La gélatine de peau d’âne (ejiao) est considérée miraculeuse pour ses adeptes. Mais elle est devenue désastreuse pour les ânes africains et les communautés qui en dépendent.
La demande chinoise pour la peau et la viande d’âne a créé un marché noir dans plusieurs pays africains. Ces marchés sont avantageux pour les groupes du crime transnational organisé, qui profitent de la réglementation laxiste, la corruption publique et la frontière poreuse pour la contrebande des peaux d’âne.
La gélatine fabriquée en faisant bouillir la peau d’âne forme la base de l’ejiao (prononcé « éjiyou »), que les consommateurs utilisent comme traitement pour l’anémie et autres troubles sanguins. Sa demande a décimé les stocks d’ânes en Chine : ceux-ci ont chuté de 11,1 millions en 1990 à 2,5 millions d’animaux en 2018.
Les fabricants de produits pour la médecine traditionnelle chinoise (MTC) ont à leur tour cherché des peaux d’âne au Kenya et ailleurs, où les ânes sont cruciaux pour les communautés rurales. La demande chinoise provoque le vol généralisé des ânes dans ces communautés, en privant certains éleveurs d’une partie importante de leurs moyens de subsistance.
En plus des dommages économiques potentiellement subis par les communautés rurales, le commerce des peaux d’âne pour la MTC fait aussi courir le risque de propagation des maladies zoonotiques telles que la morve transmise de l’animal à l’humain, selon les experts. La morve est une maladie rare d’origine équine qui peut être mortelle pour les humains.
Les peaux importées représentent 90 % de la production de gélatine, selon l’organisme de bien-être animalier Brooke Action for Working Horses and Donkeys créé en Égypte en 1934 et aujourd’hui basé au Royaume-Uni.
Le chercheur de MTC Wei Ye, basé au Kenya et écrivant pour Global China Pulse, a remarqué en 2023 : « Le développement fait courir un risque à la population mondiale d’ânes et perturbe les moyens de subsistance des personnes affectées, en particulier dans les zones qui ont de vastes populations de ces animaux, par exemple l’Afrique de l’Est, l’Asie centrale et l’Amérique du Sud. »
L’article de M. Ye raconte l’histoire d’une femme d’affaires chinoise appelée Mme Tong qui était venue à Nairobi pour acheter des peaux d’âne afin de fabriquer la gélatine. Elle les a achetées auprès d’un entrepreneur chinois qui les avait obtenues par l’intermédiaire de villageois kényans et qui les entreposait. La demande de gélatine est montée en flèche au cours des dernières années à mesure que les consommateurs chinois de MTC recherchent des pratiques « nourricières », écrit-il.
Selon le Donkey Sanctuary, groupe de bien-être des animaux basé au Royaume-Uni, la production chinoise de gélatine est passée de 3.200 tonnes en 2013 à 5.600 tonnes en 2016. On anticipe qu’elle triplera d’ici à 2027.
Le marché de la MTC nécessite près de 6 millions de peaux d’âne par an pour satisfaire à la demande, selon les chercheurs de Warwick University (Royaume-Uni). Cette demande pourrait atteindre presque 7 millions en 2027.
Le Kenya a interdit l’abattage des ânes pour leur peau et leur viande en 2020. La Cour suprême du pays a infirmé cette interdiction en 2021 après les protestations des propriétaires d’abattoirs.
Le Botswana, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, l’Ouganda, le Sénégal et la Tanzanie ont aussi interdit cette activité. En 2024, l’Union africaine a adopté une interdiction sur l’abattage des ânes pour une durée de quinze ans sur le continent.
Mais les massacres continuent sur le continent. L’année de l’annulation de l’interdiction, le Kenya a exporté 160.000 peaux d’âne, selon les chercheurs de Brooke.
Dans les pays africains qui ont interdit les exportations des ânes vers la Chine, il n’existe souvent aucune pénalité pour violer l’interdiction ; le commerce illégal continue donc, selon les chercheurs de Brooke.
Le Nigeria est devenu un centre de trafic légal et illégal de peaux d’âne vers la Chine. L’Égypte héberge un marché noir pour les peaux d’âne à destination de la Chine, selon les chercheurs. La frontière entre le Burkina Faso et le Ghana reste un point sensible de ce commerce.
Les autorités kényanes ont récemment démantelé une opération illégale d’abattage d’ânes dans la localité de Kithyoko près de la frontière entre les comtés de Machakos et Kitui. Les ânes étaient transportés en provenance de toute la région vers cette communauté pour leur abattage.
En fin de compte, le commerce MTC de peaux d’âne nuit aux Africains ruraux autant qu’il nuit aux animaux dont ils dépendent pour transporter les articles, labourer les champs et autres, selon Brooke.
Les chercheurs écrivent : « L’ampleur et la propagation mondiale rapide du commerce des peaux d’âne pour satisfaire à la demande chinoise de gélatine sont insoutenables. Le commerce a des conséquences dévastatrices pour les ânes et leurs propriétaires dans le monde, qui sont ressenties le plus par les gens vulnérables des communautés pauvres. »