointe d’un fusil. »
La liste des villages abandonnés augmente au Mali : Bodio, Diombolo Kada, Yawakada, Doudiourou Tile, Dégénéré Bogolo, Tegourou, Libbé-Habbé, Ouro-Emé, Djewagou, Nagadourou, Siratintin, Seretomonie, Drimbe, Noubori et Kassa.
Autour de la localité de Diafarabé, où un massacre commis par l’armée le 12 mai avait été suivi par un barrage routier des terroristes, les résidents de Darou, Tielembéya, Barké Daga et Kara ont aussi été forcés de s’enfuir.
Dans la région de Ségou, plus près de la capitale de Bamako, plusieurs villages du cercle de Tominian « n’existent aujourd’hui plus que sur le papier », selon les propos d’une source locale à l’Africa Report. Ils sont Teole, Sondo, Tassila, Koredaga, Tilihan, Kiri, Soumadougou, Kere-Coura, Kaladaga, Beledaga, Massadougou, Tiouga, Lafiala et Kodian.
L’agent humanitaire déclare : « Chaque village abandonné est une partie de notre mémoire collective qui disparaît. Les traditions orales, les rites funéraires, les festivals de la plantation et de la récolte … tout cela reste enterré dans le terrain que nous laissons derrière nous. »
Dans un rapport de 2024, la Direction nationale malienne pour le développement social note l’existence de plus de 700.000 déplacés internes, surtout dans les régions du Nord et du centre.
Une intensification des attaques en mai et juin a signalé l’une des périodes les plus meurtrières dans l’histoire récente du Sahel. Les attaques conduites par le GSIM ont tué plus de 850 personnes au Burkina Faso, au Mali et au Niger en mai, comparé à la moyenne de 600 morts au cours des mois précédents, selon les données du projet ACLED (Armed Conflict Location and Event Data).
Le Soufan Center, organisation de recherche de sécurité indépendante, déclare que le GSIM a lancé une offensive au Mali en juillet qui a pris pour cible les centres urbains. Cela signale une évolution par rapport aux tactiques précédentes consistant à conquérir le territoire rural.
Le centre écrit le 15 juillet dans un briefing : « La hausse de la cadence opérationnelle du GSIM au cours des douze derniers mois a sapé encore plus le récit de la junte sur la restauration de la sécurité après le retrait des forces internationales qui avait suivi le coup d’État de 2021. Il pourrait sonder les défenses de l’état dans le cadre d’une campagne plus vaste pour s’emparer du territoire. »
Malgré plusieurs efforts de recrutement au cours des cinq dernières années, l’armée malienne manque de personnel. Les experts en matière de sécurité déclarent que ceci a laissé le Mali vulnérable, car l’intervention des mercenaires russes n’a pas empêché le terrorisme d’avancer et le Kremlin semble plutôt intéressé par les avantages économiques qu’il peut obtenir.
Aly Tounkara, professeur de défense et de sécurité à l’université de Bamako, déclare que les chefs des juntes du Sahel se trompent lorsqu’ils adoptent une approche purement militaire.
Il déclare à Al Jazeera : « Les états semblent paralysés et ils ne sont pas du tout préparés à empêcher les attaques coordonnées. La menace affecte tous les états du Sahel et au-delà ; elle aura certainement des conséquences économiques et sociales dans les pays voisins. Nous sommes entrés dans un cercle vicieux et dangereux, et les attaques continueront pendant longtemps. Ceux qui ne le savent pas devraient en être convaincus. »
Dans les zones rurales qui échappent au contrôle de l’état, le GSIM et l’EIGS gouvernent avec leur propre régime fiscal, juridique et policier.
« Lorsqu’une commune perd la moitié de ses villages, elle devient administrativement insoutenable », déclare à l’Africa Report un fonctionnaire de la région de Tombouctou.
Pour les résidents de longue date comme M. Soumaguel, l’espoir existe toujours qu’ils pourront revenir un jour.
« J’ai gardé les clés de ma maison, dit-il. Je me dis qu’un beau jour je retournerai à Dagodji et nous reconstruirons notre village. »