Les récentes attaques de drone contre le Darfour et Port-Soudan font partie de la hausse des tensions entre la Turquie et les Émirats arabes unis (EAU) alors qu’ils essaient d’influencer le résultat de la guerre au Soudan, selon les experts.
La Turquie a offert aux Forces armées soudanaises (FAS) des drones Bayraktar TB2 et leurs opérateurs turcs. Les EAU ont nié maintes fois qu’ils soutenaient les Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire. Toutefois, les observateurs internationaux signalent l’arrivée d’avions militaires émiriens sur une piste d’atterrissage du Darfour. Ils disent aussi que le matériel est passé par contrebande à partir d’une piste construite par les EAU au Tchad, des bases aériennes émiriennes en Ouganda et dans la région somalienne du Pount, et des forces soutenues par les EAU en Libye.
Les drones turcs ont aidé à renverser la tendance au profit des FAS. Depuis la réception des drones Bayraktar en décembre 2024, les combattants FAS ont chassé les combattants FSR des territoires clés de l’Est du Soudan et la région de la capitale.
En mai dernier, les FAS ont détruit un avion-cargo des EAU sur une piste d’envol à Nyala, chef-lieu du Darfour du Sud contrôlé par les FSR. Cette attaque s’est produite après l’observation par les FAS des atterrissages et décollages d’avions militaires similaires dans ce même aéroport pendant plusieurs mois.
L’attaque a tué des dizaines de combattants FSR, plusieurs Émiriens et les pilotes de l’avion. Les responsables des FAS déclarent que l’avion faisait partie d’une campagne émirienne en cours visant à approvisionner les combattants FSR et à prolonger la guerre.
En guise de représailles pour l’attaque de Nyala, des drones censés provenir du territoire des FSR au Darfour ont bombardé Port-Soudan pendant plusieurs jours, en incendiant les installations pétrolières et endommageant une centrale électrique et le port.
L’attaque a aussi endommagé des hangars militaires censés contenir des drones Bayraktar ; plusieurs opérateurs de drone turcs ont été blessés. Ils ont été évacués par avion vers la Turquie pour leur traitement.
Les FSR n’ont pas revendiqué la responsabilité de cette attaque, ce qui conduit certains analystes à soupçonner que ce sont les EAU qui l’ont ordonnée en réponse à la participation de la Turquie à l’attaque de Nyala.
Peu après les attaques de Port-Soudan, l’ambassadeur soudanais au Royaume-Uni Babikir Elamin a déclaré au Parlement britannique que l’assaut par drone avait accru les risques de transformer le conflit interne du Soudan en conflit régional.
« Jusqu’à récemment, ce conflit pouvait être décrit comme une guerre par procuration. Toutefois, il a subi une évolution dangereuse qui frise la guerre régionale, alors que les EAU dissimulent à peine leur intervention directe », a-t-il dit.
Les tensions entre la Turquie et les EAU au Soudan font écho aux tensions qui ont flambé entre les deux pays en 2020 lorsque la Turquie a soutenu le gouvernement d’entente nationale (GNA) de Libye reconnu internationalement contre l’Armée nationale libyenne (LNA) du maréchal Khalifa Haftar, parrainée par les EAU.
L’aide turque a aidé le GNA à repousser un assaut de la LNA contre Tripoli cette année. Environ 3.000 soldats turcs restent en Libye.
En avril, les chefs militaires turcs se sont réunis à Ankara (Turquie) avec Saddam Haftar, chef des forces terrestres de la LNA. Entre-temps, selon les observateurs, les EAU ont entrepris une tentative plus subtile d’influencer la Libye par l’intermédiaire des institutions religieuses et sociales, au lieu d’une participation militaire directe.
Au Soudan, les EAU maintiennent la relation de plusieurs décennies qu’ils ont avec les FSR et leur chef, le général Mohamed Hamdan Dogolo alias « Hemeti ». Cette relation est bâtie sur la base de l’or extrait des mines détenues par la famille du général Dogolo et passé en contrebande aux EAU, où Hemeti conduit ses opérations financières.
Selon des données de la Banque centrale du Soudan, la grande majorité des exportations du pays entre 2018 et 2022 aux EAU étaient de nature aurifère. Pendant cette période, la valeur de ces exportations a plus que doublé, de 994 millions à plus de 2 milliards de dollars.
Les analystes du site web Monitor Control ont écrit en début d’année : « Dans cette guerre, les EAU ne peuvent être que gagnants. Plus la guerre se prolonge, plus les profits augmentent. Pour les EAU, s’assurer que la guerre continue est une idée excellente. »
Pour la Turquie, l’alliance avec le gouvernement internationalement reconnu du Soudan s’inscrit dans un effort d’expansion de son influence comme pacificateur et courtier du pouvoir.
L’analyste Mustafa Enes Esen a écrit plus tôt cette année pour l’Institut pour la diplomatie et l’économie : « La participation de la Turquie au Soudan est conforme à la stratégie régionale plus vaste d’Ankara. Une entente entre les dirigeants des FAS et des EAU lors de pourparlers animés par Ankara pourrait mettre fin rapidement à la guerre civile du Soudan. »
Entre-temps, la question de savoir quand l’un ou l’autre belligérant décidera que la lutte n’en vaut plus la peine demeure incertaine, a déclaré l’analyste Simon Marks dans un récent podcast « Next Africa » de Bloomberg.
« Si les intermédiaires continuent à promouvoir (la guerre), elle pourrait durer très longtemps », a-t-il dit.