Le secteur ghanéen de la pêche emploie directement ou indirectement environ 2,2 millions de personnes qui transforment, vendent, transportent et nettoient le poisson. Toutefois, 90 % des Ghanéens contactés lors d’une enquête conduite par des chercheurs de Harvard disent qu’ils ne croient pas que leurs enfants pourront dépendre de la pêche ou des métiers associés à l’avenir. Des sentiments similaires ont été exprimés en Côte d’Ivoire et au Nigeria.
La raison principale en est que, depuis des dizaines d’années, le Ghana et les autres pays d’Afrique de l’Ouest sont victimes des chalutiers de pêche industriels, dont la plupart sont chinois, qui s’engagent dans plusieurs pratiques de pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). La Chine est le pire contrevenant mondial de la pêche illégale selon l’Indice des risques de pêche INN. Parmi les dix premières sociétés pratiquant la pêche illégale dans le monde, huit sont chinoises.
En Côte d’Ivoire et au Ghana, les pratiques illégales telles que le chalut de fond, la pêche dans les zones désignées pour les pêcheurs artisanaux, la pêche aux explosifs et l’emploi d’équipement irrégulier menacent la survie des petits poissons pélagiques. La prise totale de ces poissons au Ghana a chuté de 59 % entre 1993 et 2019. Le déclin en Côte d’Ivoire était presque 40 % entre 2003 et 2020, selon le rapport de Harvard.
Isaac Okyere, chercheur de l’université ghanéenne de Cape Coast, déclare à Mongabay : « Nous avons un gros problème avec l’INN. Dans certains cas, les navires ont deux types différents d’équipement, un qui est homologué et l’autre qui ne l’est pas. Ils l’utilisent pour pêcher les poissons pélagiques. C’est un commerce florissant. »
Plus de 100.000 pêcheurs et 11.000 pirogues sont actifs au Ghana, mais le revenu annuel moyen a baissé jusqu’à 40 % par pirogue artisanale au cours des quelque quinze dernières années, selon l’Environmental Justice Foundation (EJF). Les stocks de poissons décimés d’Afrique de l’Ouest font grimper les prix et provoquent l’insécurité alimentaire.
Environ 2,4 millions de Ghanéens sont affectés par l’insécurité alimentaire alors qu’environ 18 % des 31,2 millions d’habitants de Côte d’Ivoire affrontent une insécurité alimentaire grave. Pendant la saison creuse de cette année entre juin et août, 30,6 millions de Nigérians sont projetés de faire face à l’insécurité alimentaire.
En plus de la pêche INN, les eaux plus chaudes du golfe de Guinée forcent aussi les poissons à s’éloigner de la côte. Puisque les poissons sont des animaux à sang froid, ils nagent plus profondément ou plus loin pour réguler la température de leur corps. Le soleil réchauffe les eaux par absorption de la radiation solaire, processus selon lequel une substance capture la radiation incidente et la convertit en autre forme d’énergie, en général de la chaleur. Le vent et les vagues influencent aussi la répartition de la chaleur dans l’eau.
À mesure que les températures de surface des eaux d’Afrique de l’Ouest augmentent, les populations de petits poissons pélagiques se déplacent considérablement. Selon le rapport de Harvard, le déplacement de sardinella aurita, cible fréquente des pêcheurs artisanaux, est de 181 km par décennie depuis 1995.
Pour préserver leurs pêches et combattre la pêche INN, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont imposé des périodes de fermeture de pêche pour les pirogues artisanales et les chalutiers industriels afin d’empêcher les prises de poisson pendant les mois d’été, au point culminant de la saison de reproduction.
Le Ghana a commencé à adopter cette pratique de façon limitée en 2016 en déclarant une courte période de fermeture pour les chalutiers pendant juillet, lorsque le poisson se reproduit. La Côte d’Ivoire a suivi en annonçant des « périodes de repos biologique » annuelles dans les zones de pêche du pays.
Toutefois, les résultats ont été décevants, selon les chercheurs de Harvard. Les taux moyens de prise des sardinelles rondes par sortie de pirogue au Ghana ont en fait baissé après la période de fermeture de 2023. Au Ghana, les périodes de fermeture n’étaient pas appréciées par les pêcheurs locaux qui pensaient que le gouvernement avait imposé l’interdiction pour que le marché puisse vendre davantage de poisson congelé importé.
« Ils voulaient aussi que les interdictions gouvernementales se concentrent sur la pêche illégale pratiquée par les chalutiers chinois, pas celle des bateaux locaux », selon le rapport de Harvard.
Selon l’EJF, plus de 90 % des chalutiers industriels actifs dans les eaux ghanéennes sont liés à des propriétaires chinois qui dépendent de sociétés ghanéennes de façade pour éviter les lois nationales interdisant leurs opérations. Dans toute l’Afrique de l’Ouest, on estime que les chalutiers de fond chinois attrapent 2,35 millions de tonnes de poissons par an, soit 50 % de la prise totale de la flotte chinoise en eaux distantes, à hauteur de 5 milliards de dollars.
En réponse aux violations continuelles commises par les chalutiers industriels dans la zone d’exclusion côtière (IEZ) du Ghana, la ministre des Pêches du Ghana Emelia Arthur, qui vient d’être nommée à ce poste, a annoncé en juin des plans pour élargir la zone où les pêcheurs artisanaux peuvent être actifs dans l’IEZ. Cette zone passera désormais de 6 milles marins (11 km) à 12 milles marins (22 km). Le Parlement du Ghana doit approuver cette nouvelle réglementation mais Mme Arthur déclare que des réformes judiciaires sont en cours.
« Nous allons ensuite mettre en application cette réglementation si strictement que les vaisseaux semi-industriels et industriels ne seront pas autorisés à pêcher dans cette zone », déclare-t-elle dans un reportage de Mongabay.